L’activité épistolaire des deux anciens proches collaborateurs du président de la République donne à voir deux perceptions de « l’homme lion ». D’un côté un président tire-au-flanc et cynique, et d’un autre un chef d’Etat attentionné et travailleur. Regards croisés.
Deux anciens secrétaires généraux de la présidence de la République, tous deux détenus, tous deux devenus écrivains, et le président Paul Biya occupant une place centrale dans leurs épanchements épistolaires. Marafa Hamidou Yaya, secrétaire général de la présidence de la République entre 1997 et 2002, et Jean-Marie Atangana Mebara qui lui a succédé entre 2002 et 2006 évoquent dans leurs sorties, dix ans de présence aux côtés du président Paul Biya.
Les souvenirs que les deux personnalités retiennent de celui qui occupe le palais d’Etoudi depuis 1982 sont pratiquement aux antipodes les uns, des autres. Là où Marafa Hamidou Yaya a vu un président manipulateur et tire-au-flanc, qui a été à la manœuvre de sa descente aux enfers pour s’être, à tort ou à raison, prévalu d’un «grand destin national», Jean-Marie Atangana Mebara pour sa part garde le souvenir d’un Paul Biya, affairé pour la Nation, «gros travailleur», attentionné et protecteur, qui a été à ses côtés alors que le bal de vautours ne cessait de s’intensifier autour de lui.
En mai 2012, dans sa «lettre ouverte» au président Paul Biya, véritable pierre dans le jardin qui a hérissé Etoudi, le ministre d’Etat Marafa Hamidou Yaya, qui venait d’être mis sous mandat de dépôt à la prison centrale de Yaoundé, levait un pan de voile sur ses échanges avec le président de la République, alors qu’il venait de quitter le secrétariat général de la présidence de la République, pour le ministère de l’Administration territoriale. De cette lettre incendiaire, le public va découvrir les coulisses du pouvoir, mais surtout l’attitude de Paul Biya hors des cameras et dépouillé du masque officiel.
Marafa Hamidou Yaya rapportait cet échange avec le chef de l’Etat, dans lequel il révélait un certain cynisme que Paul Biya entretient à l’égard de ses ministres : « après la formation du gouvernement consécutif à l’élection présidentielle de 2004, vous m’avez accordé une audience au cours de laquelle vous m’avez demandé ce que les gens pensent du gouvernement. Je vous ai répondu qu’ils pensent qu’avec un effectif d’environ soixante-cinq (65) ministres et assimilés, le gouvernement est pléthorique et manquerait d’efficacité.
Entre agacement et irritation, vous m’avez tenu ces propos : ‘…Monsieur le ministre d’Etat, vous êtes combien de ministres dans ce gouvernement ? Peut-être dix (10) ou quinze (15) tout au plus. Le reste, ce sont des fonctionnaires à qui j’ai donné le titre’». Marafa note également qu’il s’ouvrait au président de la République chaque fois que la nécessité s’imposait, que ce dernier n’avait de cesse de le rassurer, et de lui renouveler sa confiance.
Alors que l’affaire de l’acquisition d’un aéronef présidentiel – l’Albatros – est passée entre les mains de la Justice, celui qui est devenu ministre de l’Administration territoriale en laissant le dossier que son successeur au secrétariat général, Jean-Marie Atangana Mebara, demande au président à être entendu par les juges.
«Monsieur le président de la République, que c’est moi qui vous ai sollicité, par correspondance en date du 7 mai 2008 à vous adressée, pour être entendu par les instances judiciaires compétentes, afin d’apporter mon témoignage et contribuer à la manifestation de la vérité dans cette scabreuse affaire que vous connaissez mieux que quiconque parce que régulièrement informé de ce processus d’acquisition de votre avion, que vous suiviez au jour le jour».
Et de constater avec amertume que « vous savez bien que mon incarcération n’a rien à voir avec cette affaire pour laquelle je ne suis coupable d’aucun délit et surtout pas de celui que vous avez instruit que l’on m’impute». A côté de ce cynisme que semblait déceler l’ancien ministre, Marafa Hamidou Yaya n’a pas oublié qu’un secrétaire général de la présidence de la République croûle sous le travail, le président Paul Biya ayant pris l’habitude de lui abandonner une part importante de responsabilités.
Dans son ouvrage, « Le choix de l’action», paru courant 2014, le prisonnier le plus prolixe du Sed rapporte cet épisode quand il était Sg/pr, alors qu’il rendait compte au chef de l’Etat des dossiers dont il s’était occupé pendant l’absence de ce dernier, le président Paul Biya va l’arrêter, se lever de son siège et faire signe à son collaborateur de prendre place, en lui indiquant de manière ironique que puisqu’il s’était occupé de tout, il a l’habitude de s’occuper de tout, il n’avait plus qu’à prendre le fauteuil de président de la République.
Plutôt Ange…