Opinions of Thursday, 24 December 2015
Auteur: Dr. Vincent-Sosthène FOUDA
Il était une fois, il y a très très longtemps, quand nos ancêtres étaient encore tous dans le ventre de la grande pierre génitrice Ngog Lituba personne ne savait que la terre était ronde. Pour eux, au bout de la Terre, il y avait le vide.
Les enfants avaient leurs jeux, les garçons s’exerçaient aux jeux de la virilité comme le lancer de la sagaie, les filles aux jeux de séduction dans les cours d’eau avoisinants comme le tambour aquatique. Les enfants vivaient en bande de génération, celle-ci se déterminait non pas par date de naissance, mais de lune et d’initiation. Nnanga était un gamin d’une grande agilité, mais aussi un érudit aux sciences des ancêtres et c’est ainsi qu’il régna sur son clan. Il instruisait, organisait des bandes pour aller chercher du bois mort pour les femmes, de l’eau pour les hommes qui n’étaient plus en âge d’aller prendre leur bain du soir à la rivière. C’est aussi lui qui montrait aux autres le chemin de la vie qui s’ouvrait entre les cuisses des femmes en passant par une toile d’araignée totémique.
Un jour donc, il appela un de ses frères, Beti’i qui n’était pas très vigoureux et se plaisait à rester dans la cuisine de leur maman.
– Tu n’es pas capable d’aller au-delà de cette grotte pourtant de l’autre côté, c’est un monde !!!
Les enfants horrifiés regardèrent Beti’i, celui-ci imperturbable, releva la tête fièrement et répondit à la ronde :
– Un jour, j’irai au-delà de cette grotte, je t’en fais la promesse grand frère…
Les jours passèrent, les saisons aussi, tout le monde avait oublié le Défi, même Mvële Beti’i … Mais le petit Beti’i, non …
Un jour, il se réveilla et il vit qu’autour de sa case, l’araignée ancestrale avait tissé sa grande toile l’empêchant ainsi de sortir pour une fois de la case maternelle qu’il aimait tant !
Il se dit :
– C’est un signe, je dois aller non seulement hors de la case, mais aussi hors de la grotte, si l’araignée est venue jusqu’ici c’est pour m’inviter à aller plus loin, pour tous mes frères, mais aussi pour trouver le secret de la consanguinité pour mes sœurs.
Derrière le corps de garde, était attaché l’âne de son père, il aimait particulièrement celui-là qu’il avait reçu de son ami Adama-Wa, lui murmura quelque chose à l’oreille, l’âne eut l’air d’acquiescer. Il fit donc un baluchon de ses maigres affaires, pris des fruits secs et du pain, et se dit « zen o, ane nlo dzobo »
Au début, il marcha, marcha, l’animal a ses côtés. Les nuits et les jours passèrent et il marchait toujours.
Quand ses jambes commencèrent à fatiguer, l’âne lui dit de monter sur son dos.
Plus il avançait et plus l’immensité de la forêt, de la savane s’ouvrait avec éclat devant lui. Mais il n’y avait pas d’homme ni de femme en vue … La nuit le ciel était rempli d’étoiles, et Beti’i s’aperçut qu’une étoile brillait plus fort que les autres…
Alors il murmura de nouveau dans l’oreille de l’âne, qui encore une fois fut d’accord avec lui :
– Nous allons nous reposer le jour et marcher la nuit, et suivre cette étoile.
Les jours et les nuits passèrent …
Dans son village, les parents pleuraient leur enfant disparu. Mvële Beti’i était honteux et inquiet, il était responsable de la disparition de son ami avec ce défi débile qu’il n’a pas pu stopper quand il a germer dans la tête de Nnanga et que celui-ci la planter dans le cercle des enfants dans le crâne de Beti’i. Il était sûr qu’il avait été mangé par les monstres du bout de la terre.
Pour Beti’i, les choses se passaient autrement. Il avait l’impression d’être dans un rêve, la fatigue et la chaleur, la brise du soir et le froid ne se faisaient pas sentir. Il était un aventurier …
Une nuit, enfin, il s’aperçut que l’étoile dans le ciel brillait encore plus fort. Il sentit qu’il était arrivé au village des hommes, d’autres hommes que ceux du ventre de la pierre sacrée….
