Le complot a de l’allure. La 3ème personnalité de la République, le président de l’Assemblée nationale (Pan), Djibril Cavaye Yéguié, l’a porté sur la place publique. Lundi, 15 juin 2015 dans l’après-midi, il a fait afficher une note de service sur le tableau le plus consulté du palais de verre de Ngoa Ekéllé.
L’arrêté repris le lendemain par notre confrère Cameroon Tribune dénonce un acte de terrorisme. Après avoir insinué plusieurs fois qu’il connait les terroristes de Boko Haram ou leurs relais à l’intérieur de l’appareil étatique camerounais, le Pan a claqué un nom: Bouba Simala.
Ce capitaine de gendarmerie commis à sa garde aurait tenté de le faire kidnapper. Un savoureux article 2 dudit arrêté du Pan dit « Le ministre de la Défense, compétent pour connaitre des actes de terrorisme, d’incitation au braquage et à l’enlèvement que l’intéressé a bien voulu commettre à l’endroit du président de l’Assemblée nationale, prendra toutes les dispositions conformément à la loi en vigueur. »
Un complot de Saré
Comme l’auteur de cet acte spectaculaire devait s’y attendre, l’opinion s’est embrasée. Mais, le complot ne livrait pas encore tous ses ingrédients qui doivent en faire une affaire d’Etat. C’est le lendemain que, sous le ton de la confidence, cet « oubli » va être rattrapé par des « personnes introduites » auprès de la victime.
L’on va alors apprendre que, samedi 13 juin dernier, le Pan est allé faire un peu de sport sur les flancs du Mont Fébé au parcours Vita à Yaoundé. C’est pendant cette séance de sport que Bouba Simala et des complices auraient projeté de l’enlever.
Le Pan qui pratique assidûment la marche ou la course à pieds le fait sur plusieurs sites dont la route de Mfou, par exemple. Il choisit ses lieux d’entraînement au dernier moment. Est-ce pour cela que « les terroristes » ont dû communiquer au téléphone ?
C’est ce que semble avoir dit au Pan les agents d’un service qui découvre des complots tous les six mois sans y apporter des preuves. Selon des proches de la victime, les « oreilles » du service aurait fait la prouesse technique d’intercepter un appel de Bouba Simala, coordonnant le kidnapping.
Ils auraient tout de suite transmis l’enregistrement au Pan qui a sévi. Il faut dire que ce dernier, à en croire plus d’un, était légitime à reconnaître la voix de Bouba Simala et enclin à croire à des accusations portées contre « quelqu’un dont il veut se débarrasser depuis un moment », affirme un proche du Pan.
Un style singulier
Djibril Cavaye Yegué, selon toute vraisemblance, se sent étouffé par la prégnance de celui que tous présentent comme son ombre. Plusieurs fois, le Pan, qui est un homme assez direct voire vert de langage, s’est plaint de cet énième protégé.
« Il affirme qu’il a les prérogatives pour nommer qui il veut et préfère choisir les siens tant que ce n’est pas contraire à la loi. 98% des nominations et des avantages qu’il a le pouvoir de faire le sont en faveur des membres de sa famille ou de son clan », commente un proche du Pan. Selon plusieurs sources, c’est dans son vécu civil qu’il faut aller chercher pour comprendre un comportement aussi singulier.
Né vers 1940 sur les flancs du Mont Mandara dans le département du Margui Wandala, Yéguié est l’un des nombreux fils de Cavaye. Ce patriarche respecté de la tribu Mada sera considéré comme le chef quand il a fallu se faire représenter aux administrations coloniales d’abord et nationales après.
Il est donc fait chef de 3ème degré sur le tard. Moins farouche que les Zoulgo, Mouyang, Mboko, Ouldémé , Gueljeg et les Moloko qui peuplent la région à l’arrivée des « Blancs », les Madas, sous la conduite de Cavaye, vont les adopter. C’est par le jeu de ces relations que le chef consent à envoyer son fils Yeguié à l’école chez les missionnaires de l’Abbé Baba Simon qui implantent une paroisse.
Le village où tous les montagnards doivent s’établir est l’ancienne place de duel sur la plaine. La tribu la plus nombreuse, les Zoulgo, l’ont baptisé « Kudumbar ». C’est là que la ville va être bâtie. Pour ne pas paraitre partiaux, c’est l’appellation peulhe Tokombéré qui sera retenue. Deux groupes s’affrontent dès alors. Les Zoulgo, plus prospères, ont rallié les Gueljeg et les Mboko pour faire une chefferie rivale de celle de Cavaye.
