Les soldats ont la gâchette facile. Le meurtre du chef de bataillon Ayissi Tsanga le 04 octobre dernier à Mora dans la région de l’Extrême-Nord par un militaire de rang révèle un malaise qui s’enracine progressivement au sein de l’armée camerounaise.
Après le drame de Kousseri le 13 juillet dernier, cette nouvelle tuerie traduit soit un déficit au niveau de la formation des soldats, soit un réel mécontentement dans les rangs, révélateur de la fracture qui a toujours existé entre les chefs militaires et les troupes.
Au front contre Boko Haram, deux chefs militaires tués en trois mois par des hommes de rangs.
Dans l’après-midi du 04 octobre dernier à Mora, dans la région de l’Extrême Nord, un soldat de deuxième classe, Jean Blaise Wouboune en l’occurrence, en service à la 43e Brigade d’infanterie motorisée (Bim) et détaché à la Force multinationale mixte (Fmm), a froidement abattu le chef de bataillon Marc Narcisse Ayissi Tsanga, chef d’Etat-major de la 41e Bim, qui était également en détachement à la Fmm comme commandant du 2e soussecteur numéro 1 à Bonderi (Mayo-Sava), avant de retourner son arme contre lui. Sur les mobiles d’un tel drame, des témoins racontent que ce jour-là, un détachement des soldats de la Fmm de Bonderi arrive à Mora pour se ravitailler.
A la fin, une vive dispute éclate entre eux. L’officier supérieur intime l’ordre à tous les occupants du pick-up de descendre de la voiture. Tous obtempèrent, sauf le soldat de 2e classe Wouboune. Devant ce refus qui frise l’indiscipline, le chef de bataillon Ayissi Tsanga décide de le conduire à la brigade de gendarmerie de Mora pour le constat d’usage.
Pendant que le commandant de brigade s’amène pour les entendre, le soldat Wouboune sort son arme et tire à bout portant sur son supérieur, qui meurt sur-le-champ. Les gendarmes en poste prendront la poudre d’escampette pour se mettre à l’abri du forcené. Seuls ses camarades d’armes réagissent en tentant de l’empêcher de fuir. Coincé, il préférera se tirer une balle au niveau du cou et rendra immédiatement l’âme.
Autre lieu, autre tableau. Le 15 juillet dernier, l’élève gendarme Jude Woumessi, en service à l’escadron de Kousseri, abat de sang-froid le commandant de l’escadron numéro 33, le capitaine Ondoua Ondoua, ses camarades filles Mah Bébé et Carole Ndengue Kebe, et la nommée Ibrahim, tenancière du restaurant du foyer de la compagnie de gendarmerie qui jouxte l’escadron.
Au total, quatre personnes sur le carreau et un blessé, le gendarme Mouliom. Des témoignages font état de ce que Jude Woumessi serait entré dans le bureau du commandant d’escadron pour un service, mais ce dernier aurait sorti son pistolet pour lui demander de sortir. Ce qui aurait mis le jeune pandore hors de lui.
Rapports à charge
Maîtrisé et mis aux arrêts, les résultats de l’enquête ouverte à la suite de ce carnage ne sont pas connus à ce jour. Tout juste sait-on que cet élément a été radié du corps de la gendarmerie nationale et qu’il est poursuivi devant le tribunal militaire. Il se dit qu’un climat de tension régnait depuis entre l’officier et son jeune collaborateur. Le deuxième, prétendument indiscipliné, estimait que le premier faisait des rapports à charge contre lui.
Depuis le 1er juin dernier, une trentaine de militaires de l’armée de l’air détachés au front pour le compte de la Force mixte multinationale sont entrés en colère parce qu’ils n’ont pas été relevés depuis deux bonnes années et que leurs primes reversées au niveau de l’état-major ne leur parvenaient pas intégralement.
Le 3 juin, ils avaient barré la nationale numéro 1 sur le tronçon Mora-Kousseri à l’aide de poteaux électriques. La circulation est restée complètement bloquée pendant plusieurs heures. Il aura fallu l’arrivée du commandant du secteur numéro 1 de la Fmm, le général Bouba Dobekreo et du commandant la 4e région militaire interarmées d’alors, le général Valère Nka, pour apaiser le climat.
Ces trois tableaux traduisent le climat tendu et délétère qui règne entre les responsables des armées et leurs subalternes. La tuerie de Mora qui a vu la mort du chef de bataillon Ayissi Tsanga et le soldat de deuxième classe Woubouné a soulevé un vif débat sur les réseaux sociaux. Et le compte Facebook « Unions des soldats du monde » bat le record des commentaires. « De nos jours, les chefs traduisent leurs hommes en justice. Pourtant, ils ont d’autres moyens de redressement […]. Il y a des fous dans les rangs à qui on continue à donner des armes », commente l’internaute Emmanuel Ngompe.
Thérapie de choc
Un militaire se laisse aller en indiquant : « Nombreux entrent dans l’armée pour défendre les couleurs d’une nation, mais plusieurs chefs trouvés sur le terrain deviennent de véritables bourreaux pour les subordonnés. Que notre père cause avec les soldats, il saura que rien ne va ». Un commentaire vite corroboré par un camarade d’armes.
« Les militaires et gendarmes qui sont au front viennent de diverses unités et de différents corps. Il va de soi que l’incompréhension, la méfiance et autres suspicions viennent à interférer ». Il estime que les rapports envoyés à la hiérarchie ne reflètent pas toujours la réalité.
« S’il faut ajouter à cela la brimade des chefs, le stress de la guerre, les images choquantes des camarades d’armes morts en guerre suite aux fusillades, aux mines anti personnelles ou aux engins explosifs, on comprend que nos militaires ont besoin d’une thérapie de choc », écrit un homme d’arme sous le signe de l’anonymat.
« Ils se pavanent avec les voitures de liaisons et de fonction, nous piétinent et nous font souffrir physiquement et moralement sans qu’on ne bronche au prétexte du respect de la discipline. On dirait que c’est une forme de brimade et d’esclavage », se lamente un autre en service à Maroua.