Il y a une semaine, le déraillement d’un train de voyageurs entre Yaoundé et Douala, au Cameroun, choquait tout le pays. L’accident a été dramatique : il a fait 79 morts et 600 blessés. Retour sur cette journée grâce à des propos recueillis à Eseka, la ville où s’est produit l’accident, et à Douala. De notre envoyée spéciale à Esaka,
« C’était mon premier voyage en train. » Brice a 20 ans et s’il a pris le train ce jour-là, c’est parce qu’un pont s’était effondré sur la route entre Yaoundé et Douala. Des centaines de personnes avaient fait le même choix que lui. « Arrivé à la gare, c’était saturé. Trop de personnes… On aurait dit que toute la ville était là-bas », raconte-t-il.
La compagnie Camrail, qui exploite les chemins de fer, décide alors d’ajouter des wagons. Le train quitte Yaoundé avec 17 voitures, huit de plus que d’habitude. Aujourd’hui, cette décision suscite de nombreuses critiques mais pour le groupe Bolloré, l’actionnaire majoritaire de Camrail, la procédure n’a rien d’anormal.
Le président de Bolloré Africa Railways, Eric Melet, explique : « Il n’y a aucune ambiguïté là-dessus, c’est tout simplement Camrail, comme il le fait systématiquement pour des trains de marchandises ou pour des trains de passagers, qui a dit : ” Voilà, compte tenu de la demande, on forme le train de telle et telle manière “. » Et d’ajouter :
« L’information a été donnée au ministère des Transports, qui, à ce moment-là, a dit : ” Ah ben oui, la solution proposée, le nombre de places proposées, est une bonne chose “. Ça n’a eu lieu que parce que le ministère compétent se préoccupait, à juste titre, du transport des Camerounais entre Douala et Yaoundé. En temps normal, Camrail procède à l’ajustement de ses trains, du nombre de wagons, etc. sans en parler particulièrement au ministère des Transports. »
Le groupe Bolloré assure que la capacité d’accueil des voitures n’a pas été dépassée, mais plusieurs témoignages, dont celui de Brice, montrent que certains wagons semblaient bien surchargés. « Il y avait du monde, donc j’étais debout entre les deux portes de derrière », rapporte ce dernier.
« A côté de moi, continue-t-il, il y avait deux filles assises au sol. Une fille debout qui, elle aussi, grâce à Dieu, a survécu et nous sommes revenus ensemble. Il y avait une mère assise sur ses bagages, une grosse femme et deux jeunes. Six ou sept personnes derrière encore. On aurait pu former une équipe de foot là-derrière, nous étions très nombreux. »
Rien n’indique ce vendredi 28 octobre 2016 que le grand nombre de passagers ait pu jouer un rôle dans le déraillement. En revanche, cela a considérablement alourdi le bilan de la catastrophe. La majorité des victimes se trouvaient dans ces voitures en queue du train, là où les places sont les moins chères.
Le conducteur n’aurait pas réussi à freiner
Alors, il existe une autre piste : la vitesse du train. Le groupe Bolloré a indiqué cette semaine qu’elle était excessive. Plusieurs rescapés confirment : « Arrivés à un virage, on a commencé à sentir une odeur de fumée. Une jeune fille a demandé ce que c’était, je lui ai dit que c’était comme quand les pneus freinent sur le goudron, il y a une odeur de fumée, c’est un peu ça que je sentais », se souvient Brice.
« Dès qu’on est sorti du dernier tunnel, subitement le train a accéléré, il allait très vite. Mon voisin m’a dit qu’on avait atteint la vitesse de croisière, 90 km/h. A peine une minute après qu’il ait dit ça, le train a basculé. C’est comme un film que j’ai vécu. Le train bascule, ça tape, le tonneau, ça descend, ça descend », conclut-il.
Pour l’instant, il est beaucoup trop tôt pour dire si la vitesse a provoqué le déraillement. De nombreux autres facteurs ont pu jouer un rôle. L’odeur de brûlé, ressentie par plusieurs rescapés, laisse penser que le conducteur n’a pas réussi à freiner. Et, selon un employé de Camrail, c’est parce que certaines voitures ne sont pas totalement opérationnelles.
Cet employé a tenu à rester anonyme, car l’entreprise Camrail interdit à tous ses employés de parler à la presse depuis l’accident. Il évoque « l’acquisition de nouvelles voitures, celles qu’on appelle ” voitures chinoises ” ».
« Leur système de freinage n’est pas compatible avec celui que nous avons dans nos locomotives en service. Lorsqu’on s’est rendu compte que les ” voitures chinoises ” mises entre elles exclusivement connaissaient des problèmes de freinage, on a trouvé la technique d’associer les anciennes voitures françaises dans les rames pour assurer un meilleur freinage. »
« Ce n’est pas un secret pour les cheminots, même s’il nous est interdit d’en parler. Tout le monde le sait, la hiérarchie aussi. J’espère tout simplement qu’on ne va pas sacrifier l’équipe de conduite de ce train parce qu’ils n’y sont pour rien. Ils ne sont pas des décideurs. Ils obéissent aux ordres et c’est la hiérarchie qui les donne. »
Le groupe Bolloré comprend les critiques, qu’il juge normales dans ce type de situations éprouvantes. Mais il rappelle qu’il faut absolument attendre le résultat des enquêtes pour savoir vraiment ce qui a provoqué le déraillement du train.