Ses nouveaux protecteurs lui octroient un prénom « Gabriel ». Le jeune Yéguié grandit dans cet environnement, finit son cycle primaire et se rend à Mora. Dans cette ville qui est un poste avancé des Allemands dans la guerre contre Rabah, il va faire des rencontres.
Avec des hommes politiques comme Abba Boukar et Abba Malla, mais surtout avec le business. Gabriel Yeguié qui est très débrouillard passe très vite maître dans l’une comme dans l’autre de ses activités.
Il se forme à Garoua et se fait recruter comme maître d’éducation physique mais il a le business et la politique dans la peau. A la fin des années 1960, on lui connait de nombreuses activités commerciales, des activités maraîchères florissantes et même un commerce de voitures.
Il a une stature assez imposante quand survient la mort de son père qui s’est converti à l’Islam entretemps. Le patriarche a désigné Zaké Tinga pour lui succéder, mais Gabriel Yéguié devenu Djibril dans le sillage du défunt est le plus à même de porter la charge. Il a de puissantes relations et des moyens considérables. Mais, il surtout de l’ambition. Le député Abaga, lui, semble vulnérable.
Le fringant businessman
En 1971 Djibril Yeguié (qui va aussi prendre un patronyme, Cavaye) chef de Tokombéré, devient député du Cameroun oriental. En 1973, il est nommé questeur du bureau de l'Assemblée nationale.
En 1975, il entre au Comité central de l'Unc. En 1983, il est élu deuxième Vice-Président de l'Assemblée nationale, il va le rester cinq ans. En 1988 il est adjoint préfectoral dans le département du Diamaré. Il revient à l'Assemblée nationale en mars 1992 pour en être élu dans la foulée président.
L’homme politique va encaisser des coups et en rendre. Ses adversaires les plus farouches se recrutent à Tokombéré dont il n’a jamais pu en faire un fief. Des jeunes instruits de son arrondissement s’ingénient chaque fois à le contrarier. Bitchéré, premier à obtenir une licence, et Jean Baptiste Baskouda, ancien maire de Tokombéré, remuent des cendres de rancoeurs ataviques.
Ils ne se sont pas islamisés et promeuvent un concept qui va faire florès : la Kirditude. L’antagonisme musulman, animiste et chrétien. Ils ont le nombre. Djibril Cavaye Yeguié a des amis et des soutiens mystérieux. En réalité des membres de la tribu Mada et des amis qu’il a su se faire.
Le Pan, rendu très méfiant des attaques de ses adversaires s’est entouré de sa garde dont le premier élément est le capitaine Bouba Simala, un officier presque fabriqué par ses soins qui est passé de gendarme à officier « sans faire de stages », dénonce un militaire.
Cet homme qui est Mada comme le Pan n’est pas à proprement parler un parent. Il est à ses côtés depuis plus 20 ans disent des proches. On le décrit comme cupide. Le Pan l’aurait laissé délibérément s’enrichir pour avoir une prise sur lui. Il posséderait de nombreux biens immobiliers dont un immeuble à Paris.
C’est aujourd’hui cet affairisme qui semble être à l’origine de sa perte. « Il faisait tout au cabinet du Pan : recrutements monnayés, octrois davantages financiers indus et faux actes », énumère un proche du Pan. Pour notre source, la situation n’était plus tenable.
Djibril Cavaye Yéguié a alors promu un autre membre de sa garde : Boukar Abdourahim. Peu à peu le Pan a déchargé son homme de main de son influence. Le dernier cité n’est pas un Mada. Son père est un des nombreux marabouts qui se sont installés dans la cour du chef Mada.
Des mariages se sont faits. Il est donc un neveu lointain du Pan par la mère de celui-ci, qui va reprendre la main et a à son tour épousé une fille du Pan qui a une trentaine d’enfants. Secrétaire particulier du Pan, il est promu directeur de son cabinet.
Depuis quelques mois, c’est lui, qui s’occupe de mettre sous l’éteignoir l’encombrant capitaine qui, selon des sources, se sentant acculé, aurait tenté cette opération que le Pan lui reproche.