Il y’a 10 ans, le 28 février 2008 au Cameroun, il eut 40 morts, et 1400 jeunes ont été arrêtés dans 31 villes selon des chiffres officiels. A l’origine un meeting du SDF principal parti d’opposition du Cameroun. Les dégâts collatéraux qui s’en suivront laisseront des cicatrices indélébiles : des pertes en vies humaines, des vies à reconstruire. Avec la crise anglophone, les jeunes civils et militaires sont la chair à canon. L’accumulation de frustration est le carburant de la révolte.
Les flammes perceptibles sur l’axe lourd reflétaient l’image d’un pays ou le degré de patience est arrivé à saturation. La paralysie généralisée qu’a connue le pays résultait d’une hausse du prix du carburant ayant engendré une grève des « taximen ». En acteur, ils sont devenus spectateur d’une scène dont ils étaient loin de mesurer les dégâts. Le besoin latent d’expression du ras le bol des populations avait besoin d’être manifeste. La frustration disait Christiane Taubira est la carburant de l’action.
L’accumulation des frustrations d’une jeunesse en manque de repères à trouver le meilleur moyen de s’exprimer. Le manque d’emploi, la constante du chômage, la cherté de la vie, et l’absence de perspective finissent par rendre la jeunesse stoïque. Y’a-t-il vraiment du plaisir d’être diplômé de l’enseignement supérieur par exemple et d’être « bendskineur », « Taximan » ou vendeur à la sauvette ? Les barons du système actuel ont pour la plus part bénéficié des bourses d’études, et avaient une certaine lisibilité de leur trajectoire professionnelle. Aujourd’hui, la réalité qu’est obligé de vivre la jeunesse est tout autre. 90% de l’activité économique s’exercent dans l’informel. La jeunesse comptable d’une situation qu’elle n’est pas créé. Malgré la signature en juillet 1997 avec le FMI d’une Facilité d’Ajustement Structurel Renforcé (FARS) en passant par la Facilité Pour la Réduction de la Pauvreté(FRPC) en décembre 2000, jusqu’au soutien de la banque mondiale, la jeunesse manque cruellement de perspectives.
Instrumentalisé, Réussir pour un jeune est devenu suspect. L’enfant a-t-il vraiment besoin d’une autorisation spéciale pour pleurer s’il a faim ? C’est trop d’honneur et de crédit accordé aux partis politiques que de penser un seul instant qu’ils soient capables de mobiliser la jeunesse à ce point. Une franche du SDF et le MANIDEM sur la kyrielle de partis que compte le Cameroun a néanmoins eu le mérite d’organiser une semaine des martyrs. Le CPP de Kah WALLAH a initié la semaine des martyrs. La politique se nourri d’opportunismes. Les politiciens le savent. Mais la jeunesse aussi.
Le discours répressif des pouvoirs publics lors des dites émeutes qualifiées à juste titre d’émeute de la faim ont laissé des blessures difficilement cicatrisables. Un grand mal précède toujours un grand bien. Les dernières émeutes nous ont aussi permis de comprendre l’état de déconfiture culturel de notre pays.
Le soulèvement d’une population vient du refus d’être traité en chose. Jeunesse ne rime pas avec naïveté. La société construit de nouveaux repères et inversent l’échelle des valeurs. L’homosexualité est banalisée, pire est instituée en mode d’ascension sociale pour les jeunes. L’échos du scandale des listes et ses compromissions retentit encore jusqu’aux entrailles d’une jeunesse qui ne se croit pas obligé de faire des concessions contre nature. Les footballeurs et les feymen sont célébrés jusque dans le temple du savoir qu’est l’université par l’establishment. Quel référentiel veut-on construire pour les jeunes ? Le facteur essentiel du développement disons-le avec Alfred Sauvy, comme on l’a longtemps cru, ce n’est pas le capital. Mais le savoir. Savoir qui est la clef de voûte du progrès. Le succès des pays du sud résulte de cette capacité à domestiquer le savoir. Tout porte à croire que nous célébrons la médiocrité éphémère en lieu et place de l’excellence pérenne et constructive pour la nation tout entière. La crise de confiance et la crise de l’encadrement qui habitent une jeunesse martyrisée ont fini par obliger celle-ci à se réfugier dans l’informel. Obliger d’inventer des moyens de survie. Pour pallier à cette carence structurelle, le gouvernement a mis sur pied le PIASSI qui est un projet d’appui au secteur informel. Les formations institutionnelles offertes aux jeunes n’orientent guère vers l’emploi. La décision de scolarisation répond d’avantage à un calcul de placement social qu’a un souci de formation professionnelle.
Au sortir des émeutes de février, on a découvert comme par enchantement la cherté de la vie. Une ordonnance du 07/03/2008 exonérant les produits de première nécessité de taxes douanières a d’ailleurs été promulguée à cet effet. Les magasins témoins devenus par la force des choses citoyens s’en sont suivis. 9 ans après la vie reste toujours aussi chère. Mieux, l’inflation s’est même généralisée. Les plus grandes déceptions naissent des grandes attentes. Les soulèvements qui s’en suivent sont aussi fonction des attentes. Survivre au Cameroun pour une jeunesse chanceuse qui réussit à avoir régulièrement le SMIG relevé à presque trente mille francs, est un véritable miracle. Hors le Cameroun c’est malheureusement le Cameroun. Même les apprentis sorciers pourront difficilement changer la donne.