Le journaliste Zephirin Koloko, également directeur de publication du journal L'Avenir a écrit une tribune sur la situation de la pénurie du carburant au Cameroun. Il fait des révélations exclusives.
Dans les prochains jours, le Cameroun va changer son mécanisme d’approvisionnement du marché domestique en carburants. Dans une lettre du secrétaire général à la présidence de la République (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh, adressée le 14 décembre 2023 au ministre de l’Eau et de l’Énergie, Gaston Eloundou Essomba, on apprend que le président de la République, Paul Biya, « prescrit de procéder à la libéralisation des importations des produits pétroliers ». Concrètement, selon la même lettre, la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures (CSPH) va désormais attribuer des quotas aux « importateurs majeurs du secteur, présentant les profils techniques et financiers leur permettant de procéder immédiatement aux importations ».
Clairement, c’est un changement de cap dans le mécanisme d’acquisition des carburants.
Avant de comprendre ce qui va concrètement changer, il faudrait d’abord s’appesantir sur la procédure qui avait cours jusqu’alors.
Qui étaient les traders du Cameroun et comment étaient-ils choisis ?
Le Cameroun était jusqu’à date approvisionné par trois principaux traders soit : Totsa (Total Paris) pour le gasoil, Mocoh pour le super et Sahara Energy pour le jet. Ces trois traders avaient été choisis sur la base des résultats d’un appel d’offres.
Dans le cadre de la fourniture des produits pétroliers au Cameroun, le processus de sélection des fournisseurs (traders) était d’une transparence à toute épreuve. Le mécanisme d’appel d’offres, qui était en vigueur depuis 2019, comprenait trois observateurs indépendants dont la Conac, l’Armp et le ministère des marchés publics. Ce mécanisme consistait donc au lancement d’un avis de consultation pour sélectionner les traders, chargés de la fourniture des produits au Cameroun trimestriellement.
La consultation se faisait en présence de 15 membres venant de plusieurs départements ministériels et d’entreprises parapubliques ainsi que d’observateurs indépendants. On peut par exemple citer le ministère des Finances, le ministère de la Défense, le secrétariat d’État à la défense en charge de la gendarmerie, la délégation générale à la sûreté nationale, le ministère de l’eau et de l’énergie, le ministère du commerce, la caisse de stabilisation du prix des hydrocarbures…
Lors des derniers travaux de la commission, les représentants locaux et les traders ont assisté en présentiel et par visio-conférence, comme d’habitude, à l’ouverture de leurs offres. Il convient de préciser que celles-ci ne passaient pas la nuit au ministère de l’Eau et de l’Énergie. Elles étaient déposées au moment du dépouillement. L’adjudication se faisait séance tenante et le marché est attribué au soumissionnaire le moins disant. Tous les 15 membres de la commission signaient le procès-verbal des travaux.
Pour ce qui concerne le dernier appel d’offres, il y a ainsi eu quinze soumissionnaires parmi lesquels Totsa, Glencore, Mercuria, Sahara Energy, Totsa, Vitol… Ainsi, au terme de la sélection, l’on a eu Totsa pour le gasoil, Mocoh pour le super et Sahara Energy pour le jet.
Petit détail des négociations concernant spécifiquement le super : le trader Mocoh a simplement proposé la prime la plus basse de moins 33 dollars US par tonne métrique sur le Super et aucun autre trader n’a pu renchérir, ni s’aligner à cette prime pour qu’on puisse avoir deux lots.
C’est la raison pour laquelle le trader Mocoh était le seul fournisseur de Super au Cameroun depuis trois ans.
Autre chose, le mécanisme mis en place depuis 2019 par le Cameroun, permettait de faire des économies mensuelles de 12 milliards de FCFA par mois. Ce qui fait que notre pays était alors considéré comme étant celui qui, dans la sous-région, achète les produits pétroliers aux prix les plus bas.
Avec ministre de l’eau et de l’énergie, Gaston Eloundou Essomba, les primes qui étaient de 200 dollars la tonne, sont passées à 40 dollars la tonne, soit un gain de près 150 dollars la tonne.
Le problème
Malheureusement, malgré la transparence de ce processus de sélection, des couacs ont fini par surgir. Ils sont relatifs, non pas à la disponibilité des stocks qui eux n’ont jamais été rares, mais aux tensions de trésorerie auxquelles fait face le Cameroun. Il faut rappeler que depuis quelques années, notre pays fait face à des gageures. L’on a par exemple deux fronts de guerre (Boko Haram et NoSo). Une réalité budgétivore qui empêche l’État d’honorer ses engagements vis-à-vis des marketers qui se retrouvent avec un manque à gagner.
