La visite de Hollande intervient dans un contexte de méfiance quasi réciproque. Dans un rapport au vitriol présenté il y a deux mois devant la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française, intitulé : « Mission d’information sur la stabilité et le développement de l’Afrique francophone », des parlementaires français critiquent vertement le régime de Paul Biya. Sans ambages, les députés Jean Paul Guibal (Ump) et Philipe Baumel (Ps) affirment que le Cameroun « est l’exemple type du régime impopulaire, qui fait face à des contestations régulières, régulièrement réprimées, dans lequel l’opposition divisée est décrédibilisée, et le parti au pouvoir traversé de luttes de clans.
De sorte que pour de nombreux analystes, les éléments de la crise future se mettent peu à peu en place, dans un contexte où la donne tribale domine ». Ils expliquent, pour ce qui est de la donne tribale, que « depuis trente ans, le Nord a été marginalisé, et l’on peut très bien envisager un scénario à l’ivoirienne ou à la guinéenne au moment de la succession, c’est-à-dire un basculement plus ou moins lent dans une crise grave et durable ».
Ils soutiennent, sentencieux, que le régime politique du Cameroun est bloqué, sans perspectives, ni soupape. Sur les enjeux de démographie et de démocratie en Afrique francophone, leur collègue Ump Pierre Lellouche va plus loin, en se demandant s’il est raisonnable, « alors que ces pays doublent de population tous les vingt ans, d’avoir une politique de sécurisation qui consiste à maintenir au pouvoir les mêmes hommes politiques comme Paul Biya ? Nous [les Français, Ndlr] sommes en train de recréer dans ces pays la même situation que celle qui existait dans le monde arabe avant la grande explosion ».
Le fait est d’autant plus inédit qu’il ne suscite aucune réaction de la part du gouvernement français. Si du côté des autorités camerounaises, l’on n’a pas de manière officielle dénoncé l’attitude des députés français, des thuriféraires du régime se sont néanmoins insurgés contre le document par eux produit, en brandissant même l’argument d’un supposé complot de la France contre le Cameroun, d’autant que ce rapport a été rendu public dans un contexte bien particulier où des médias français faisaient comme un tir groupé sur le Cameroun.
La visite de François Hollande peut-elle contribuer à faire baisser la température entre Yaoundé et Paris ? En tout cas, les relations entre le Cameroun et la France sont, en ce moment, marquées du sceau de la méfiance. La dernière visite d’un président français au Cameroun remonte à 2001, lors du sommet France-Afrique à Yaoundé (Jacques Chirac y avait pris part en sa qualité de président de la République).
Durant tout son quinquennat (2007-2012), Nicolas Sarkozy n’a pas mis ses pieds au Cameroun. Lui qui, au terme de la dernière élection présidentielle au Cameroun, en 2011, avait attendu trois semaines avant de daigner féliciter Paul Biya pour sa réélection, dans un message accompagné de cette phrase aux allures de mise en garde : « Alors que votre pays connaîtra de nouveau des élections en 2012, je ne doute pas que vous saurez, d’ici là, mettre en œuvre les réformes et les moyens nécessaires au bon fonctionnement d’Elecam et, par voie de conséquence, au renforcement de la démocratie au Cameroun ».
Pour Sarkozy, ce scrutin a été émaillé de défaillances et d’irrégularités. La France considère en plus le Cameroun comme un cimetière des droits de l’homme, où des gens vont en prison pour leurs idées. Il va donc de soi que la visite éclair de Hollande à Yaoundé est consécutive à la décote actuelle de la France auprès de l’opinion publique camerounaise.