Opinions of Thursday, 15 February 2018

Auteur: camer.be

Etoudi: un chateau en effondrement

Les budgets alloués aux tâches qu’implique la fonction sont parfois détournés à des fins privées Les budgets alloués aux tâches qu’implique la fonction sont parfois détournés à des fins privées

Construit pour servir de résidence officielle au président du Cameroun, le palais d’Etoudi est très souvent déserté par Paul Biya, son locataire depuis 32 ans. Le chef de l’Etat camerounais lui préfère sa suite louée à l’année à l’Hôtel intercontinental de Genève.

Vaste complexe immobilier, le palais d’Etoudi, appelé également « palais de l’unité », abrite les bureaux de fonction et la résidence du président de la république du Cameroun. Etoudi est un véritable joyau architectural dessiné par Clément Olivier Cacoub, un architecte franco-tunisien (14 avril 1920-25 avril 2008). Le bâtiment principal (le palais) trône au milieu de ce complexe qui s’étale sur plusieurs hectares au-dessus d’une colline appartenant initialement aux Etoudi, l’un des nombreux réseaux de groupes lignagers autochtones de la capitale camerounaise.

Art baroque et bunker

Comme l’ensemble des ouvrages que Cacoub a signés pour les potentats africains (palais de Mobutu dans son village natal à Gbadolite, Basilique de Yamoussoukro dans celui d’Houphouët, etc.) et tunisiens (les hôtels Abou Nawass et Africa à Tunis, le palais présidentiel de Carthage, le stade Mustapha Ben Jannet de Monastir, la station balnéaire de Port El-Kantaoui) ainsi que pour les autorités françaises (palais des festivals à Cannes, palais de la méditerranée à Nice, Cité internationale des arts à Paris, Université d’Orléans), le palais de l’unité est une œuvre issue de « l’alliage de l’art baroque et oriental de certaines de ses œuvres au luxe insolent ».

La construction du palais de l’unité remonte au début des années 1980. Inauguré par feu le président Ahidjo moins de quatre mois avant sa démission en novembre 1982, le palais d’Etoudi est une forteresse sensible qui n’a fait l’objet d’aucune communication officielle, ni pendant la construction et l’inauguration, ni depuis les trente-quatre ans de règne de son locataire principal, Paul Biya. Le bâtiment, qui aurait pu constituer un véritable site touristique pour son immensité et sa beauté architecturale, est toujours interdit au grand public. Le président n’y reçoit que des officiels triés sur le volet, et quelques privilégiés lors d’une soirée de gala organisée au soir du 20 mai, jour de la fête nationale. Aucune information n’a jamais filtré sur l’architecture d’intérieur, les compartiments et la capacité d’accueil du palais. L’identité de ses résidents est relativement inconnue : en dehors de la famille présidentielle, à qui on ne connait pas d’autre résidence de service que le palais d’Etoudi, et de sa garde rapprochée, on ne sait pas qui habite réellement dans ce complexe. Le bâtiment principal est équipé d’un univers souterrain et d’un bunker où le président Paul Biya se serait réfugié lors du coup d’Etat sanglant du 06 avril 1984, au tout début de sa présidence.

Déclin

Aujourd’hui, le Palais d’Etoudi semble avoir de la peine. Deux incidents importants rapportés par la presse illustrent des difficultés liées à la nature et à la maintenance des installations. Le premier incident est l’écroulement d’un pan du mur du palais, dans la nuit du dimanche 14 au lundi 15 septembre 2008, sous l’effet de l’érosion due au temps et surtout aux grandes pluies qui se sont alors abattues sur la capitale camerounaise. Globalement, le palais « serait malheureusement, à en croire certaines sources bien introduites, en état de délabrement surprenant. Hormis les appartements, les bureaux et les autres rayons strictement réservés au couple présidentiel et à ses proches collaborateurs, le reste des compartiments seraient assez mal entretenus ».

Le deuxième incident est un départ de feu : « la présidence de la République du Cameroun est passée le 11 Juin 2012 à côté d’un incendie généralisé. La centrale électrique du palais, infrastructure sensible et stratégique d’une capacité de 15 000 kilowatts, a manqué (d’un cheveu) d’être le point de départ d’un déluge de flammes, que rien n’aurait arrêté selon des observateurs avertis », selon la presse locale. En effet, selon un informateur cité par la même source, « Si le feu avait progressé, il aurait attaqué tous les équipements de la centrale, en l’occurrence les cellules, les transformateurs et les groupes électrogènes. On en serait alors à un incendie généralisé et tout aurait brûlé ». Pour cet incident, la presse accuse les services généraux et l’intendance du palais présidentiel, qui s’est montré incompétent à empêcher l’enchaînement des évènements qui a conduit au départ de feu.

Plus généralement, la défaillance de la maintenance du palais d’Etoudi, au cas où elle serait établie, interrogerait sur la capacité des services dédiés à résister à la corruption qui gangrène la bureaucratie d’Etat : les budgets alloués aux tâches qu’implique la fonction (ici la maintenance du siège des institutions) est parfois détourné à des fins privées par des fonctionnaires, parfois recrutés sur d’autres critères que ceux relevant de la compétence et de l’expérience. Quelquefois, le matériel acheté est de la camelote chinoise, la (fausse) facture présentant un achat de produit d’origine, naturellement plus cher… On comprend dès lors pourquoi Biya préfère son hôtel de Genève aux charmes vieillissants d’Etoudi.