C’est sans doute une preuve supplémentaire de l’immixtion du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires liées à l’opération baptisée « Epervier ». Le 7 octobre 2014, le ministre d’Etat, ministre de la Justice adresse une lettre au ministre secrétaire général de la présidence de la République avec comme objet : « Affaire fonds débloqués à la Banque atlantique du Cameroun S.A (Bacm), patrimoine de l’ex-Société camerounaise de tabac (Sct), affaire contre ministre Essimi Menye ».
Dans cette correspondance de Laurent Esso, qui s’achève par « hautes instructions sollicitées », le garde des Sceaux indique que suite à une dénonciation reçue au parquet près le Tribunal criminel spécial, relative à la liquidation d’Amity Bank, le procureur général, Emile Zéphirin Nsoga, lui a fait parvenir le rapport d’étape de l’enquête diligentée par le corps spécialisé d’officiers de police judiciaire, duquel il ressort que le ministre des Finances de l’époque, Essimi Menye, a signé une convention avec la Banque atlantique le 9 mai 2009 en vue de la reprise des activités de Amity Bank.
D’après le garde des Sceaux, selon cette convention, l’Etat devait payer 9 025 000 000 Fcfa (neuf milliards vingt cinq millions de francs Cfa) à Banque atlantique en douze semestrialités avec quatre années de différé. En contrepartie, l’Etat devait recevoir les créances douteuses de Amity Bank à concurrence du même montant et en confiait le recouvrement à la Société camerounaise de recouvrement (Src).
Laurent Esso écrit plus loin qu’ « à ce jour, l’Etat a déjà payé deux semestrialités, une de 676.531.000 Fcfa et une de 684.032.500 Fcfa, soit un total de 1.360.563.500 Fcfa. En contrepartie, l’Etat n’a pas reçu les créances douteuses sus-évoquées pour les faire recouvrer. Par ailleurs Amity Bank a été mise en liquidation en décembre 2013 et on ignore désormais le sort de la convention face à cette nouvelle donne ».
Le ministre de la Justice achève sa correspondance de manière sentencieuse : « Pour élucider ces points d’ombre, les cadres du ministère des Finances interrogés [leurs identités ne sont pas curieusement précisées, ndlr] déclarent tout ignorer de cet aspect du problème. L’audition du ministre Essimi Menye s’avère donc nécessaire. A cet effet, je me propose de le faire entendre comme témoin au cabinet du procureur général près le Tribunal criminel spécial dans le cadre de cette enquête », écrit-il.
C’est finalement le 13 janvier 2015 que Ferdinand Ngoh Ngoh, sans doute avec l’accord du président de la République, autorise l’audition du ministre Essimi Menye. Lequel s’étonnera plus tard, au cours d’une conversation à bâtons rompus, que sa convocation et même le procès-verbal de son audition meublaient déjà à cette époque les colonnes de certains journaux, comme si son procès était déjà instruit par une main invisible.
C’est une fois déchargé de ses fonctions que l’ex-Minader, qui a toujours clamé son innocence, va se rendre à l’évidence. Interné à l’hôpital de la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps) pour une maladie qui nécessite une évacuation sanitaire, d’après un rapport du ministre de la Santé publique, le patient de la chambre 434 est gardé par une demi-douzaine de gendarmes et constitue désormais du pain béni pour la rumeur. Quand elle ne le place pas en détention préventive à la prison de Kondengui, « radio-trottoir » annonce son évacuation ou le donne pour mort. « Assigné à résidence à l’hôpital », le panafricain Jeune Afrique en a rajouté une louche cette semaine. « Programmé pour la broyeuse judiciaire», devrait-on ajouter. Et que dit Paul Biya, le dresseur de l’Epervier, dans ce cinéma ?