Le gaz camerounais a été au cœur des discussions entre Paul Biya et Emmanuel Macron selon Jean Paul Pougala. Dans cette tribune, il explique les dessous de la visite du président français au Cameroun au moment où l’Europe est secouée par une crise énergétique.
« Les Etats membres de l’UE, réunis mardi 26 juillet à Bruxelles, sont tombés d’accord sur une réduction « volontaire » de 15% entre août 2022 et mars 2023, par rapport à la consommation habituelle à la même période, qui pourra devenir obligatoire en cas de risque de pénurie ».
Je suis convaincu que très peu de camerounais sont au courant du fait que pendant que Macron s’entretenait avec Paul Biya au Palais de l’Unité d’Etoudi à Yaoundé, hier matin du mardi 26/07/2022, et qu’au même moment, à Bruxelles, les 27 pays membres de l’Union Européenne étaient réunis, il était là aussi question du Cameroun, du gaz camerounais qui devrait arriver pour renforcer les stocks de l’Union Européenne pour les aider à passer l’hiver moins rude, au cas où la Russie devait complètement leur couper le robinet du gaz.
Sauf que si à la conférence de Presse avec Paul Biya, Emmanuel Macron était si virulent contre la Russie, peu de gens étaient capables de faire un lien entre la Russie et le gaz camerounais pour lequel il avait effectué le déplacement. Et son ton acerbe ne pouvait que trahir sa déception de n’avoir pas obtenu des autorités camerounaise une acceptation de leur demande d’éloigner Gazprom du Cameroun.
Car la malchance des français et de l’Union Européenne, est que le gaz camerounais, comme le gaz russe est distribué à travers le monde avec un contrat d’exclusivité par la même société russe : Gazprom. Et le pire dans tout cela, est que le président camerounais a remplacé Engie par Gazprom dans ce projet ; mieux, c’est la France, dans son éternel double-jeu qui a signifié aux camerounais que l’exploitation du gaz du sous-sol camerounais n’était pas rentable et ont jeté l’éponge.
C’était sans compter avec la « têtutesse », l’obstination d’un homme qui n’a pas cru à la version des experts français, et cet homme c’est bien entendu Paul Biya, qui a très vite compris le double-jeu français et est allé frapper directement à la porte de la Russie pour obtenir l’avis des experts russes, envoyés par un certain Vladimir Poutine, qui ont décrété un cinglant démenti des propos des experts français de Gaz de France, devenu Engie. Commençons par le commencement en 2008.
Il y a exactement 14 ans, tout commence en 2008
Nous sommes mardi le 12/11/2008. Après la séance de travail entre Philippe Olivier, le président et directeur exécutif du groupe français Gaz de France, GDF-Suez Global LNG, et Adolphe Moudiki, administrateur directeur général de la Société nationale (camerounais) des hydrocarbures (SNH), Philippe Olivier va lui-même annoncer la bonne nouvelle à Paul Biya et demander sa bénédiction pour exploiter le gaz de Kribi. A la sortie du Palais d’Etoudi, voici ce qu’il déclare à la presse :
« GDF Suez SA va investir 5 milliards de dollars au Cameroun pour la construction d’une usine de gaz naturel liquéfié (…) Nous sommes venus au Cameroun pour montrer les progrès réalisés jusqu’à présent avec notre projet de Gaz Naturel Liquéfié (GNL). La rencontre avec le président Paul Biya visait à obtenir son soutien pour nous permettre de réaliser ce projet ».
5 milliards de dollars ?
La France n’a jamais investi un tel montant dans un pays africain.
Personne ne comprend pourquoi elle le ferait maintenant pour le Cameroun, qui n’est pas son pré-carré comme le Gabon, la Côte d’Ivoire ou le Sénégal.
On doute à Yaoundé, mais on veut attendre avant de croire. Ce que Yaoundé ne sait pas à l’époque est qu’en réalité cette promesse française d’investir 5 milliards de dollars au Cameroun pour exploiter le gaz de Kribi, n’était que de l’enfumage pour appâter les fonds souverains chinois de CIC.
