Inutile de postuler si vous n’êtes pas le fils de… Les mastodontes d’Etat n’engagent pas le « tout venant ». Sauf à de rares exceptions.
Vendredi 18 Septembre 2014, le reporter du Jour se rend au siège de la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) à Yaoundé. Nous nous faisons passer pour un ingénieur en pétrochimie diplômé d’une université londonienne en quête d’un emploi et souhaitant rencontrer le responsable des ressources humaines.
L’idée est de susciter l’attention de la boite autour de ce profil excitant mais tout à fait fictif. Dès la guérite, c’est le vigile qui nous recadre. « Peu importe votre CV, il vous faut simplement déposer un dossier au courrier et on transmettra », tranche-t-il.
Nous insistons pour avoir un responsable de la boite et plaider cette cause. Peine perdue, la sécurité est intraitable. Nous composons un numéro de standard. Au bout de la ligne une dame nous réfère aux publications sur le site Internet.
« S’il y a une offre, on la publiesur notre site », nous indique- t-elle. Sur le site de la SNH, nous ne retrouvons aucune offre d’emploi. Par une recherche sur Google, nous remontons à des offres d’emploi datées de 2011 et 2012.
Elles sont logées dans la rubrique publications et concernent des vacances pour un ingénieur en économie des hydrocarbures, un ingénieur de forage et un cadre en ingénierie financière. Avec le service de presse de l’entreprise, nous ne sommes pas plus avancés.
On nous fait savoir qu’il faut déposer une demande au directeur général qui devra alors, s’il est d’accord, désigné quelqu’un pour nous parler. Belle manière de botter en touche. Au fond, la SNH entretient l’opacité sur son mode de recrutement.
Cette société pétrolière à capitaux publics, créée le 12 mars 1980, est réputée pour le traitement royal qu’elle offre à une partie de ses employés. « Ici, on n’entre pas si on ne connait personne », nous révèle sous anonymat un cadre qui y exerce depuis 15 ans.
Marchandages et trafic d’influence
De fait, les patronymes des employés renseignent sur la récurrence généalogique de ces happy few. « C’est toujours les mêmes noms, les mêmes tribus, nous autres on n’a pas voie au chapitre », peste Alain Mbella, un ingénieur diplômé de l’Ecole polytechnique de Yaoundé.
A la SNH, on retrouve plusieurs enfants -et autres membres de familles- de ministres, ainsi que ceux d’autres hauts commis de l’Etat et hauts gradés de l’armée. A la SNH et pas seulement.
La Cameroun Télécommunications (Camtel) est aussi un laboratoire du foisonnement illicite de la descendance d’une élite de fonctionnaires qui s’accaparent tous les privilèges. Créée en 1998, cette société, au capital de 50 milliards FCFA, est détenue à 100% par l’État camerounais.
Ses directeurs successifs jouent les réceptacles des aspirations hégémoniques d’une élite compradore. Les demandes affluent sur la table du directeur général qui se fait le devoir de donner suite aux sollicitations les plus hautes et les plus pressantes espérant lui-aussi un retour d’ascenseur si le vent venait à tourner.
Ainsi, à la Camtel, on dénombre au moins trois épouses de ministres ou ancien ministres, une épouse d’un maire influent de la ville de Yaoundé et même, framboise sur le gâteau, l’épouse d’un ancien Premier ministre. La société n’a pas de véritable organigramme et ce personnel est engagé au pif, sans profil réel.
L’essentiel ici est de contenter des hauts commis de l’Etat qui veulent « caser » des proches. Ce processus opaque et discriminatoire plombe forcément le rendement de l’entreprise qui a déjà frôlé la privatisation à deux reprises.
Pour soigner son apparence, la société fait semblant de s’ouvrir au jeu du marché et de la compétence. En mars de cette année, elle a lancé une série d’appels à candidatures pour des postes d’ingénieurs et de techniciens, dans le cadre de son projet Mobile Communications Network (MCN). Mais là encore, les postulants ne se faisaient pas trop d’illusions.
« Ils prendront d’abord les leurs, je tentais juste ma chance », soupire Dieudonné, un jeune ingénieur formé dans une structure privée de la ville de Yaoundé, qui dit avoir postulé à l’une de ces offres. A Camtel, des tests de recrutements sont souvent organisés, mais il s’agit pour l’essentiel de la poudre jetée aux yeux de naïfs.
Les vrais recrutements se font par dizaines et sous une cadence infernale qui tranche avec la santé brinquebalante de l’entreprise. Un simple accord du Dg, David Nkoto Emane, suffit pour décrocher un poste.
