Opinions of Wednesday, 2 August 2023

Auteur: Macaire Lemdja

Coups d'Etat militaires aux coups d'Etat civils : le cas du Cameroun

Il est analyste politique, géopolitique sur des questions politique et de défense Il est analyste politique, géopolitique sur des questions politique et de défense

L'histoire des coups d'état, qu'ils soient militaires ou civils est une longue tradition dans de nombreux pays africains, cependant les anciennes colonies françaises se taillent la part du lion dans cette pratique, que ce soit la prise du pouvoir par les armes ou par les violations de la constitution, ce phénomène est ancré dans les traditions politico-militaires de notre continent.
A travers ce texte, Macaire Lemdja analyste politique, géopolitique sur des questions politique et de défense, fait une analyse profonde de ce phénomène. Le texte avait été publié en 2009, il y a donc 14 ans.

« De nombreux coups d’état militaires, tentatives de coups d’état ont jalonné l’histoire de nos pays depuis leur indépendance. Dans certains de ces états, le règne des civils n’a été que de courte durée. Souvent sous la férule de jeunes officiers parfois sortis des rangs ou ayant servis dans l’armée coloniale, l’armée s’est emparée du pouvoir en invoquant toujours les mêmes raisons : Irresponsabilité des politiques, risques de guerres civiles, tribalisme, corruption, gabegie et cette liste des griefs n’est d’ailleurs pas exhaustive.

Pour donner une légitimité à leurs actions, en dehors des critiques faites aux civils qu’ils démettent de leurs fonctions, ils ont souvent affublé leur groupe de noms évocateurs tels que conseil national de la résistance ou de la rédemption ou de redressement etc.

Pourquoi font-ils irruption dans un champ logiquement réservé aux civils pourrait-on se demander ? La faillite des civils peut-elle justifier à elle seule la prise du pouvoir par l’armée dont la vocation première est et demeure la défense de l’intégrité des frontières nationales ? Une fois le pouvoir conquis dans ces pays, quels redressements ont-elles voulu, su, pu procéder ?

Après l’avènement du multipartisme dans tous ces pays, pourquoi rentrons-nous à nouveau dans une ère de coups d’états ? Pire pourquoi, malgré les protestations, les directives prescrites par les organes internationaux comme l’UA, ces militaires réussissent à légitimer ultérieurement, par des mascarades d’élections, leur présence au pouvoir ?

Si ce ne sont pas des coups d’état militaires, ce sont des coups d’état civils, institutionnels auxquels sont soumis ces pays. Sommes-nous condamnés à assister sans réagir à ce spectacle désolant que donnent de l’Afrique nos dirigeants politiques ou militaires ? Au vu du bilan de ces civils et/ou militaires au pouvoir, y a-t-il désormais une voie pour sortir l’Afrique post coloniale du cycle infernal des coups d’état militaires ou civils dans lequel elle est engluée depuis les années 60 ?

LES RAISONS DE L’ÉCHEC DES POUVOIRS CIVILS APRÈS L’INDÉPENDANCE

L’accession à l’indépendance de nos états s’est faite dans une effervescence politique marquée par l’émancipation politique d’une élite africaine, un syndicalisme avant-gardiste dans la lutte pour les droits des travailleurs, un pluralisme et un multipartisme qu’envieraient de nombreux pays aujourd’hui, des débats contradictoires d’idées avec des visions et projets de sociétés différents dont devraient s’inspirer nos leaders politiques actuels, des rassemblements politiques supranationaux tels que le RDA (Rassemblement Démocratique Africain) qui firent la fierté de l’Afrique politique naissante, des leaders patriotiques, nationalistes qui, bien que n’ayant pas apprécié à leur juste mesure les rapports de forces en présence qui leur étaient défavorables, ont néanmoins su donné aux générations que nous représentons aujourd’hui une fierté sans commune mesure avec la honte qu’inspire nos dirigeants actuels.