Et il vit alors un endroit magique. Une sorte d’oasis dans un pays de steppe et de savane. Mille et une lumières de toutes les couleurs éclairaient la nuit…
Il y avait une grande maison et autour gravitaient de minuscules cases colorées d’argile rouge et de kaolin blanc, et autour de ces cases, se tenait une ronde de demoiselles aux hanches épaisses, il ne savait pas encore évaluer leur épaisseur…
L’une d’elles se détacha et vint à sa rencontre, prit sa main et le conduisit à la grande maison.
Un homme grand comme sculpté dans de l’ébène lui ouvrit la porte et lui dit :
– Qui es-tu ?? D’où viens-tu ?
Et Beti’i de lui raconter le défi, la toile d’araignée sur la porte de la case de la maman, le long voyage… et tout à coup, se mit à pleurer à chaudes larmes, son papa, sa maman lui manquaient, et il se rendit compte qu’il n’aurait plus le courage de faire le chemin inverse …
Le monsieur immense le prit dans ses bras, le consola et lui dit :
– Petit Beti’i ne t’inquiète pas, je suis vieux, mes yeux ont longtemps attendu ce moment, le moment où viendra jusqu’à moi le fils du ventre de la pierre sacrée. C’est toi le symbole de la nouvelle alliance. Désormais nous pourrons venir et partir dans les quatre coins de la terre des vivants. Au fait je me présente, mes filles m’ont donné comme nom « Medang Yobo, atobo nnam ya emomilan »…
Et d’installer Beti’i juste à côté de lui et toutes ses filles formèrent autour d’eux un cercle. Il lui expliqua que la terre est ronde, que les hommes d’engong et ceux d’Okui doivent vivre ensemble. Il lui apprit bien d’autres choses aussi…
Il lui dit, repose-toi, prends des forces, dans une lune ici mes filles danseront pour toi. Ainsi fut dit ainsi fut fait. La lune convenue, le village fut rempli de convives, de musiciens et de nombreux cadeaux qui venaient et sortaient de chaque case. Nous étions le 24 décembre, dans le calendrier de Ngog Lituba qui se mariait avec celui de cet autre village si ouvert et si accueillant.
Quatre jeunes filles aux hanches larges, aux seins en forme de mangue et à la bouche de goyave sortirent chacune de la cuisine de leur maman. Elles avaient ceint leur hanche d’un tissage d’obom teint aux feuilles d’eboam, le raisin géant de la forêt. Elles déposèrent aux pieds de leur père, un met de pistache d’un banc cassé accompagné d’igname taillée comme des pics. Le père se retourna vers ses épouses celles-ci acquiescèrent en dodelinant de la tête. Les joueurs de tamtams, de tambours et de xylophones marquèrent un arrêt. L’homme s’avança majestueux au milieu du corps-de-garde, il y déposa là un balai entre le « fleuve » et la « terre ferme » entre le « nord » et le « sud » entre le « jour » et la « nuit » entre Beti’i et lui. Le jeune homme prit à tour de rôle la main d’une de ses épouses et sauta le balai scellant ainsi pour toujours leur union. Cette cérémonie terminée, Beti’i dit à son bienfaiteur, que vais-je faire de tous ces cadeaux maintenant que je suis un homme ?
Il lui répondit : Comme il te plaira. Alors il alla dans l’arrière case et chuchota à l’oreille de son âne, celui-ci acquiesça. Il fut chargé de tous ces présents, Beti’i prit congé de son hôte et prit le chemin du retour accompagné de ses quatre épouses. Mais à peine avait-il disparu derrière les cases, pas loin du grand baobab qu’il vit l’entrée de la pierre sacrée. Alors tout heureux, il entra, ses frères étaient là autour du feu, il distribua des cadeaux pour tous.
Depuis ce jour, au pays Engong et Okui dénommé Ekang, on ne compte plus les saisons en terme de lune, chaque 24 décembre les enfants se rassemblent autour du feu, écoutent le récit de Beti’i et reçoivent des cadeaux chacun non selon un mérite, mais au nom de l’amour que Beti’i eu pour ses frères et ses sœurs et qu’il a logé dans le cœur de chaque parent.