Beaucoup d'artistes et professionnels d'autres secteurs pensent souvent, qu'arriver en France est un aboutissement de votre carrière. Pour le cinéaste camerounais Jean-Pierre Békolo, c'est une bêtise de penser comme cela. Il s'explique dans la tribune ci-dessous.

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"Je ne sais pas si vous avez lu comme moi dans les réseaux sociaux ces posts où certains remercient Dieu dès qu'ils posent le pied en France. Une fois arrivés dans ce pays, ils réalisent à quel point Dieu a "mis un œil sur eux" et comment finalement leur vie, leur carrière est une bénédiction.

En lisant ces posts, je me demande quel est le pays où ils voient soudainement Dieu? La France ? Et je me dis que s'ils arrivent à voir Dieu en France, est-ce parce qu'ils ont vu le diable au Cameroun ? Parce que ce Dieu qu'ils voient tout d'un coup quand ils foulent le sol français, où et quand leur apparaît-il ? Dans le ciel, juste avant l'atterrissage ? A l'aéroport devant l'agent d'immigration qui demande à voir leur visa ? Devant la Tour Eiffel ou sur les Champs Elysées quand ils voient toutes ces choses qu'ils ne peuvent pas s’offrir? Puisque beaucoup de Camerounais y voient Dieu, la France et surtout Paris seraient-il donc un paradis?

Un paradis où vivent ceux qu'on appelle la diaspora. Un véritable phénomène pour les Camerounais cette diaspora. Quand je vois le racisme anti-diaspora qu'il y a au Cameroun, mieux on est blanc là-bas. Dans une même famille, l'un part, l'autre reste, celui qui est parti devient tout à coup la diaspora... avec tout ce que cela implique. En même temps, c'est celui à qui on demande d'envoyer l'argent, et en même temps c'est celui à qui on fait "lire l'heure" quand il est au pays et qu'il essaie de monter un projet. Je me demande comment on peut faire ça à un gars qui vit au paradis? Si les hommes ont pu tuer Dieu qui a créé le paradis, qui sont les gars de la diaspora pour que les camerounais ne leur "montrent pas le feu" ? Cette diaspora à qui nous refusons la double nationalité va-t-elle juste être bonne à envoyer des Westerns Unions, à nous permettre de dire que nous camerounais sommes grands, quand l'un d'entre eux brille à l'étranger par son talent, une diaspora qui remplit encore les salles quand vous venez en tournée "européenne" ? La diaspora vous doit-elle quelque chose ? Pourquoi tant de haine et d'animosité contre la diaspora au Cameroun ? Le philosophe Alain Badiou explique ce phénomène malsain dont nous, Camerounais, devons nous débarrasser. Voilà quelqu'un qui, chez lui, déteste la diaspora et, parce qu'il arrive en France, remercie Dieu sur sa page Facebook, oubliant que c’est un pays où d'autres sont venus avant lui, et ont fait leur vie comme ils le pouvaient avec tout ce que l'on sait sur le plafond de verre, le racisme, la discrimination et que sais-je encore. Vous pensez qu'il n'a jamais entendu parler de tout ça ? Le problème est qu'il gère à la fois la haine et le désir. Alain Badiou appelle cela "le désir d'Occident".

Un phénomène qui frappe aussi beaucoup de djihadistes qui sont parfois de jeunes Arabes des banlieues européennes qui sont français, belges, anglais... parce que l'Occident ne leur a pas donné ce à quoi ils aspiraient, ils sont passés de l'autre côté et détestent maintenant cet Occident qu'ils désirent en même temps. Les Camerounais détestent leur diaspora parce qu'elle représente ce à quoi beaucoup aspirent en oubliant le prix à payer pour le choix qu'ils ont fait. Les gars, arrêtez de haïr vos frères de la diaspora pour rien, ils ne sont pas la cause de vos problèmes. Et une dernière chose, la France n'est pas le paradis, Dieu ne vit pas en France.

Si arriver en France est un aboutissement de votre carrière, cela n'a rien à voir avec la France, vous avez juste fait un voyage, et votre carrière peut vous amener dans bien d'autres pays, y compris le vôtre. Le monde est grand mais Dieu n'y vit pas, ce sont les hommes qui ont fait ce que vous voyez et admirez, vous le pouvez aussi chez vous, changez !"