Alors que s’est-il donc passé pour que nos premiers dirigeants s’orientent vers des formes de gouvernement qui dénient aux citoyens tout droit à l’expression, à la liberté de pensée, au libre choix de ses représentants ? Vraisemblablement la guerre froide que la construction du mur de Berlin avait engendrée. Le Monde devenu bipolaire par la confrontation des deux grandes puissances, les USA et l’ex URSS, nous offrait la projection d’un spectacle dans lequel nos pays jouaient les rôles de pions sur un échiquier dont seules ces puissances maîtrisaient les enjeux.

Au nom de cette fameuse guerre froide, certains de nos premiers dirigeants, au mépris des intérêts de leurs peuples, instaurèrent des véritables dictatures accompagnées de toutes les formes de régression possibles : Economique et sociale notamment.

Dépourvus de légitimités populaires, ils gouvernèrent soit en s’adossant sur leur ethnie comme si ce socle ou sédiment tribal représentait un gage de sécurité et de pérennité absolue soit sur des armées dont le républicanisme en pleine gestation et construction demeure toujours inachevé aujourd’hui voir sur les deux à la fois. Ils multiplièrent au passage la gabegie, la corruption menaçant l’équilibre déjà précaire de leur économie embryonnaire.

La révolte couvait et ces pions risquaient alors de passer dans l’un ou l’autre camp. Ce fut le cas:
du Mali de Modibo KEITA,
du Togo d’OLYMPIO,
du Congo Brazzaville de Fulbert YOULOU,
du Congo Kinshasa de Patrice LUMUMBA,
du Bénin de SOGLO,
de la RCA de David DACKO,
du Tchad de François TOMBALBAYE
du Niger de Diori HAMANI
de la Mauritanie d’Ahmed OULD DADDAH.

Il y eut fort heureusement dans cette première cuvée des dirigeants qui trouvèrent un équilibre entre la soumission à ce jeu d’échec avec son cortège de privation de droits de leurs citoyens et l’impératif d’un développement harmonieux de leur pays.

Nous citerons les cas du Sénégal de SENGHOR reconnu à juste titre à l’époque pour les vertus démocratiques de sa gouvernance, la Côte d’Ivoire d’Houphouët BOIGNY pour son développement économique fulgurant qui masquait les carences en matière de libertés politiques, le Cameroun d’AHIDJO qui avançait lentement mais surement vers le progrès malgré la chape de plomb qui pesait lourdement sur la tête des opposants et enfin le Gabon qui voguait avec insouciance comme un bateau à gouvernail automatique dans une mer de richesse. Les premiers qui menaçaient l’équilibre de ce jeu d’échec par leur mauvaise gouvernance selon les règles édictées par ces puissances coloniales furent écartés du pouvoir par des militaires «Foccartisés» pour ne pas dire sous l’influence de cette nébuleuse que l’imaginaire populaire africaine appelle désormais la Francafrique.

LE POUVOIR POLITIQUE AU BOUT DU FUSIL EYADEMA du Togo et Sey ni KOUNTCHE du Niger furent les exemples emblématiques de cette dérive militaire que nombre d’observateurs justifiaient par l’instabilité ou le chaos dans lesquels risquait d’entraîner les civils (OLYMPIO et Diori HAMANI) si l’on n’y mettait pas fin rapidement. L’autisme de ces dirigeants civils face aux revendications de leur population n’était-il pas dû à cette règle non écrite qui déniait toute expression politique au nom de cette guerre froide et dont ils abusaient en toute circonstance ?

L’effet boomerang était assuré lorsqu’on était un dictateur «peu éclairé». Résultat des courses, une junte militaire s’y engouffrait aisément avec toujours les mêmes objectifs et un calendrier à géométrie variable comme ceux annoncés par l’actuel Président Mauritanien et ex-putschiste ou plus récemment par le capitaine Moussa DADIS de la Guinée.

