Opinions of Tuesday, 28 February 2023

Auteur: Roland Tsapi

Exclu de Nintcheu et cie : la dérive autoritaire de John Fru Ndi révélée

Consolidation de la démocratie ou dérive autoritaire, il y a lieu de se poser la question. Consolidation de la démocratie ou dérive autoritaire, il y a lieu de se poser la question.

Un nombre record de cadres ont été exclus du parti le 25 février dernier, le péché ultime étant d’avoir assigné en justice le président du parti et la secrétaire générale, après de vaines tentatives de discussions internes. Le parti qui vendant la démocratie au Camerounais ne tolère pas les contradictions en son sein.

Le Comité exécutif national du Front social-démocrate, plus connu sous son sigle anglais Sdf, a exclu le 25 février 2023 26 membres, au cours d’une réunion statutaire à Yaoundé présidée par le président du parti John Fru Ndi. Les 26 membres sont des cadres du parti, députés actuel et anciens, maires actuels et anciens, conseillers juridiques, ancien secrétaire général et ancien sénateur, vice-président du parti et autres membres du Comité exécutif, qui avaient signé le 23 juin 2022 à Mbouda une déclaration demandant à John Fru Ndi de revenir sur des nominations auxquelles il venait de procéder au sein du Comité exécutif national le Nec. Des nominations qui d’après les signataires ne remplissaient pas les conditions requises de cinq ans d’ancienneté, des consultations prévues par les textes du parti, et concernaient des personnes qui n’étaient pas des militants du parti. L’un des nommés, l’avocat Agbor Mballa, avait d’ailleurs décliné l’offre. La déclaration dénonçait également la gestion opaque des fonds et exigeait un bilan financier du parti et celui des dernières élections présidentielles. Depuis la signature de cette déclaration, une guerre s’était installée au sein du parti désormais divisé en deux camps, les pro et les anti Fru Ndi qui tient les rênes du parti depuis sa création le 26 mai 1990, soit 33 ans.


John Fru Ndi, Chairman. le Sdf lui survivra-t-il?

En filigrane, les contestataires dénonçaient le rapprochement désormais trop prononcé du parti de la balance avec le parti au pouvoir, ou plutôt que le Chairman avait livré le parti avec la complicité du premier vice-président Osih Osuah à qui il se préparerait à donner la direction de l’appareil politique. Le quotidien national Cameroon tribune rapporte dans un article en ligne du 12 décembre 2022, que John Fru Ndi avait tout de même, lors de la réunion du Comité exécutif tenue à Yaoundé le 10 décembre 2022, appelé à l’unité dans le parti. Sans que cela n’influence la détermination des signataires de la déclaration du 23 juin, désormais appelés le G27 ou le groupe de la rébellion.

Au cours de cette même réunion, alors qu’il appelait à l’unité, le chairman avait paradoxalement procédé à la dissolution des instances régionales du parti, par un processus qu’il avait appelé la mise en coordination. Le 26 janvier 2023, constants dans leur élan de contestation de certaines pratiques, le G27 a assigné en justice le Chairman et la secrétaire générale du parti pour demander l’annulation de toutes les décisions prises qui d’après eux consacrent la destruction du parti, en attendant le congrès qui devrait voir élire les nouveaux dirigeants après que le mandat du bureau actuel soit arrivé à échéance depuis le 18 février 2023. Une audience à cet effet est prévue le 2 mars 2023 à Yaoundé.

la lutte érode, fatigue, use et épuise. C’est pourquoi à certaines positions il est recommandé de passer la main à un moment donné, au risque de reprendre le chemin inverse. Ce retour en arrière, ces contradictions paraissent souvent naturels, sans que les concernés ne s’en rendent compte, car comme le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. L’alternance n’est pas un vain mot, elle contribue au moins à éviter les dérives autoritaires, que ce soit à la tête d’un parti politique, d’une entreprise publique, d’une institution, ou au sommet d’un Etat.