Des frères du village sont nombreux à émarger au fichier de l’entreprise, même s’ils sont confinés à de sombres tâches domestiques chez le Boss. A Camtel, la corruption a fait son lit. Un haut fonctionnaire aujourd’hui à la retraite avoue avoir payé deux fois 3 millions pour le recrutement direct de ses deux filles.
Dans cette opération, l’argent seul ne suffit pas. Encore faut-il savoir où frapper, car plusieurs « directeurs » doivent avoir leur part du gâteau. Cet ancien cadre des services sanitaires du pays s’appuie surtout sur l’un de ses frères en service dans l’entreprise.
Cette pratique de corruption est aussi courante dans les Aéroports du Cameroun (ADC) où l’actuel directeur général, Thomas Owona Assoumou, recrute à tour de bras.
Depuis sa nomination, c’est une déferlante. Du cadre au balayeur, tous les prétextes sont bons pour gonfler les effectifs et donner satisfaction aux frères et amis. Résultat des courses, l’entreprise décline dans ses performances.
La faute à un personnel oisif et peu qualifié. Avec un staff de 22 000 personnes, la Cameroon Development Coorporation (CDC) basée à Tiko est le plus grand employeur du pays après l’Etat. Si le recrutement massif de la main d’oeuvre locale y est privilégié, les critères de sélection ne sont pas toujours clairement définis.
Ainsi, un ancien étudiant de l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l'information et de la communication (Esstic) s’est vu propulsé à un poste important au service de la communication du seul fait de sa proximité tribale avec l’actuel directeur général, Franklin Ngoni Njié.
Les imposteurs s’engouffrent
L’opacité et le clientélisme dans le recrutement au sein de diverses entreprises d’Etat ouvre forcément la voie à l’imposture et au trafic d’influence. Puisque personne ne sait comment on recrute, des faussaires s’engouffrent dans la faille et se posent en hommes providentiels.
Dans un communiqué signé à Limbe le 7 septembre 2015, le directeur général de la Société nationale de raffinage (Sonara) indiquait que « des individus mal intentionnés et non identifiés ont ouvert des profils sur des réseaux sociaux à l’instar de Facebook en se servant du nom et des photos de son directeur général, monsieur Ibrahim Talba Malla ».
Il en appelait à la vigilance des internautes sur ce qu’il qualifiait « d’opération de malveillance » et en profitait pour annoncer qu’il « n’a jamais possédé de profil Facebook ».
Cette sortie faisait suite à une autre où l’ancien patron de la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures (Csph) dénonçait des escrocs qui faisaient miroiter emplois et formations professionnelles à la Sonara.
Pourtant, sans être exempt de trafic d’influence dans son processus de recrutement, la Sonara est l’une des rares sociétés d’Etat à oser la transparence dans le recrutement de ses cadres.
Le site Internet de la boite présente une section Carrières qui dévoile une vraie vision en matière de recrutement et de formation du personnel : « Vous postulez en réponse à une offre : votre profil est intéressant mais d'autres candidats sont plus en adéquation avec le profil recherché.
Dans ce cas, nous mettons votre CV en vivier afin de vous recontacter si une opportunité plus en adéquation avec votre profil se présente ultérieurement », indique par exemple cette page pour ceux qui répondent à une offre précise.
Pour les autres, il y a aussi moyen de tenter sa chance : « Vous postulez en spontané: votre profil est intéressant mais nous n'avons pas de poste à pourvoir immédiatement, nous mettons votre CV en vivier et vous recontactons dès qu'une opportunité se présente », précise encore cette section.
Il est donc possible de postuler à la Sonara à tout moment. Avec quelles chances ? Très peu, compte tenu de la morosité financière de cette entreprise à laquelle l’Etat devrait plus de 250 milliards de FCFA.
Les chances d’y rentrer sont-elles donc totalement nulles ? Que non ! Nous avons rencontré Rafael, un jeune ingénieur camerounais sorti de Polytechnique qui nous a juré y avoir décroché un emploi sans la moindre intervention.
« Je suis spécialiste en réseau informatique. Je travaillais d’abord au ministère des Postes et Télécommunications où je gagnais 200.000 FCFA ; j’ai vu cette offre de la Sonara et j’ai tenté ma chance. C’était un risque, car il m’ont d’abord pris comme stagiaire. Là je suis en voie d’être définitivement recruté et j’ai plus de 600.000 FCFA par mois.
Des cas comme le mien existent », conclut le garçon de 27 ans qui passe alors un weekend enjoué à Yaoundé. Une confidence qui résonne comme une note d’espoir. Un brin de lumière dans la galaxie nébuleuse des sociétés d’Etat camerounaises.