Le bilan de leurs années de pouvoir fut aussi mauvais sinon catastrophique que celui des civils qui les avaient précédé et ce pour les mêmes raisons : Privations des droits d’expression individuelle et collective, mauvaise gestion des affaires publiques, absence d’alternance. Toutes choses qui pèsent actuellement sur la conduite du changement démocratique dans ces pays comme nous allons le voir un peu plus loin.

Il faut noter toutefois deux exceptions à ce médiocre bilan des militaires et qui ne sauraient justifier leur prise de pouvoir. Il s’agit respectivement du Ghana du Flight lieutenant Jerry RAWLINGS et du Mali du Colonel Amadou TOUMANI TOURE.

Les ferments d’une explosion « démocratique » non contrôlée car non préparée, étaient désormais réunis et n’attendaient plus qu’une ouverture. La chute du Mur de Berlin consécutive à la Pérestroïka engagée par GORBACHEV allait créer un vent de liberté en Afrique.

Nelson MANDELA fut libéré, les armatures de l’Apartheid tombèrent, le multipartisme devint légion à la suite du sommet de la Baule. On oublia néanmoins de proclamer qu’un multipartisme sans son corollaire, l’alternance, n’était qu’une démocratie de façade qui allait se muer à très grande vitesse dans nos pays après les premiers balbutiements démocratiques des années 90.

DE L’HIRONDELLE DU PRINTEMPS DÉMOCRATIQUE DES ANNÉES 90 AUX COUPS DE FORCES ACTUELLES.

Hormis deux représentants de cette génération de dirigeants africains qui avaient joué naïvement diront certains, le jeu de l’ouverture démocratique, en passant sous les fourches caudines des conférences nationales, Sassou NGUESSO et KEREKOU pour ne pas les citer, tous les autres dirigeants plieront comme des roseaux sans rompre. Après les premières élections pluralistes qui virent les opposants battre les sortants mais être spoliés néanmoins de leur victoire, selon les comptages officieux : Laurent GBAGBO contre Houphouët BOIGNY, Pierre MABOUNDOU contre Omar BONGO et Ni John FRU NDI contre Paul BIYA, nos pays, sous la houlette des civils ayant une légitimité contestée et contestable, sombrèrent inexorablement vers des « démocratures » c’est-à-dire des systèmes qui, pour bénéficier d’un quitus ou une caution international, organisent des élections supposées pluralistes et les gagnent au prix de toutes les contorsions imaginables (refus de candidatures gênantes, fichier électoral truqué, refus d’inscription d’électeurs, bourrage des urnes, contrôle du processus électoral par des organismes aux ordres du pouvoir, administration à la solde du pouvoir tout comme l’est la magistrature, des médias publics caporalisés, les acteurs de la société civile marginalisés, une opposition laminée par des divisions suscitées et entretenues par le pouvoir, des politiques sans envergure et sans reliefs, des partis sans projet et programme politiques etc ....).

Tout laisse croire que celui qui organise les élections les gagne automatiquement comme si tout organisateur d’une coupe du monde de football devrait obligatoirement la gagner. L’illusion d’une démocratie plurielle que la floraison de partis politiques, de journaux, des discussions libres voir des mouvements suscitaient, a désormais cédé la place au désenchantement.

COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?

Historiquement les victoires notamment politiques s’obtiennent toujours par le combat. Les forces engagées dans ce combat gèrent à tout moment des rapports qui donnent lieu à des victoires, des échecs ou des compromis. Or dans le cas qui concerne l’Afrique, le multipartisme qui constitue un élément parmi tant d’autres d’une démocratie, n’a pas été le résultat, comme le fut nos indépendances, d’une lutte endogène mais tout simplement un plat servi par des mains étrangères selon des données exogènes.

Surpris par cette « aumône » à laquelle personne ne s’y attendait, les uns et les autres dans une impréparation totale s’y jetèrent avec les nombreux errements que l’on constata et constate encore aujourd’hui. Le contraire aurait été étonnant.

LE CAS DU CAMEROUN

Au Cameroun, les vrais politiques, ceux qui avaient fait leurs armes pendant la période de lutte pour l’indépendance, avaient été soit éliminés soit laminés, inhibés ou exilés bref réduits à une population d’espèces disparues ou en voie de disparition.