Dérive autoritaire

On en était là quand le Comité exécutif du 25 février 2023 a lu l’article 8 du parti qui stipule : « De la perte de la qualité de membre. La qualité de membre se perd dans les circonstances suivantes :

8.1: A la suite de décès, de trouble mental ou à la suite de toute autre incapacité entraînant la perte de la raison ;

8.2: A la suite de démission, c’est-à-dire, du retrait volontaire du parti ou par l’appartenance à un autre parti politique et/ou pour des engagements politiques telles autres activités susceptibles de nuire à la réputation, aux intérêts pouvant discréditer le Parti ou son efficacité.

8.3: La perte de la qualité de membre doit être dûment établie conformément aux principes énoncés dans le règlement intérieur du Parti. »

Dans le jargon interne, le 8.2 signifie alors non pas la démission mais la commission des actes qui mettent hors du parti, qualifiée d’auto exclusion, et l’instance ne fait que constater. Le G27 aurait donc, dans cette logique, posé des actes qui les excluent automatiquement, à savoir contester les décisions du chairman, demander la clarification des comptes, et exiger un bilan de la dernière élection présidentielle entre autres.

Consolidation de la démocratie ou dérive autoritaire, il y a lieu de se poser la question. Toujours est-il que John Fru Ndi justifie cette décision par la nécessité de préserver l’unité du parti. Mais en attendant d’y apporter une réponse, un flash-back nous ramène au 26 mai 1990 à Ntarikon Park, Bamenda. Après avoir bravé les forces de l’ordre dans la rue où sont tombées 6 personnes, John Fru Ndi prononce le discours de lancement du Sdf, dont un extrait lit : « C’est pourquoi nous sommes d’accord avec l’Archevêque Abel Muzorewa lorsqu’il s’interroge : Pourquoi pouvons-nous, nous Africains, nous rendre en Grande Bretagne (j’ajouterais plutôt en Europe) et aux Etats Unis d’Amérique et critiquer en toute liberté les gouvernements et les Chefs d’Etat de ces pays sans crainte de disparaître la nuit suivante ou d’être expulsés ? Pourquoi avons-nous peur de faire la même chose en Afrique ? En Afrique Noire, c’est un crime abominable que d’ouvrir la bouche pour commenter les actes du gouvernement ou du chef de l’Etat. Vous serez jetés en prison, accusés de trahison, ou le plus simplement du monde vous disparaîtrez. Dans ces états-là, les dirigeants n’ont aucune confiance en leurs peuples. Ils… ne tolèrent aucune critique. Et pourtant ils ont été élus par ceux-là mêmes qu’ils oppriment aujourd’hui. Nous disons que la Démocratie c’est l’affaire du peuple parce que le non-respect des libertés fondamentales que sont la liberté de conscience et de religion, la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression y compris la liberté de la presse et autres médias, la liberté de réunion et d’association, prive les peuples de leurs droits fondamentaux qui sont le droit à la vie, à la liberté et le droit à la recherche de bonheur propre à tout être humain. » Dans ce discours, le chairman fixait le cap de la démocratie dont l’un des piliers centraux est la liberté d’opinion. De 1990 à 2023, beaucoup d’eau a coulé sous le pont, les mêmes mots n’ont plus les mêmes sens, les réalités ont remodelé la pensée, les attitudes ont changé, les pratiques ont muté. Cela s’explique simplement par le fait que la lutte érode, fatigue, use et épuise. C’est pourquoi à certaines positions il est recommandé de passer la main à un moment donné, au risque de reprendre le chemin inverse. Ce retour en arrière, ces contradictions paraissent souvent naturels, sans que les concernés ne s’en rendent compte, car comme le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. L’alternance n’est pas un vain mot, elle contribue au moins à éviter les dérives autoritaires, que ce soit à la tête d’un parti politique, d’une entreprise publique, d’une institution, ou au sommet d’un Etat.