Cette année-là, China Investment Corporation (CIC) créée par le gouvernement chinois, pour aider la Chine à trouver les placements les plus rentables pour ses énormes réserves de devises, dispose de 297,5 milliards de dollars d’actifs.
En France, l’état subventionne le gaz aux ménages. Malheureusement, l’état français n’a pas les moyens pour cette subvention. Résultat des courses : GDF en 2008 (comme en 2022) croûle sous les dettes, avec un trou de 25 milliards d’Euros.
La France a besoin d’une partie du pactole de CIC
Et elle ne trouve pas mieux à sacrifier que le Cameroun à qui elle promet 5 milliards de dollars que bien sûr elle n’a pas.
Mais cette manœuvre séduit les Chinois pour leur prouver que la France contrôle les hydrocarbures dans toute une partie de l’Afrique, ses ex-colonies.
Un an plus part, la Chine mord à l’hameçon français. CIC entre au capital d’une entreprise surendettée comme GDF à hauteur de 30%, mais sur la base des mines de gaz qu’elle dit posséder en Afrique, surtout au Cameroun.
Mais pourquoi GDF ouvre-il son capital aux chinois ?
CONCLUSION partielle…
La France a vu avec l’Ukraine l’opportunité de donner une leçon à la Russie, comme elle avait l’habitude de le faire en Afrique, et comme les Etats-Unis avaient l’habitude de le faire avec le reste du monde. Mais dans sa précipitation, elle a sans doute oublié que ses capacités financières ne sont pas celles des Américains ; se jetant volontairement dans une trappe sans savoir comment en sortir.
Contrairement à Emmanuel Macron, les africains qui sont les clients des armes russes savent que livraisons sporadiques d’armes des pays de l’Otan à l’Ukraine, ne feront jamais le poids contre la Russie, qui aujourd’hui, fournit la moitié de l’armement acheté sur le continent africain.
Maintenant que les Africains ne veulent pas suivre la France aveuglément dans tous ses déplacements, c’est elle qui se déplace jusqu’en Afrique pour y régler des comptes. Ainsi, le président Macron accuse les Africains d’être hypocrites car ils ne donnent pas leur opinion sur le conflit Ukrainien, sans considérer que les Africains sont hypocrites pour son propre bien : difficile pour les Africains de lui dire la vérité, c’est-à-dire qu’intervenir en Ukraine était une erreur irresponsable de sa part et que la France ne fait pas actuellement le poids contre la pression russe.
Hier 26/07/2022 à Yaoundé, Emmanuel Macron a démontré qu’il n’a toujours pas compris que les africains ne vivent plus au 19ème siècle où la France pouvait intimer, menacer jusqu’à insulter d’hypocrites les africains uniquement parce qu’ils ont soigné leurs intérêts, ceux de choisir les meilleurs partenaires qui leur garantissent une meilleure prospérité.
Le problème de la France est qu’elle ne comprend pas qu’elle n’est qu’une puissance régionale, comme le Nigeria ou l’Afrique du Sud. Parce qu’elle n’a pas les moyens même sur le plan sécuritaire de faire peur à un millier de Djihadistes au Mali.
Macron nous a expliqué hier que la Russie était en Afrique pour ses intérêts, pour les matières premières. Ce Macron ne comprend pas, c’est que les anciens colonisés n’ont plus le cerveau des enfants de la maternelle comme ils avaient préparé et ils sont aujourd’hui capables de comprendre que le contraire de ce qu’il affirme serait plutôt inquiétant. Si la Russie n’avait aucun intérêt de venir en Afrique, nous devons tous nous inquiéter pour nous creuser les méninges pour découvrir pourquoi elle fait tout cela.
Mais dans le système capitaliste, c’est à chacun de savoir pourquoi il va avec l’autre. Pour l’instant, je ne comprends toujours pas 4 siècles après quel intérêt l’Afrique a d’aller avec la France et le Royaume Uni ou tout autre pays européen, pour qui le capitalisme est avant tout un système raciste dans lequel eux seuls peuvent s’enrichir et les autres doivent se contenter des miettes ou de les applaudir.
En 2022, nos mains sont fatiguées d’applaudir les autres, nous voulons nous aussi notre part du gâteau, ou rien !
Jean-Paul Pougala