Opinions of Thursday, 3 September 2015

Auteur: Lamido de Banyo

Devoir de mémoire: Il faut identifier tous nos martyrs

La visite d’État du président français, François Hollande, le 03 Juillet dernier à Yaoundé, a ravivé chez certains de nos compatriotes, le problème de la colonisation en général et celle de la France en particulier.

Beaucoup de Camerounais pensent que la déclassification des archives françaises de la période coloniale – comme annoncée par le président Hollande -pourra permettre à coup sûr d’apporter un éclairage sur cet épisode douloureux de notre histoire.

Aurons-nous (enfin) la vérité ou bien une certaine vérité sous le prisme colonial ? Difficile de préjuger, même s’il faut se souvenir que l’Histoire est un enchainement de faits objectifs.

Nos propres archives n’ont certes pas été suffisamment et adéquatement exploitées. Tout comme les récits de notre tradition orale, alors que les acteurs et les victimes de cette période disparaissent inexorablement, emportant avec eux des pans entiers de cette mémoire nationale.

Si dans la partie méridionale et centrale de notre pays, un effort a été fait pour identifier quelques martyrs de la colonisation. Très peu a été par contre entrepris pour rapporter ce qu’il s’est passé dans le septentrion et dans d’autres régions comme l’Ouest, l’Est, le Nord-Ouest, ou le Sud-Ouest.

Ainsi, nous apprenons par exemple, la pendaison en 1914 de Roudolf Duala Manga Bell et de Ngosso Dine dans la région du Littoral ; de Martin Paul Samba, Charles Atangana et du chef Batanga Madola dans le Centre et le Sud. L’exil et la déportation du roi des Bamoun, Ibrahim Njoya à Yaoundé.

Tout se passe comme si dans certaines régions du pays, les colons ont été accueillis en messies. Or, la résistance à cette colonisation a été pourtant tout aussi farouche et, la répression particulièrement brutale dans la partie septentrionale vis-à-vis notamment des lamibé qui se sont dressé contre les colons entre 1899 et 1907.

Le lamido Souleymanou de Rey-Bouba a été tué en 1901, tout comme le lamido Mohamadou Abbo de Ngaoundéré. Le lamido Oumarou de Banyo a été exécuté après qu’il eut tué, de ses propres mains, Herman Nolte, Commandant la troupe allemande. Dans le même chapitre, son frère Yérima Issa et les principaux animateurs de la résistance : Adamou Pété Pété, Dan Sékara et beaucoup d’autres furent également exécutés en 1902 à Banyo.

L’émir Jubeïru de Yola fut exécuté la même année, de même que le lamido Hammadou de Maroua. Un peu plus tard, c’est à dire le 10 Juillet 1907, le Mahdi Goni Wadaye fut pendu au marché de Garoua avec plusieurs autres chefs de villages (lamido D’Agorna, Djaouro Bame, Djaouro d’Oubaouo, le lamido de Benguis, Ardo Benguis ainsi que le Mahdi Alhadji de Maroua).

Il convient d’effectuer un recensement exhaustif – pour chacune de nos régions – de ces héros. Je pense pour ma part, que nous devons faire un inventaire sans complaisance de tous ces martyrs de la colonisation, ainsi que de leurs hauts faits. Un peu comme on procède pour la béatification ou la canonisation chez les catholiques, avant de décider des cas qui méritent la reconnaissance nationale. Il convient de se départir de tout sentimentalisme et des sensibleries, pour ne retenir que les faits et les actions pour la grandeur du Cameroun, qui doivent prévaloir sur toutes autres considérations des lobbys ou groupes de pression.

A cette liste des héros de la colonisation allemande, doit s’ajouter la période coloniale française ou anglaise. Si nous nous contentons des contenus des archives des métropoles occidentales, nous risquons de déchanter et de retrouver les récits de la victoire des vainqueurs.

Comme lamido et citoyen, je me sens interpellé par cette dramatique histoire d’autant que Banyo a payé – à l’instar d’autres cités de notre pays – un lourd tribu. En écrivant mon livre « le lamidat de Banyo : Epreuves d’hier et défis d’aujourd’hui », j’ai consacré quelques lignes à ce que la chefferie traditionnelle a dû subir durant cette colonisation et au martyr de Ardo Oumarou de Banyo et de ses compagnons.

En effet, la colonisation allemande à Banyo fait l’objet du dossier N°565 aux archives nationales de Yaoundé. Il en ressort que deux colonnes allemandes, l’une venant de Bamenda commandée par le lieutenant-colonel Pavel et l’autre venant de Tibati, commandée par le lieutenant Herman Nolte, devaient faire jonction à Banyo au début de Février 1902. Yérima Issa, frère aîné de Ardo Oumarou s’était employé – en usant de faux renseignements et en lui créant des difficultés de ravitaillement – à détourner la colonne Pavel de sa trajectoire jusqu’à Banyo.

