Le document de trois pages a largement fait le tour des réseaux sociaux. Ses rédacteurs, «l’association des patriarches Béti autochtones du Mfoundi» ne font aucun mystère du but ultime de leur démarche. Dans cette correspondance adressée au président de la République, ces derniers écrivent : «vous (Paul Biya, chef de l’Etat, Ndlr) avez décidé il y a quelques jours, d’élargir vos fils du Cameroun de la zone anglophone, parfois en rupture avec les bans de la République. Cette décision unanimement saluée, prouve bien que vous êtes le père du fils prodigue que la Bible raconte (…)
L’association des patriarches du Mfoundi qui n’en a jamais douté tient à vous en féliciter très chaleureusement », introduisent-ils. La lettre se poursuit en ces termes : « (…) Certains de nos compatriotes dont quelques fils du Mfoundi et de la région du Centre, se sont également rendus coupables d’actes repréhensibles par la loi. (…) Certains de nos compatriotes ont déjà bénéficié de votre clémence. Nous, patriarches du Mfoundi, venons très respectueusement par la présente vous soumettre également la cause de nos frères qui sont toujours privés de liberté, et qui n’en demeurent pas moins vos fils. Car l’unité et la paix du Cameroun ne peuvent se faire sans le Mfoundi et sans la région du Centre », soutiennent ces derniers.
Selon Émile Onambélé Zibi, patriarche du Mfoundi que notre confrère Cameroun-Info.Net a rencontré le 7 septembre dernier, cette lettre n’est pas une injonction au président de la République. « Nous lui disons tout simplement d’élargir sa générosité à ses autres fils. Tous sont ses enfants, c’est lui qui les a emmenés là-haut. Ils ont fauté, mais quand on tape sur son enfant, on ne le jette pas dehors », explique-t-il. Pour le socio politiste Claude Abe, cette sortie des patriarches du Mfoundi est « une imposture », même si ces derniers affirment que « les patriarches sont la voix du peuple ».
L’universitaire précise en outre qu’« il n’y a aucune valeur dans la culture béti qui encourage le vol ou le détournement des deniers publics. C’est pourquoi, ces patriarches du Mfoundi sont autant dangereux que des terroristes, dans la mesure où les terroristes tuent. Et ceux qui détournent l’argent public qui aurait servi à construire des écoles, des hôpitaux ou des routes, tuent également », professe Claude Abe.
CURIEUX AMALGAME
La lettre des patriarches autochtones du Mfoundi semble de fait mettre sur la balance les forfaits reprochés à certains compatriotes anglophones et ceux commis par des fils du Mfoundi dont ils demandent au chef de l’Etat la libération. « A propos de nos frères anglophones, écrivent-ils, leurs revendications même si elles sont assurément justifiées, ont parfois laissé place à quelques débordements pour le moins incompréhensibles : remettre en question le caractère historiquement définitif de l’unité de notre pays est un acte grave et inexplicable. Insulter, profaner nos emblèmes et surtout bruler le drapeau de la République est aussi grave que déclarer la partition du Cameroun unie et éternel.
Vous êtes un père, vous avez pardonné ! », rappellent les patriarches du Mfoundi. Un bien curieux amalgame surtout lorsque l’on sait que l’arrêt des poursuites à l’encontre des leaders de la crise anglophone, ordonné le 30 août dernier par le chef de l’Etat, intervient dans un contexte particulier et vise à apaiser les tensions nées de la gestion de ce dossier très sensible. De plus, l’acte présidentiel s’appuie sur une disposition du code de justice militaire qui encadre la prise de cette décision et fait référence à la préservation de la paix sociale.
Toute chose qui fait dire à un collègue du Pr Claude Abe qu’«il n’y a pas de comparaison possible entre les deux situations. Nous avons d’un côté des gens qui sont dans une démarche ethno nationaliste et qui demandent que l’on respecte leur singularité. Et de l’autre, un groupe d’individus qui défendent des criminels à cols blancs ». Dans un registre proche, un collègue de Claude Abe estime «que si les patriarches du Mfoundi avaient demandé une amnistie comme celle de 92 accordée aux personnes poursuivies dans le cadre du putsch manqué du 06 avril 1984, cela pouvait se comprendre. Il est dommage que cette demande s’inscrive dans une logique tribaliste », regrette-t-il.
OPÉRATION ÉPERVIER
Quoi qu’il en soit, la sortie des «patriarches autochtones du Mfoundi» a surpris plus d’un. L’on peut par ailleurs s’étonner de ce que ces derniers demandent la libération des «fils bétis» incarcérés dans le cadre de l’« opération épervier », alors même que les revendications anglophones n’ont jamais porté sur des cas comme ceux de Zacchaeus Mungwe Forjindam, ou même de Inoni Ephraim qui sont pourtant originaires respectivement du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Le premier, ancien directeur général du Chantier naval et industriel du Cameroun (CNIC) comme le second, ancien Premier ministre, ont été condamné par la justice pour détournements de deniers publics.
A en croire notre dernier interlocuteur, « la logique des patriarches du Mfoundi est dangereuse pour la République et l’Etat de droit. Il faut craindre un effet de contagion qui amènerait chaque région, chaque communauté, voire chaque village du Cameroun à réclamer la libération des siens convaincus de prédation de la fortune publique, sous prétexte qu’il faut sauver la paix », conclut-il.
Dans un contexte où le gouvernement multiplie les actes d’apaisement dans le cadre de la crise anglophone, la sortie des «patriarches autochtones du Mfoundi » sonne comme une provocation à l’endroit des compatriotes d’expression anglaise en particulier, et des républicains en général.