Opinions of Tuesday, 27 October 2015

Auteur: Nestor Djiatou

Comment Camair-co a précipité la chute d’Essimi Menye

Inéluctablement, c’est la descente aux enfers qui se dresse tel un épouvantail devant l’ancien ministre de l’Agriculture et du Développement rural, depuis son départ du gouvernement le 2 octobre dernier. Le dénouement d’une crise de confiance entre le Chef de l’Etat et lui, sur fond de haute trahison, pour le démarrage calamiteux de la Camair-co, qui compromet aujourd’hui l’avenir de la compagnie nationale de navigation aérienne. La colère de Zeus.

Essimi Menye est, au milieu de la dizaine des ministres sortis du gouvernement le 2 octobre dernier, celui dont l’avenir se conjugue avec arrestation programmée, ou silence total. Les Langues se délient progressivement dans les coulisses du sérail, et davantage dans son propre entourage, pour révéler que les carottes sont désormais cuites pour celui qui faisait partie des personnalités les plus écoutées du président. D’aucuns disent un de ses enfants chéris. Il se dit qu’il pourrait avoir à rendre gorge sur au moins une dizaine de dossiers qui l’accablent : entre autres, les affaires Amity Bank avec un gros brouillard sur une histoire d’environ 9 milliards de Fcfa, la cession de la société de tabac de l’Est à l’un de ses proches, le placement auprès d’une banque privée des avoirs de l’Etat, les affaires liées au cabinet Atou et la liquidation des ex-Oncpb, Ocb et Régifercam, la tentative de liquidation de la Cbc, le jeu trouble dans la fermeture de Cofinest, les acquisitions sur fond de filouterie de vastes espaces de terrains à Batchenga pour ses plantations, du reste à l’abandon aujourd’hui, le projet Maïs, des décaissements démesurés et obscurs d’énormes sommes d’argent pour le démarrage de la compagnie Camair-Co entre 2009 et 2010 et bien d’autres.

Même si l’information judiciaire ouverte contre lui porterait sur les affaires Amity Bank et la cession de la société de tabac de l’Est au profit de l’un de ses proches, c’est visiblement l’accès à la bonne information par le président de la république sur les décaissements colossaux sur fond de prévarication dans la mise en route de la Camair-Co par l’ancien ministre des Finances, qui aurait servi de pont de rupture entre les deux hommes. Et pour cause : Selon des sources introduites, et le ministre des Finances d’alors le rapportait lui-même à ses proches, Paul Biya avait fait de la création et de la mise en service de cette structure une question d’honneur.

Il aurait confié à quelques confidents qu’il avait trouvé à sa prise de fonction en 1982 une compagnie de navigation aérienne, l’ex-Camair, en bonne santé financière et économique laissée par son prédécesseur. Il aurait aussi juré de laisser comme héritage à la postérité une nouvelle compagnie bien portante. Mais aujourd’hui, le constat est aberrant : le Cameroun, pourtant présenté comme la locomotive de la zone Cemac, est la risée de toute la sous-région, en termes de navigation aérienne. Tous les pays de la zone, peutêtre à l’exception de la Rca en guerre, disposent de flottes consistantes qui s’en sortent dans la redoutable concurrence du trafic aérien international. Les derniers mouvements d’humeur des passagers Camair-co dans les aéroports de Douala et Yaoundé, en début septembre, auraient mis le président dans tous ses états, les rapports à lui parvenus sur la déliquescence programmée de la Camair- Co depuis sa création finissant de le convaincre sur la trahison de sa confiance.

Gestion personnalisée et nombriliste

Du coup, fort de cette marque de confiance, et de la carte blanche qu’il disposait du Chef de l’Etat pour mettre en route la Camair-co, Essimi Menye s’était arrogés des pouvoirs sans limite, à en croire certains cadres de la république. Aujourd’hui, des indiscrétions le présentent comme ordonnateur et payeur des dépenses liées à la création de la Camair-Co. Il se raconte dans les sphères du pouvoir que les dépenses étaient faites sans étude préalable et sans contrôle, le ministre ne rendant compte à personne, sauf au chef de l’Etat selon son entourage, de ses diligences. Sur fond d’arrogance et de méprise, il avait réussi à écraser tous ceux qui au sein du pouvoir tentaient d’aller contre ses désidératas, ravalant au rang d’observateur le ministre des Transports de l’époque - Gounouko Haounaye, et surtout obstruant tous les plans managériaux du Conseil d’administration que pilotait le premier ministre Philémon Yang, qui finalement s’était aussi tassé. L’ex-ministre des Finances était présenté comme l’oeil et l’oreille du président dans la conduite du dossier, mais ils sont nombreux à reconnaître aujourd’hui que tout était bâclé dès le départ, bâti autour d’un processus louche et peu transparent, au point où dans quelques milieux autorisés certains envisageaient sa privatisation alors que la société n’était même pas encore sur pied.

