Opinions of Friday, 23 February 2018

Auteur: Delphine Nouvezem

Détournement massif de fonds à l'aéroport de Garoua

Depuis 7 ans, cet aéroport subit une série de réfections interminables dont personne ne voit le bout Depuis 7 ans, cet aéroport subit une série de réfections interminables dont personne ne voit le bout

A son arrivée au Ministère des Transports en octobre 2015, le Ministre Edgard Alain MEBE NGO’O a trouvé, dans certaines sociétés d’Etat placées sous sa tutelle, des pratiques très peu orthodoxes, mais tout à fait à son goût. Il s’agit d’arnaques en tout genre visant essentiellement à défaire le trésor public de gigantesques sommes d’argent dont l’unité de mesure est le milliard. Alléché par ces pratiques qui lui permettraient de maintenir son train de vie de prince de la forêt équatoriale, M. MEBE NGO’O a entrepris, avec un certain succès reconnaissons-le, de se les approprier.

Quelqu’un qui l’a vite compris est M. OWONA ASSOUMOU, un personnage au parcours scolaire et administratif flous, placé à la tête des Aéroports du Cameroun (ADC) par les réseaux du Professeur Séraphin Magloire FOUDA. M. OWONA ASSOUMOU ne voulant pas s’attirer les foudres de celui que d’aucuns présentent comme un bulldozer, s’est empressé d’aller lui prêter allégeance et lui expliquer comment il fait pour s’enrichir à travers des marchés de réhabilitation des aéroports internationaux de Yaoundé-Nsimalen, Douala et Garoua fictifs, bâclés ou outrageusement surfacturés. Il a lui-même expliqué que pour que la pilule passe, il faut faire la publicité de certains d’entre eux. Tout le monde se rappelle en effet de tout le ramdam fait autour de la réhabilitation de la piste de l’aéroport de Douala en 2016. Là-bas au moins, ils ont fait semblant de faire quelque chose de visible pour tromper un peu les camerounais qui, il faut le dire, sont habitués à la pacotille et s’en contentent très bien. Ce n’est pas le cas de l’aéroport international de Garoua.

Depuis 7 ans, cet aéroport subit une série de réfections interminables dont personne ne voit le bout. Les travaux, pour ceux qu’on a fait semblant d’entamer, n’avancent pas et les dépenses se chiffrent tout de même en milliards sans que les résultats escomptés soient obtenus. Dans le cadre de ces travaux, un marché a été attribué depuis l’année 2011 à la société Consortium Silicon Technology System pour la réfection de la toiture. Déjà en 2014, le Contrôle Supérieur de l’Etat avait révélé des pratiques mafieuses sur ce chantier, après que plus de deux milliards de F CFA aient déjà été débloqués. Les investigations à ce sujet sont mortes au sein de la police judicaire que tout le monde sait corrompue, monnayant des subsides pour que les enquêteurs ou plutôt leurs supérieurs s’achètent de nouvelles voitures…

Mais en 2016, le Gouverneur de la Région du Nord, M. ABATE EDI’I Jean, a tapé le point sur la table et saisi le Ministre des Transports pour lui dire « trop c’est trop ». La catastrophe ferroviaire d’Eseka étant encore trop fraiche dans les esprits, ce Haut Commis de l’Etat ne voulait pas être accusé de non-assistance à personnes en danger ou de défaillance dans ses fonctions s’il arrivait que l’état alarmant des infrastructures de l’aéroport international de Garoua cause le moindre incident. Le Gouverneur a exigé qu’une mission soit faite sur site par le Ministère des Transports pour évaluer l’ampleur du désastre. La mission qui s’est déroulée conjointement avec le Laboratoire National du Génie Civil a démontré que les craintes du Gouverneur étaient fondées, semant la panique au sein des ADC et provoquant le courroux du Ministre qui s’est rendu compte que ses collaborateurs n’avaient compris (ou voulu comprendre) son jeu, à savoir donner satisfaction au Gouverneur en effectuant la mission, mais biaiser ses résultats en élaborant de fausses conclusions. L’affaire était « dehors » comme on dit en langage parlé dans les rues de la capitale du Cameroun. Le Ministre des Transports a du sortir la tête de l’eau pour empêcher les suites normales de cette mission, soutenant ouvertement les détournements effectués par M. OWONA ASSOUMOU et ses responsables techniques et financiers, et agressant violemment les responsables du Ministère des Transports qui n’ont pas voulu participer à sa mascarade. Certains y ont même laissé leurs plumes. Le Procureur Général du Tribunal Criminel Spécial de Yaoundé a été saisi de l’affaire et a toute suite vu défiler dans son bureau des émissaires très hauts placés, lorsque ce n’était pas le Ministre des Transports lui-même, qui lui ont demandé de l’enterrer.

En juillet 2017, ayant suffisamment mis la pression sur les services judicaires pour ralentir les procédures, M. MEBE NGO’O s’est rendu personnellement à l’aéroport international de Garoua pour exprimer son satisfecit au vu de l’avancée des travaux en déclarant solennellement « la toiture est exécutée selon les règles l’art, et approuvée par les institutions compétentes en la matière ». Le bal des bouffons pourrait-on dire… Toujours est-il que tous ses efforts semblent payer. L’affaire est suspendue au niveau du Tribunal Criminel Spécial, comme tant d’autres finalement, même si l’on a découvert récemment que l’entreprise adjudicataire du marché de réfection de la toiture de l’aéroport de Garoua, le Consortium Silicon Technology System, n’est pas présente sur le terrain telle qu’enregistrée par son mandataire au Cameroun, M. Mohamadou DABO, et ses associés. M. Mohamadou DABO, homme d’affaires originaire du Grand Nord, aurait effectué lui-même des travaux, avec des prestataires sortis de nulle part et la complicité de M. OWONA ASSOUMOU à qui il reversait de fortes rétrocommissions. Nous n’exposerons pas sur la qualité des travaux qui laissent à désirer comme cela a été démontré suite à la mission exigée en 2016 par le Gouverneur de la Région du Nord. Au niveau du Tribunal Criminel Spécial, M. Mohamadou DABO est actuellement poursuivi pour « tromperie entre associés, escroquerie, faux en écriture de commerce et de banque, détournements de deniers publics ».

Mais n’oublions pas que nous sommes au Cameroun, pays désormais reconnu internationalement comme un paradis pour les délinquants à col blanc, surtout lorsqu’ils arrivent à s’inventer des liens familiaux avec le Président de la République, à l’instar de M. MEBE NGO’O Edgard Alain. En attendant que les choses changent, le mot d’ordre est : Silence… On vole.