Autre victime du processus, les banques locales qui émettent les lettres de crédits avec effet néfaste sur les banques correspondantes étrangères en matière de devises. En clair, les banques étrangères correspondantes des banques locales endossent les paiements des produits pétroliers à l'étranger auprès des Traders qui domicilient leurs opérations de vente desdits produits à leurs clients marketers basés au Cameroun. Étant entendu que les traders exigent toujours d’avoir une lettre de crédit validée par une banque étrangère avant de livrer les produits au Cameroun. C’est la règle.
Il faut également noter que l'État paie les manques à gagner aux marketers via les banques locales qui font réellement face à la tension de trésorerie.
À cet effet, Mocoh explique dans un communiqué que « depuis la crise Russie Ukraine, le montant des manques à gagner s’est envolé pour atteindre des sommets inégalés : 1000 milliards de FCFA. Le retard dans le remboursement de ces manques à gagner asphyxie les marketers et leurs banques. Ils se retrouvent dans l’incapacité d’ouvrir des lettres de crédit, mode de paiement essentiel pour l’approvisionnement en produits pétroliers. De fait, ce ralentissement des LC provoque un ralentissement des approvisionnements, donc une baisse des stocks à Douala et Limbe et engendre un approvisionnement en flux tendu. Tout aléa peut alors créer un retard de livraison et donc un risque de rupture. L’urgence réside dans le remboursement immédiat du solde très important des manques à gagner ». Cette ardoise, à fin décembre, frôle les 380 milliards de francs CFA.
Voilà pourquoi les marketers ont désormais opté pour la logique « payez avant d’être servis ». Une inversion de la pratique courante qui a débouché sur la crise que l’on connaît tous.
Notons au passage que jusqu’à un passé récent, 80% des importations se faisaient par le biais de la Sonara. Or, depuis un an, cette entreprise a été écartée parce qu’elle doit près de 400 milliards de frs CFA aux traders. Très endettée, ne pouvant plus émettre des lettres de crédit, la Sonara a été évincée.
Ce qui va changer
Avec la nouvelle approche présidentielle, les cartes sont redistribuées. Décision massue : le secteur est désormais libéralisé. Notons de prime abord que ce système-là avait déjà été appliqué par le passé et il avait créé assez de problèmes. Pour que la libéralisation soit efficace, il faut qu’elle ait lieu en amont et en aval. Cela signifie que chaque marketer va fixer son prix. Or, si on le fait sans libéraliser les prix à la pompe, la subvention va croître de manière exponentielle. Car, certains marketers pourront présenter des primes allant de 100 , 150 voire 200 dollars par tonne métrique comme par le passé. C’est ce qui s’est passé par le passé. C’est pour cela que le secteur des appels d’offres d’importations des produits pétroliers avait été restructuré. Avec cela, on s’est rendu compte que les marketers pouvaient même avoir des primes négatives. On le voit avec Mocoh, qui a une prime négative. Donc là, on s’achemine vers une situation où l’Etat ne va plus contrôler ni les importateurs, ni le prix d’achat des produits.
Si les prix sont libéralisés à la pompe, cela signifie que chaque marketer a la possibilité de négocier avec son fournisseur et là, plus de subvention de l’Etat qui se désengage du contrôle des prix d’achat des produits comme cela était encore le cas. Ce qui veut aussi dire que les 250 francs CFA que l’Etat supporte par litre seront introduits dans le prix à la pompe. On quittera alors de 730 frs le litre à 1000 francs.
De toutes les façons, quel que soit le bout par lequel on prend cette affaire, il faut d’ores et déjà payer ce qui est dû aux marketers car sans paiement, point de livraison vu qu’ils ne pourront pas avoir des lettres de crédit. D’ailleurs, depuis que la lettre du SGPR a fuité, tout est à l’arrêt. Les différents financiers réclament des éclaircissements sur les engagements pris auparavant. Le texte est muet sur l’échéance d’entrée en scène du nouveau système. Les banques, frileuses, ont suspendu toutes opérations y relatives. Il est fort probable que les fêtes de fin d’année se déroulent sans carburants. D’ailleurs, les deux gros importateurs que sont Total et Tradex disent qu’ils seront incapables de poursuivre cette activité s’il y a toujours défaut de liquidités.
Autre difficulté, lors de la dernière mission du Fmi au Cameroun, ce dernier a été sommé de cesser toute subvention aux carburants à la pompe, car l’état des caisses ne permettent plus de tenir.