Le président sénégalais a affirmé ne pas solliciter un 3eme mandat en 2024. Un discours déjà entendu de certains dirigeants africain, qui se sont retournés par la suite. De quoi prendre avec les pincettes la déclaration du 3 juillet 2023.
Le président sénégalais Macky Sall a déclaré le 3 juillet 2023 au cours d’une adresse à la nation, qu’il ne sera pas candidat dans son pays pour un troisième mandat. L’annonce était très attendue depuis que ses partisans, en perspective de la prochaine élection qui aura lieu en 2024, multipliaient des « motions de soutien » et des « appels à candidature ». Deux jours avant sa déclaration il avait reçu le 1er juillet 2023 au palais de la République une délégation de 472 maires et 39 présidents de conseils départementaux, signataires de la pétition pour sa troisième candidature en février 2024 afin de continuer à améliorer la bonne dynamique de l’émergence dans toutes les communes et territoires du Sénégal. Malick Ndiaye, maire de la commune de Gagnick justifiait leur position à presse sénégalaise : « Aujourd’hui il n y a point de débat possible sur le bilan du Président Macky Sall qui a trouvé la voie qui mène vers l’émergence et y a engagé le Sénégal. Il faut donc rendre irréversible notre marche vers l’émergence. Et nous les exécutifs territoriaux, nous sommes convaincus, qu’un nouveau mandat de Macky Sall est indispensable pour atteindre cet objectif. Macky Sall a besoin de cinq ans pour rendre irréversible l’émergence. » Dans son adresse, le président n’a pas manqué de remercier ces derniers et tous ceux qui partageaient la même idée, avant de dire en substance non, merci : « Ma décision, longuement réfléchie, est de ne pas être candidat à l’élection, même si la Constitution m’en donne le droit », avant de continuer : « Je sais que cette décision surprendra toutes celles et tous ceux dont je connais l’admiration, ceux et celles qui souhaitent me voir guider la construction du Sénégal, mais le Sénégal dépasse ma personne, et il est rempli de leaders capables de pousser le pays vers l’émergence. »
Doute permis
Beaucoup d’observateurs de la scène politique en Afrique francophone, s’appuyant sur des précédents, restent sceptiques après cette sortie du président sénégalais, s’appuyant en particulier sur l’exemple du président ivoirien Alassane Dramane Ouatara, qui lui aussi jurait la main sur le cœur en mars 2020 de ne pas briguer un 3eme mandat. Mais le 7 août de la même année, dans un contexte similaire à celui du Sénégal où la question cristallisait les débats depuis des semaines, et aussi lors d’une allocution télévisée, revenait sur sa position : « J’ai décidé de répondre favorablement à l’appel de mes concitoyens me demandant d’être candidat. Je suis donc candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre.» Il justifia ce revirement comme étant d’abord un sacrifice et ensuite la seule façon de sauver le pays d’un éventuel chaos : « J’ai fait part le 5 mars dernier à toute la Nation de ma volonté, bien que la nouvelle Constitution m’y autorise, de ne pas faire acte de candidature et de passer la main à une nouvelle génération. Depuis cette décision, j’avais commencé à organiser mon départ […] et planifier ma vie après la présidence. (Mais) le décès du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly laisse un vide. Le calendrier très serré, à peine à trois mois de la présidentielle, les défis auxquels nous sommes confrontés, le maintien de la paix et la sécurité, la crise sanitaire du coronavirus, le risque que tous nos acquis soient compromis, tout cela m’amène à reconsidérer ma position …Cette décision mûrement réfléchie est un devoir que j’accepte dans l’intérêt supérieur de la nation. Compte tenu de l’importance que j’accorde à mes engagements et à la parole donnée, cette décision représente un vrai sacrifice pour moi, que j’assume pleinement par amour pour mon pays. » Le président ivoirien devait prendre un 3eme mandat pour sauver le pays, à l’en croire
Il suffira d’ici là que quelques poches de tensions soient suscitées dans le pays, suivies des manifestations que la police devra réprimer dans la violence. Deux ou trois morts sur le carreau et quelques arrestations, le contexte sera idéal pour que Macky Sall se présente comme le seul zoro en mesure de sauver le pays du chaos. Le non merci du président pourrait bien être dans ce cas pour endormir. La méthode est ancienne dans le pré carré français, mais elle marche toujours.
Endormissement ?
Le doute est davantage permis parce que la situation dans les deux pays présente des similitudes curieuses. En Côte d’Ivoire, la première déclaration avait été faite à 8 mois de l’élection, au Sénégal, Macky Sall s’est prononcé à 8 mois de l’élection. En Côte d’Ivoire, la déclaration de non candidature de Ouattara était précédée des semaines de tension dans le pays suscitées par le débat autour d’un 3eme mandat, le même scénario s’est dessiné au Sénégal. En Côte d’Ivoire, la constitution avait été modifiée en 2016 pour limiter les mandats présidentiels à deux alors que Alassane Ouattara, arrivé au pouvoir en 2010 avait entamé son deuxième mandat en 2015. Les partisans d’un 3eme mandat expliquaient alors que cette modification remettait les compteurs à zéro et maintenait Ouattara dans la course. Au Sénégal, la constitution a été modifiée en 2016 aussi alors que Macky Sall était déjà au pouvoir, et ses partisans estiment aussi que le mandat pris en 2019 était le premier sur la base de la nouvelle loi, et qu’il peut légitimement se présenter pour un 3eme mandat qui serait en réalité le 2eme de la nouvelle constitution. Quand Alassane Dramane Ouattara annonçait en mars 2020 qu’il ne sera pas candidat pour un 3eme mandat, il avait prononcé ces mots « bien que la nouvelle Constitution m’y autorise », Macky Sall a dit aussi « même si la Constitution m’en donne le droit. » Toutes ces similitudes curieuses laissent à réfléchir. Le Sénégal comme la Côte d’Ivoire ont également en commun d’être des anciennes colonies françaises, et l’on sait que la françafrique reste active dans le pré carré où « l’empire refuse de mourir » et continue de tirer les ficelles dans l’ombre. Ses méthodes ont été les mêmes avant et après 1960, par ailleurs dupliquées d’un pays à l’autre, à savoir maintenir au pouvoir dans les colonies les « politiquement correct. » D’ici à février 2024, date de l’échéance électorale au Sénégal, rien n’exclut que « le risque que tous nos acquis soient compromis, » comme le disait Ouattara pour justifier son revirement, n’amènent Macky Sall à revoir sa position. Il suffira d’ici là que quelques poches de tensions soient suscitées dans le pays, suivies des manifestations que la police devra réprimer dans la violence. Deux ou trois morts sur le carreau et quelques arrestations, le contexte sera idéal pour que Macky Sall se présente comme le seul zoro en mesure de sauver le pays du chaos. Le non merci du président pourrait bien être dans ce cas pour endormir. La méthode est ancienne dans le pré carré français, mais elle marche toujours.
Roland TSAPI