À l’instar de toutes les personnes que l’actualité du Cameroun intéresse, j’ai vécu ces derniers jours dans l’attente frénétique de l’apparition du président Paul Biya.
Au regard des rumeurs qui couraient sur le net, l’annonçant à l’étranger, très malade pour les uns, carrément mort pour d’autres, sa simple apparition ne pouvait que constituer un message, un démenti formel et définitif que l’administration présidentielle n’a pas su/pu produire jusqu’à ce samedi 10 février. Le message est enfin passé. Le président Biya est présent au Cameroun et vivant. C’est à peu près la seule information que je retiens du discours du chef de l’État camerounais.
Même quand il a abordé des sujets aussi graves que la situation dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest où sévit la crise dite anglophone, le président n’a pas semblé mesurer à quel point elle illustre l’échec du vivre ensemble à la camerounaise. La colonisation avait séparé les Camerounais sans les consulter. Nos frères dits anglophones ont choisi, par référendum, de réparer la fracture coloniale. C’est ainsi que la République fédérale du Cameroun est née. Elle a été une greffe, et non un mariage. Dans un mariage, les partenaires s’unissent pour le meilleur et pour le pire. Je n’ai jamais entendu parler d’une greffe pour le pire.
Cependant, quand une greffe ne prend pas, l’organe greffé et la personne greffée ne survivent pas à l’échec. Ils en meurent tous les deux. Tout cela pour dire que j’aurais aimé entendre le président Biya sortir des lieux communs pour réaffirmer par les mots et, pourquoi pas, en prononçant ces mots depuis la ville de Buéa, l’égalité de droits et de devoirs de tous les Camerounais. À la place qu’il occupe, son devoir consiste à protéger le Cameroun et les Camerounais, sans aucune exception. Cette marque d’empathie aurait constitué un geste fort. Les habitants des régions abusivement traitées de sécessionnistes auraient apprécié. Ils ne demandent pas la lune aux autorités de leur pays, le Cameroun. C’est le silence de ces autorités, jusqu’au plus haut niveau de l’État, qui pousse certains d’entre eux à la surenchère et, pire encore, à la violence. Répondre à cette violence par une autre violence, c’est appliquer la loi du Talion.
À ce jeu-là, les protagonistes finissent par tous perdre toutes leurs dents et tous leurs yeux. J’insiste sur ce point parce que le président Biya donne en partie l’impression, par le discours, de tenir à l’unité territoriale du Cameroun. Pour mieux faire, il devrait accompagner cette posture d’actes et de preuves. L’une des façons de passer à l’action consisterait à procéder à une réorganisation administrative du Cameroun pour mettre un terme à cet apartheid linguistique qui enferme des Camerounais dans deux régions, depuis plus de 50 ans, sur la base de la langue. Ne pas le faire, c’est s’exposer en permanence au risque de voir des revendications citoyennes partagées par de nombreux Camerounais, être prises en otage par des groupuscules aux objectifs détestables.
Si les États-Unis, qui ont traversé une guerre de sécession, se croient en droit de donner des leçons au Cameroun sur la façon dont les leaders du mouvement ambazonien dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest doivent être traités, c’est parce que nos dirigeants ont toujours manqué de finesse et de sens de l’État dans la gestion de ce dossier. Avec les 23èmes jeux olympiques d’hiver, la Corée du Sud et la Corée du Nord sont en train d’ostensiblement amorcer leur unité. Cela ne fait pas les affaires du président des États-Unis, Donald Trump. Mais, puisque ça fait les affaires des deux peuples, leurs dirigeants se donnent les chances d’y arriver. Tout comme l’administration présidentielle camerounaise a été coupable de ne pas sortir les Camerounais de la spirale des rumeurs fantaisistes que le Web a propagées sur Paul Biya pendant des jours, Paul Biya lui-même pouvait faire mieux hier soir. Son discours a manqué de nerf, de saveur et de relief.
Au final, je l’ai trouvé plutôt décevant, eu égard au contexte dans lequel il a été prononcé.