Partant de ce principe bien confucéen que nous connaissons certainement tous: "si tu vois un homme affamé, donne-lui un poisson, tu le nourriras pour un jour; mais apprends-lui à pêcher et il se nourrira toute sa vie", j'aimerai soulever une ou même deux petites questions: (1) Le Président de la république du Cameroun recommencera-t-il avec un autre don de 500 000 autres ordinateurs après la durée de vie de ceux-ci, 2 à 3 ans (bon peut-être même 4 ou 5 ans partant du contexte bien connu de débrouillardise dont sont capables les Camerounais)? Ensuite, que fera le Président de la république des autres centaines de milliers d’étudiants qui n’ont pas, eux-aussi, d’ordinateurs; que fera t-il des milliers qui entrent dans nos universités d’État chaque année, sans ordinateur?
Je promets de rester positif, je promets…, même si mes doutes sur certains Conseillers de notre État se confirment. Ils ne semblent avoir aucune vision; du moins, ceux et celles qui ont contribué à ce énième projet sans lendemain présentent un quotient diacritique impécunieux; ils n’ont pas compris, encore moins assimilé les politiques du développement et surtout les modalités de création de richesse en ce 21è siècle... Quels qu'en soient le contexte et les circonstances, il m’est difficile d’admettre qu'un Président de la république puisse seule décider d’endetter sa "Nation" pour offrir des dons « d’instruments » à un groupe d'individus car même dans des pays riches, ce type d’action ne se fait pas! Là bas, on y créer, au contraire, des structures pour faciliter l’achat par financement de ces outils, ces machines. C’est cela la responsabilisation citoyenne, mais aussi l’aide au développement dune économie de savoir, l’économie d’aujourd’hui, la créativité.
Les instruments comme ces ordinateurs sont certes des outils utiles, mais leur utilité est toujours limitée dans le temps. Nous pouvons donc difficilement admettre l’effectivité et même l’intelligibilité de ce projet pour la simple raison que la fourniture de ces instruments non-pérennes, individualistes et individualisant ressemble plutôt à une action politicienne (sans vision politique), à un feu de paille, à un brouillage… car ce n’est pas un parc public; non plus un hôpital, une borne d’eau potable, un groupe électrogène, un champ d’éoliennes ou de panneaux solaires pour produire l’électricité, un centre de recherche universitaire qui couteraient tous bien moins d’argent et serviraient bien plus la nation. Et Dieu seul sait toutes ces autres créations essentielles qui, d’urgence, manquent encore cruellement à notre pays.
Comme le disait Martin Heidegger, une fois usé, comme pour une paire de chaussure, l’instrument finira sa vie dans la poubelle. C’est bien ici le destin des 500 000 ordinateurs qui seront donnés aux étudiants Camerounais. Soyez rassurés, Professeur titulaire des universités dans une des 200 meilleures institutions académiques de notre globe, je respecte particulièrement les étudiants. D’ailleurs, je ne cesse de déplorer les conditions de travail dans les institutions universitaires du Cameroun dont les politiques, une fois plus, illustrent rien de moins qu’une incapacité de vision à long terme, un manque de créativité endémique, une incapacité à produire des emplois pour ses gradués, et, de surcroît, une incapacité chronique à produire une élite intellectuelle compétitive au niveau du continent. Bref, sur le plan académique, le Cameroun est devenu bon-dernier grâce à des politiques universitaires politiciennes qui n’ont absolument rien à voir avec l’intellectualisation réelle des ses étudiants et de ses enseignants.
Année après année, aujourd’hui, nous nous sommes habitués à voir plus de 50% de nos enseignants recalés aux concours CAMES; tout le monde trouve cela normal et personne ne dit rien (LCCLC… on va faire comment?) Nous sommes devenus bon-dernier en Afrique, car aucune de nos universités ne figure dans les tops 100 du continent. Une petite nation comme le Malawi, des pays pauvres comme Madagascar ou le Bénin, et même des pays qui ont vécu de graves drames sociaux comme le Soudan, le Rwanda et l’Égypte ont leurs universités dans la top-liste, mais pas le Cameroun. Notre enseignement supérieur a perdu son prestige alors qu’il faisait notre fierté et surtout celles des universités francophones du continent.
Aujourd’hui, pour mieux maitriser sa capacité de penser, l’universitaire camerounais est maintenu sous-perfusion; il est instrumentalisé, "enrégimentalisé"[1], il a perdu toute sa clarté et son désir datant d’excellence est réduit à zéro. La déclaration finale au 7e Congrès du Syndicat national des enseignants du Supérieur (SYNES) tenu à l’Université de Ngaoundéré en mars dernier, nous permet de constater comment nos universitaires sont réduits à quémander des structures de recherche pour arriver à faire éclore leurs idées, alors que c’est cela même la mission d’un universitaire.
Pour moi donc, ce don d’ordinateurs aux étudiants qui, subitement heureux, marchent pour remercier le Chef de l’État, n’est pas différent d'une livraison de sacs de riz à une localité affamée, peut-être à quelques mois des échéances électorales, alors que cette même localité est oubliée depuis des décennies, alors que sa population n’a même pas d’eau potable pour cuire ce riz… Vous me direz que la métaphore est forte, mais elle est analogique. Souvenez-vous de l’avis de recrutement de 25 000 jeunes diplômés dans la fonction publique en mars 2011… Nous savons tous que ce type d’actions ou de décisions ne servent pas à véritablement réduire le chômage des jeunes ni a améliorer leur éducation, mais, au contraire, à augmenter le taux d’endettement de notre Nation et à profiter à quelques Haut fonctionnaires d’État. Rebelote donc : 2016 : 500 000 ordinateurs; 2011 : 25 000 emplois de jeunes diplômés; et 2010 : 50 000 F. CFA comme argent de poche pour chaque étudiant. Au final des milliards de F. CFA d’endettement et des étudiants et des universités toujours loin derrière, bons-derniers, comme quoi un peu de créativité politique au bénéfice de toute la Nation ne nuirait personne, au contraire!
J’ose aujourd’hui croire que les Camerounais ne sont plus dupes; qu’ils veulent un changement réel dans leur vie de tous les jours; j’ose espérer qu’ils ne se feront plus flouer, une fois de plus, avec ces actions politiciennes sans lendemain, cette politique du ventre qui les garde dans la dépendance, dans l’attente du geste qui viendra toujours, ironiquement, d’en haut, d’ailleurs, et non d’eux-mêmes… Voyez-vous, nous, Camerounais, méritons mieux et sommes capables de bien mieux!
« L’Éducation est l’arme la plus puissante que nous pouvons utiliser pour changer le monde »
(Nelson R. Mandela)
Correspondance de:
Pr. Boulou Ebanda nya B’bedi, Ph.D.
Professeur titulaire des universités et Directeur de recherche
Université d’Ottawa