Opinions of Thursday, 3 March 2022

Auteur: Serge Aimé Bikoi

Grève des enseignants: le gouvernement camerounais opte pour la politique de la division pour mieux régner

Serge Aimé Bikoi Serge Aimé Bikoi

Il y a 48 heures au terme d'une réunion à l'auditorium des services de la primature, le communiqué final du Secrétaire général des services du premier ministre a fait état de ce que les syndicats et autres regroupements d'enseignants sont appelés à mettre un terme à la grève, laquelle remonte au 14 février 2022. Hier, fidèle à sa logique de flageller ce mouvement de grève, le média d'État a diffusé, de manière régulière, ce communiqué final, tout en donnant la parole à Jacques Bessala Ngono, le président du Collectif des enseignants indignés du Cameroun (Ceic). Sans être mandaté au nom du collectif "Ots"(On a trop supporté), ce dernier a fait étalage des mécanismes d'actions et mesures que le gouvernement doit prendre, dans les prochains jours, pour régler différents problèmes des enseignants. Ce qui est curieux, c'est que les initiateurs du mouvement de grève, en l'occurrence ceux du collectif "Ots", n'ont pas été invités à cette concertation à la primature. Ce sont certains syndicats, à l'instar du Snaes, de la Feser, de Ode, du Cpja, du Snuipen, Ceic, etc et le collectif d'enseignants du secondaire qui ont y ont été conviés. Chacun(e) peut vérifier la liste des signataires dudit communiqué qui circule sur les réseaux sociaux depuis hier.

Sans conteste, l'on note, ici, une approche maffieuse du gouvernement camerounais qui, comme à l'accoutumée, opte pour la politique de la division pour mieux régner. Les vrais initiateurs de la grève sont exclus au profit de certaines corporations syndicales et de certains regroupements n'ayant ni organisé, ni initié un mouvement d'une telle trempe. Ça s'appelle la filouterie et la roublardise. Depuis que le mot d'ordre de grève est lancé, le média d'État n'a jamais fait des reportages pour s'imprégner de l'ampleur du phénomène de ce débrayage dans les établissements scolaires. Mais ce qui les intéresse fort opportunément, c'est la concertation à la primature pour faire le compte-rendu de manière tapageuse et annoncer, en grandes pompes, la fin du mot d'ordre de grève. Et pourtant, c'est faux! La réalité sur le terrain est le contraire. Des enseignants continuent d'exiger les solutions aux vingt revendications posées. C'est donc connu au Cameroun ce registre de fonctionnement du gouvernement camerounais. Chaque fois qu'il y a un mot d'ordre de grève lancé et diligenté par un mouvement donné, des membres du gouvernement orchestrent la symphonie de l'infiltration, de la manipulation, de l'instrumentalisation et de la division pour casser tout mouvement de grève.

Le modus operandi consiste, de manière rituelle, à tenir des concertations avec certains laquais, certains dindons de la farce, qui ne sont jamais les dignes représentants ou encore des interlocuteurs valables pour discuter, de manière sérieuse et rigoureuse, de leurs récriminations. Ce sont individus malléables et influençables choisis délibérément qui se retrouvent toujours à la table des joutes pour échanger avec le gouvernement, le dessein étant, in fine, de lever le mot d'ordre de grève. A la fin, chacun(e) perçoit des espèces sonnantes et trébuchantes et fait figurer son identité au bas du communiqué final sur la liste des signataires ayant participé à cette scénographie du dilatoire perpétuel du gouvernement. En réalité, l'on n'a pas besoin de réunion ou de concertation pour remédier au problème des enseignants. Le gouvernement camerounais doit agir, en débloquant de l'argent pour éponger la litanie des revendications de ces saigneurs de la craie.

Par le passé, nous avons eu ce type de manœuvre. L'Addec(Association pour la défense des droits des étudiants camerounais) avait organisé, en avril 2005, la grève de la faim. Parmi les grévistes, le leader de cette association estudiantine, Mouafo Djontou, le vice-président, Linjouom Mbohu, et des membres tels que Thierry Okala Ebode, Bergeline Domou, Éric Koizah, Alain Blaise Ngono, Ahmed Messi Balla, etc. A cette époque- là, au lieu que le ministre de l'Enseignement supérieur (Minesup) plane sur les revendications de l'Addec, qui était en parfaite symbiose avec la masse estudiantine, certaines réseaux associatifs d'étudiants ont été instrumentalisés dans des universités d'État pour briser l'élan de la colère des cop's et casser le mouvement de grève de la faim agréé et accrédité par les étudiants. Ceux-là qui avaient été manipulés sont devenus, aujourd'hui, qui leaders de partis politiques, qui administrateur civil révoqué, qui enseignant d'université, qui cadre d'appui dans une université de la place, qui enseignants dans des lycées de la place. Certains, grâce à leur sale besogne, avaient passé le concours dans certaines grandes écoles et avaient été recrutés quelques années plus tard dans certaines structures publique et parapublique. L'histoire ne ment pas. Nous les connaissons. Vous les connaissez aussi.

La conséquence est que ceux qui avaient étrenné cette grève de la faim avaient payé le lourd tribut au point d'être exclus des universités d'État. Mouafo Djonto s'était domicilié au Canada, Linjouom Mbohu en Égypte si je ne m'abuse, Yves Mintoogue, en France, Okala Ebode en Égypte, entre autres. Ici au Cameroun, lorsque vous menez un mouvement de grève, vous êtes sanctionnés négativement de manière à subir des affectations disciplinaires, à être radiés des effectifs ou à être enfouis au département ministériel d'origine en complément d'effectif. Souvenez-vous de la grève des médecins en 2017. Après ce mouvement de grève, les médecins de formation et de profession, qui avaient diligenté le mouvement de grève à cette période- là, avaient été sanctionnés, puis affectés qui à Somalolo, qui dans un autre coin de l'arrière-pays, où ils n'ont plus, aujourd'hui, l'opportunité de faire grève. Il s'agit des Dr Yves Bassong et Patrick Ndoundoumou. Ils sont confinés, hélas, au silence. Voilà la triste réalité des grévistes. Il est donc possible de comprendre pourquoi certains leaders de Ots évoluent sur certaines antennes de radios à visage masqué; c'était le cas ce matin sur la chaîne de Radio Équinoxe. C'est la crainte des représailles. Mais ils doivent comprendre, au bout du compte, que qui ne risque rien n'a rien. C'est pourquoi les syndicalistes purs et durs tels que Jean-Marc Bikoko sont rares dans l'environnement camerounais. Je reviendrai, ce vendredi, 4 mars 2022, sur la création du Centre syndical d'arbitrage du Cameroun, dont ses pairs et lui sont des founding fathers.