La nature ayant horreur du vide, les derniers « Mohicans » de cette génération, les descendants par filiation de ces politiques, les apparatchiks de l’ancien parti unique, les fonctionnaires ambitieux ou en rupture de banc, les jeunes loups aux dents longues sans apprentissage s’improvisèrent homme politique et envahirent le champ politique camerounais.

Ce phénomène d’auto-titrisation de la personne, spécifique au Cameroun s’est d’ailleurs propagé à d’autres sphères dans notre pays. Après la dévaluation du Franc CFA en 1994, chacun s’improvisa homme d’affaires et maintenant opérateur économique.

Dans ce fourmillement indescriptible où les gens notamment dans l’opposition naissante n’avaient jamais connu de baptêmes de feu d’une campagne électorale, le pouvoir animé par des gens rompus aux arcanes de la politique politicienne n’eurent pas de mal à acheter la conscience des uns ou à phagocyter les autres. D’où les phénomènes de transhumance observés sur la scène politique camerounaise au gré d’opérations de chaises musicales lors des différents remaniements ministériels.

Le peuple, nos damnés de la terre qui avait tant cru à ceux qui pouvaient incarner le changement tant attendu, dû renoncer au combat en laissant sur les carreaux nos frères et sœurs. La suite nous la connaissons aujourd’hui, des pays qui vont mal économiquement, politiquement, socialement et culturellement.

A l’image d’un Sénégal dont la gestion de celui qui fut porteur du Sopi a régressé notamment sur le plan des libertés. Un Président qui, leader dans l’opposition faisait la fierté des africains et les sénégalais en particulier, cherche aujourd’hui à imposer son fils Karim WADE dans l’arène politique. Tout comme l’a fait Gnassingbé EYADEMA pour son fils Faure et Omar BONGO pour Ali et peut-être d’autres dans l’avenir.

Des objecteurs diront qu’en France, le Président SARKOZY n’hésite pas lui aussi à favoriser l’ascension de son fils, âgé seulement de 23 ans, fraîchement titulaire d’un DEUG de droit de la faculté de Paris ASSAS obtenu à la session de Septembre de l’année dernière, aux plus hautes sphères de la politique dans son département des Hauts-de-Seine et dans la Finance comme Président de l’EPAD , l’établissement qui gère le plus grand quartier d’affaires d’Europe.

Et si cela ne suffisait pas avant que la mort ne survienne, on modifie à souhait la constitution non seulement pour lever le verrou de la limitation des mandats afin de se perpétuer au pouvoir mais aussi pour s’octroyer une immunité dont tout le monde sait qu’elle n’a aucune valeur. Ce qui est fait par un homme peut l’être par un autre demain.

L’exemple de l’Italie avec l’annulation des lois protégeant le Président du conseil Berlusconi est tout frais pour rappeler nos dirigeants à la raison. Ce type de changement a fait tâche d’huile et se propage comme les métastases d’un cancer à l’Afrique toute région confondue.

De l’Algérie au Cameroun en passant par le Tchad et maintenant le Niger qui résiste tant bien que mal aux pressions de l’exécutif. Parfois ces toilettages ciblés n’ont pas permis de mettre en place, peut-être à dessein, des dispositions légales de transmission de pouvoirs en cas de vacances. N’est-ce pas un appel d’air programmé à ces militaires que l’on a choyé pendant des années à coup de prébendes et utilisé dans la répression féroce des manifestations ?

CONCLUSION:

Qui mieux que ceux qui se sont salis les mains pour assurer la pérennité d’un système. Nous vivons en direct et de façon dramatique l’histoire de nos frères et sœurs guinéens pour ne pas réfléchir aux voies et moyens qui nous permettront de préparer une alternance apaisée dans nos pays. Nous devons tous, sans exclusion, nous lever et agir afin que l’égoïsme de nos dirigeants ne nous mène pas dans l’abîme.