Les actions de Boko Haram au Cameroun se sont nourries d'un manque de confiance des populations dans les autorités et ont isolé les communes du Nord du reste du monde. Si l'Extrême-Nord pourrait bénéficier de l'apport de stratégies contre l'extrémisme violent plus inclusives, nous pourrions aussi tirer les leçons des actions menées par les communes du Nord en partenariat avec la société civile pour reconstruire une relation de confiance entre les autorités et les populations.
Situées entre le Nigeria et le Tchad, certaines communes camerounaises partagent des kilomètres de frontière avec le Borno-State, fief de Boko Haram au Nigeria. Les communes du Nord ont subi depuis 2013 des attaques répétées par Boko Haram et ont vu une partie de leur population fuir la région pour se réfugier dans le Sud et dans la capitale. Les autorités locales travaillent à la prévention de l'extrémisme violent sur leur territoire mais sont confrontées à un manque de recherche, d'expertise et de ressources matérielles. L'Extrême-Nord est avant tout une région marginalisée, isolée du reste du pays et du reste du monde, isolée face à Boko Haram. Il faut donner une voix à cette région et porter notre attention sur le cas du Cameroun pour le placer au cœur des réflexions sur les stratégies de prévention de l'extrémisme violent.
L'arrivée du groupe armé sur le territoire a entraîné la fermeture des frontières avec le Nigeria, principal partenaire commercial de l'Extrême-Nord, ce qui a conduit à un appauvrissement de la région ainsi qu'à l'augmentation du chômage chez les jeunes. Ainsi, si une partie des recrutements du groupe armé sont forcés, une plus grande partie des recrutements est volontaire et s'explique principalement par la misère.
Le tourisme est à l'abandon. Les attaques et enlèvements de locaux et de touristes ont fait la une à répétition. Enfin, l'année dernière, l'UNICEF a recensé 120 écoles ayant fermé leurs portes, mettant en péril le futur d'une génération toute entière. Ironiquement, les conséquences de Boko Haram sur la région renforcent les conditions de vie qui augmentent l'adhésion au groupe armé. Ce sont ces différences culturelles, mais aussi l'urgence et l'ampleur du phénomène qui doivent être inclues dans l'élaboration de stratégies pour prévenir et contrer efficacement l'extrémisme violent dans la région.
Il existe un manque de confiance flagrant au Cameroun. Manque de confiance des populations envers les autorités, mais aussi du gouvernement central envers les communes du Nord. En 2013, lorsque les premières rumeurs de Boko Haram se font entendre, elles sont niées par le gouvernement qui croit discerner une tentative de coup d'Etat venant du Nord. Ce n'est que lorsque le maire de Kolofata, Dr Seiny Boukar Lamine, est enlevé que les maires des communes du Nord travaillent avec la société civile pour contrer Boko Haram. Ce manque de confiance a peu à peu été comblé par des initiatives issues de la société civile, messager approprié pour mener une action efficace de prévention et construire une relation de confiance.
C'est le cas de l'initiative Cameraction for Peace, créée en 2013 par ARK Jammers Connection, qui a été pionnière dans la région. Les jeunes venus du Nord ont reporté la présence de Boko Haram sur le territoire pour la première fois lors de leur concert. Aujourd'hui, elle travaille efficacement à l'unité et à l'intégrité nationale en partenariat avec les maires de la région et les jeunes, pour rassembler au-delà des divisions ethniques, religieuses et claniques.
Ce n'est qu'en portant une réflexion plus inclusive que nous pouvons, dans un même mouvement, repenser notre manière d'aborder l'extrémisme, en tirant les leçons des partenariats menés dans cette région afin de recréer une relation de confiance entre populations et autorités.
Il nous faut élaborer une stratégie pour contrer l'extrémisme violent qui ronge le Nord du Cameroun. L'urgence et l'ampleur du phénomène posent un défi. Le cas de l'Extrême-Nord du Cameroun ne doit pas être considéré comme un cas isolé. Les conséquences concrètes des actions de Boko Haram ont des réverbérations profondes sur le reste du monde. Il faut, au contraire, inclure et soutenir les initiatives et partenariats avec la société civile pour renforcer le sentiment de confiance et d'unité afin de prévenir et contrer l'extrémisme violent efficacement dans le Nord du Cameroun.
Les villes et communes de Kolofata, Kousseri, Mokolo et Meri/Diamare ainsi que le district Yaoundé 2 sont membres du Strong Cities Network, qui connecte entre eux politiques et professionnels au niveau municipal et local dans le monde entier afin d'échanger les meilleures pratiques et les leçons apprises en contrant l'extrémisme violent sous toutes ses formes. L'auteur a rencontré les maires de ces villes en mai 2016, et a interviewé Clarence Ruth Bekono Badibanga de ARK Jammers le 29 juin 2016.