Avant sa mort, le redoutable policier Jean Fochivé est revenu sur son parcours professionnel au sein de la présidence de la République. Celui-là même qui a eu la chance de côtoyer les deux présidents du Cameroun, semble maîtriser la vie privée des Chefs d'État. Il était d'ailleurs le Chef des polices politiques à l'époque. Son poste lui conférait une grande autorité dans le sérail.
« Je connaissais M. Biya bien longtemps avant qu’il ne devienne président de la République du Cameroun. Il avait fait un passage assez remarqué au Secrétariat général de la présidence. Par ailleurs, nous nous étions découvert une passion commune pour l’agriculture et avions même projeté d’entreprendre des choses ensemble.
C’était un homme exceptionnel, intelligent, laborieux et très modeste; surtout intègre et désintéressé. Ce qui m’avait le plus impressionné chez lui, c’était sa conception personnelle du pouvoir : il avait été le secrétaire général de la présidence et le Premier ministre le plus modeste de l’histoire du Cameroun. Quand j’y pense, et le revois aujourd’hui qu’il est président de la République, je me demande comment un homme peut, avec autant de maîtrise et d’aptitude, se comporter de si différentes façons à des différents hauts postes de responsabilité.
Le parcours de M. Biya ressemble à celui de ce voyageur qui fait des pauses obligatoires sur l’itinéraire d’une destination connue. Il travaillait sans excès de zèle et sans ambition apparente, ce qui laissait croire ou penser que c’était un homme faible. Les barons du régime traitaient le Premier ministre Paul Biya comme un figurant de film de 2ème série.
Quand il convoquait une réunion des membres du gouvernement, c’était le moment que choisissaient certains ministres pour aller en mission à l’étranger. Il n’en était jamais choqué. J’en parlais à M. Ahidjo qui me répondit simplement : «ceux qui ignorent le messager du roi, ignorent le roi. Un jour, ce messager portera le masque du roi et les piétinera». Le nouveau président de la République m’avait maintenu à la tête de mon service qui entre-temps était devenu le Centre national de documentation (Cnd).
Il m’avait très subtilement conseillé de trouver un système émollient pour adapter mon service au nouveau paysage politique dont il se proposait de doter la société camerounaise.
Je pense que M. Biya à cette époque avait déjà une vision démocratique du Cameroun qu’il allait gouverner. Mon existence, celle de mon service avec l’obscure réputation qui nous précédait le mettaient un peu mal à l’aise et c’est à raison que ses informels conseillers lui demandaient de me faire partir. Il ne s’y décidait pas, mais je remarquai qu’il prenait de plus en plus ses distances vis-à-vis de moi.
Et, pendant plus d’une année, nos rencontres ne se limitèrent plus qu’aux dix minutes qu’il m’accordait dans son pavillon présidentiel de l’aéroport. Il me donnait des instructions lorsqu’il partait et s’enquérait de l’atmosphère ambiante lorsqu’il revenait. Je me retrouvai très vite réduit à mon simple rôle de chef de service de renseignements.
Je transmettais tous les jours des rapports écrits; contraintes administratives auxquelles je n’étais pas habitué. Je savais que cette procédure était préconisée par les textes relatifs au fonctionnement de mes services. Il est certes vrai, j’avais souvent, du temps de M. Ahidjo, transmis des rapports écrits au Secrétariat général de la présidence, mais, c’était toujours après avoir verbalement informé le président de la République de la situation qui prévalait.
Ensemble, nous étudiions le problème et je partais de son bureau avec des instructions strictes. M. Ahidjo et moi avions adopté ce système de travail pour contourner les lenteurs administratives et éviter les fuites. Le respect de la procédure était sans doute le système émollient dont M. Biya m’avait parlé. J’avais essayé en vain de lui faire comprendre qu’un service de renseignements est plus une affaire du chef de l’Etat que de l’Etat. Il m’aurait envoyé défendre mon budget à l’Assemblée nationale.
Ce qui m’impressionnait le plus chez M. Biya c’est qu’il croyait beaucoup à la prière. Je me rappelle encore ce jour où je l’avais mis en garde contre la très grande influence des officiers et officiers supérieurs originaires du Nord au sein de l’armée camerounaise, surtout, au moins la garde républicaine.
Je lui avais proposé de promouvoir ceux du Grand Sud pour établir l’équilibre. Il avait compris mes inquiétudes et m’avait demandé de prier avec lui. Nous avions prié. J’étais en train de découvrir une autre façon de gouverner. Sortant de l’école de M. Ahmadou Ahidjo, je trouvais cela très ridicule.»
Arol Ketch revient en détails sur la suite de l'histoire dans le livre « Les révélations de Jean Fochive ».