Ceux qui avaient le privilège d’être proches du dossier disent que le président le recevait au moins deux fois par semaine sur le dossier, et l’écoutait religieusement. Aidé en cela par le style séducteur et convaincant dans l’usage du verbe qu’on lui reconnait. A en croire les cancans qui se dégagent autour de l’affaire, Essimi Menye en profitait pour dévaluer et dépeindre le Conseil d’administration, qu’il présentait comme un conglomérat d’incompétents, incapables d’impulser la mise en route de la Camair-Co. Il est aujourd’hui de notoriété que le plan de création de la Camair-Co, concocté avec l’appui du cabinet Bekolo and partners, en collaboration avec certains cadres de l’ex-Camair, avait été préalablement rejeté par le tout puissant ministre.

Ce business plan prévoyait le lancement de la Camair-Co avec une subvention de 25 milliards de Fcfa, 3 avions et 400 employés. Aujourd’hui Camair-Co compte près de 1.000 employés avec u seul avion. Le business plan de l’ancien Minfi, lui, trouvait appui sur une prétendue expertise de la compagnie allemande Lufthansa dans l’équipement et la réhabilitation des aéronefs de la compagnie. Mais beaucoup se demandent à quoi il renvoyait en réalité, au regard de l’opacité qui entourait le processus. Il se dit que c’est le Directeur général de Sitrafer, par l’entregent d’un certain kiki, bien connu comme un affidé d’Essimi, qui l’avait présenté aux responsables de Lufthansa pour cette coopération, une donnée qui selon certaines sources introduites, expliquerait l’échec de Jacques Bimaï dans l’entrée au gouvernement, lui qui lorgnerait un strapontin ministériel depuis quelque temps. Une anecdote rapporte que le véritable logo de la Camair-co, présenté par un artiste camerounais, et payé par le conseil d’administration, avait été refusé par l’ex-Minfi pour de raisons incomprises. Et aujourd’hui, ce qui tient lieu de logo de la compagnie n’a rien d’esthétique, une juxtaposition de polices de caractères. Manifestement, c’est bien lui Essimi Menye que le chef de l’Etat avait décidé de suivre dans le dénouement de la crise ouverte entre le Conseil d’administration de la Camair-Co et lui, en dépit de sa gestion personnalisée et nombriliste, en validant l’option présentée par son ministre des Finances, au détriment de celui de son premier ministre.

Plus de 10 milliards de Fcfa

Mais il n’avait pas fallu du temps pour que le rafistolage dévoile ses limites. A peine revenue de la révision auprès d’une compagnie néerlandaise et non de Lufthansa pour marquer la mise en service de Camair-Co, le « Dja », le seul avion dont disposait la compagnie en propriété à cette époque, avait laissé transparaitre des frayeurs lors de la séance d’exhibition du décollage à l’aéroport international de Douala. On parle d’un train d’atterrissage qui aurait explosé, sans que l’indicent ne se signale sur le tableau de bord, obligeant Essimi Menye à le retourner en catimini pour des réajustements subséquents.

Combien avaient couté ces micmacs managériaux à l’Etat du Cameroun ? Difficile de savoir, tant, selon des indiscrétions qui filtrent aujourd’hui, le ministre ordonnait seul les dépenses sans consultation de ses collaborateurs. Son unique conseiller en la matière se trouvait être son partenaire Lufthansa, dont beaucoup cherchent sans trouver quelle était son apport dans la mise en service de la Camair-Co, comme contrepartie de ses encaissements financiers. D’après certaines coulisses du Palais d’Etoudi, personne ne peut dire avec exactitude le montant des débours dégagés par le ministère des Finances pour la mise en route de la compagnie. En cause, les procédures jugées sinueuses de décaissements utilisées par l’ex-Minfi pour financer le projet pour lequel il avait la haute confiance du Chef de l’Etat, et qui se permettait tout dérapage sa ns le moindre contrôle. A tout le moins, certains experts supputent des dépassements de coûts, pour l’entretien du « Dja », du fait du long temps passé en révision au Pays Bas.

En dehors de cette faille évidente, d’aucuns parlent des paiements opérés à travers des représentations diplomatiques du Cameroun à l’étranger, les canaux par lesquels le Minfi opérait des grosses dépenses de souveraineté de l’Etat - pour flouer les traces, ou pour faire chanter le pouvoir ?, pour lesquels les contrôles internes au sein du ministère des Finances n’ont pas la pleine souveraineté. Certaines sources évoquent le montant faramineux de 10 milliards de Fcfa qui auraient permis le financement du décollage de la Camair-Co. Mais d’autres pistes plus introduites dans le sérail évoquent des décaissements plus importants. Mais à quelles fins étaient destinés tous ces débours ? Des subterfuges financiers qui, selon nos sources bien futées, feraient actuellement l’objet d’investigations poussées de la part des fins limiers du Tcs - le Tribunal criminel spécial, dans le montage d’un nouveau dossier judiciaire contre l’ex- Minfi. Et Essimi Menye aura alors l’occasion de s’expliquer sur les raisons de cette haute trahison à l’égard de Paul Biya, qui était manifestement en quête d’un homme de confiance, au point de mettre le président en porte-àfaux avec ses anciens lieutenants d’hier. En dépit de sa prétendue déliquescence sanitaire.