C’est ainsi que la colonne Nolte est arrivée en premier à Banyo le 1er Janvier 1902. Nolte a aussitôt entrepris contre l’avis du lamido, d’édifier un poste militaire au quartier administratif. Précisément à l’emplacement actuel de l’hôtel de ville de Banyo.

Il avait au préalable infiltré des espions et informateurs locaux qui l’ont renseigné sur les intentions bellicistes de Ardo Oumarou, si bien qu’à leur rencontre au lamidat, l’atmosphère d’hostilité réciproque était au paroxysme. Au moment où Nolte porta la main pour arrêter Yérima Issa, Ardo Oumarou lui assena un coup de poignard au niveau de la clavicule, car Nolte portait un gilet de protection. Avant de mourir, Nolte ordonna l’exécution de Ardo Oumarou qui fut tué et un combat s’engagea.

Les soldats mirent le feu partout et le palais fut entièrement consumé et toute la population déserta la ville pour se refugier qui à Boundji, qui à Nyatti dans les villages environnants. Quand la colonne du lieutenant-colonel Pavel arriva enfin à Banyo, elle constata un vide politique et juridique après la mort du lieutenant Herman Nolte et de Ardo Oumarou. Pavel découvrit également une ville fantôme. Yérima Issa et les principaux animateurs de la résistance (Dan Sékara et Adamou Pété Pété) furent arrêtés et condamnés à la déportation vers Buea via Tibati, Yoko et Douala.

Arrivés au niveau du fleuve Mbamti – ainsi appelé en amont du fleuve Mbam – ils refusèrent d’aller plus loin, tuèrent un des soldats d’escorte et furent exécutés à leur tour, officiellement pour tentative d’évasion. C’est ainsi que le lamidat de Banyo fut vaincu et entièrement soumis aux ordres des nouveaux maîtres. Hostiles et agressifs au départ à l’égard des lamibé, la colonisation allemande s’est rendu à l’évidence malgré leur omnipotence, de l’ingouvernabilité du territoire conquis, sans l’organisation chefferiale.

Les lamibé successifs sont ainsi devenus corvéables et taillables sans limites, et parfois contraints de jouer les bourreaux de leur propre peuple. La moindre contestation était violemment réprimée. Avant sa destitution, Les Allemands ont engagé le lamido Modibo Yahya à la répression contre le peuple Nyem-Nyem de Galim-Tignère. Les lamibé de Banyo (Modibbo Yahya, Mohaman Dicko, Aboubakar et Bobbowa Adamou) furent destitués, déportés et assignés à résidences loin de leur royaume par l’autorité coloniale. Les Allemands n’ont pas comme c’est souvent le cas, été précédés par des missionnaires et explorateurs pour baliser le terrain.

Ils ont essayé de développer le commerce et d’implanter quelques infrastructures administratives. En Septembre 1915, sous le commandement du capitaine Schibar, ils ont résisté trois mois durant à la coalition franco-britannique dans les fortifications édifiées sur le mont Djoumbal. Durant les combats, le capitaine Schibar fut tué ainsi que deux officiers anglais.

Fin 1916, les Allemands décrochèrent en deux colonnes, par Yoko d’une part, Mayo-Darlé et Ngouroré d’autre part pour se retirer vers la Guinée Espagnole (actuelle Guinée Equatoriale). Le territoire du lamidat de Banyo fut amputé de sa plus grande partie constituée par les terres hautes du plateau Mambila, rattaché au Nigeria en 1917.

Permettez-moi pour terminer, de partager avec vous ces mots de S.E. Paul Biya, prononcés le 10 février 2014 à la veille de la célébration de la 48ème édition de la fête nationale de la jeunesse. « Je voudrais, déclarait-il, qu’ensemble nous nous reportions cinquante ou soixante ans en arrière. C’est de l’Histoire, me direz-vous.

Certes, mais nous n’en avons peut-être pas tiré toutes les leçons. A cette époque troublée, ceux qui rêvaient de l’indépendance et de l’unité nationale étaient des jeunes comme vous. Ils différaient sur bien des points : l’idéologie, le parti, la stratégie, la tactique.

Mais l’objectif était clair : la Liberte . Et beaucoup se sont engagés dans ce combat, au péril de leur vie ». Nos héros et martyrs de la période coloniale sont-ils (vraiment) tous connus ? A l’évidence non. Combien de jeunes aujourd’hui connaissent-ils cette partie douloureuse de notre histoire qu’a été la colonisation ? Certainement très peu.

Il revient aux historiens et universitaires d’explorer ce véritable fatras, d’établir des critères et des typologies de personnalités éligibles au panthéon national, afin d’écrire véritablement cette partie de l’histoire du Cameroun, sans attendre celle du chasseur sur le lion, telle que relatée par Alphonse Daudet dans son récit burlesque de Tartarin de Tarascon. En attendant, chaque région est interpellée pour leur faire connaitre un pan de cette histoire, éventuellement avec toutes les anecdotes qui s’y rattachent.