Opinions of Thursday, 7 December 2017

Auteur: camer.be

Guerre Ambazonie: les sécessionnistes font appel à des mercenaires

Des puissances étrangères soupçonnées d'être derrière ces mercenaires Des puissances étrangères soupçonnées d'être derrière ces mercenaires

Tandis que le pouvoir surfe sur une revendication sécessionniste, somme toute résiduelle, pour s’agripper à quelques privilèges, des acteurs jusqu’ici inconnus investissent l’espace politique national et semblent donner des arguments à une frange de l’élite au pouvoir. Les populations prises dans l’étau des intérêts occultes.

Depuis plus d’un an, la crise dans les régions du Sud-ouest et du Nord-ouest joue avec les nerfs des Camerounais. Cette guerre ouverte entre les élites gouvernantes et les mouvements corporatistes d’abord, puis des organisations sécessionnistes après est d’abord une guerre psychologique entre le pouvoir qui affiche son souci de ne pas céder aux aspirations sécessionnistes et de nouveaux acteurs sur la scène sociopolitique qui lui opposent leur volonté d’en découdre avec le déni de la spécificité anglophone dans le contexte historique national. Le pouvoir se dit sûr de remporter la partie, mais feint d’ignorer que tout peut arriver. Les sécessionnistes affirment leur détermination, mais n’ignorent pas que la disproportion logistique est forte.

D’un côté comme de l’autre, chacun joue sa partition avec beaucoup d’entrain et de conviction et manœuvre dans l’espace social pour se faire le maximum d’adeptes voire de sympathisants. Mais, les raisons de cette opposition sont ailleurs. La crise déclenchée le 11 octobre 2016 a pour fondement des revendications sectorielles.

D’abord celle des avocats d’expression anglaise qui en appellent à l’observation du Common Law. Système juridique d’origine anglo-saxonne visiblement dissout par les us du système francophone «imposé» par l’Etat du Cameroun, à majorité de la population francophone nationale.

Cette crise, au fond, est aussi celle des enseignants et étudiants des régions anglophones qui, en novembre 2016 ont dénoncé la mainmise du système éducatif francophone sur leur modèle d’apprentissage issu de la tradition britannique. Des revendications marquées par une forte répression sécuritaire ayant fait de nombreux morts ainsi que des blessés par balles.

Depuis lors, la situation enlisée s’est considérablement dégradée. Les négociations engagées au mois de janvier 2017 entre les grévistes et le gouvernement ont fait long feu. Dans le sillage, de nombreuses figures de proue de la contestation corporatiste ont été arrêtées et placées en détention sans jugement.

Le cryptage du réseau Internet dans les deux régions, loin de contenir la contestation, a plutôt radicalisé certaines populations. D’autant plus que, dans l’intervalle, de nombreuses personnalités parfois des ressortissants des deux régions ont souvent évoqué des liens supposés ou réels entre les revendications corporatistes et des organisations sécessionnistes.

Une posture qui a contribué à radicaliser un peu plus des populations déjà nourries au discours identitaire par quelques acteurs installés de la diaspora. Mais aussi par des acteurs locaux et le discours gouvernemental. Dès lors, le fédéralisme et la sécession sont alors apparus comme les seules options pour une frange des ressortissants des régions anglophones du pays.

Une posture confortée par le pouvoir à travers quelques hommes liges du palais. Présentés comme les tendons de la stratégie triangulaire de Paul Biya dans la gestion de la crise anglophone, des personnalités autant représentatives du système gouvernant que honnies des populations sont apparues au grand jour. Personnage à la réputation controversée, Paul Atanga Nji est présenté comme le focal offensif de la stratégie du pouvoir.

L’homme qui s’octroie les services de quelques médias proches du pouvoir à beau jeu de clamer qu’ «il n y a pas de problème anglophone» tout comme il inscrit les revendications corporatistes dans le cadre de la surenchère. Tout à côté, l’ancien Premier ministre et actuel sénateur, Simon Achidi Achu réputé avoir l’oreille du chef de l’Etat et des parlementaires Rdpc de la région anglophone finit de conforter la thèse du complot contre les institutions tout en radicalisant les «frères anglophones ».

Un travail de fond que poursuit le très emblématique Fon Angwafor III dont l’activisme dans la crise est depuis longtemps sorti de la sphère traditionnelle pour s’inscrire dans la stratégie gouvernementale. Des indiscrétions indiquent d’ailleurs sa proximité avec le fusible Paul Atanga Nji.

Paul Biya entre la République et le parti

Variablement présenté comme maître de la situation, Paul Biya semble pris dans l’étau du président de la République garant de la paix et de l’unité nationale d’une part. Et, d’autre part, sa posture de chef de file du parti gouvernant dont l’objectif est de se maintenir au pouvoir.

Dans les deux cas, l’homme penche visiblement sur l’option répressive. D’autant plus que les différents rapports des renseignements indiquent la présence de groupes sécessionnistes et terroristes décidés à en découdre avec son pouvoir. Dans la foulée, des rapports de sécurité soutiennent même l’implication de quelques mercenaires à la solde de puissances étrangères.

Des assertions qui provoquent sourire mais aussi indignation dans certaines chancelleries sans toutefois diluer la théorie du complot et de la déstabilisation du Cameroun largement entretenue par quelques barons du sérail. Objectivement pris entre les pressions des appareils au sein de la classe politique gouvernante et celles de la communauté internationale, le chef suprême des armées et de la justice s’essaye de temps en temps à quelques mesures.

C’est ainsi que quelques prisonniers de la revendication seront libérés fin août 2017 et la connexion Internet rétablie. Des mesures cosmétiques pour les acteurs de la crise et une partie de l’opinion qui y voient une manœuvre du pouvoir pour inciter au retour à la normalité dans les deux régions quoique quelques mesures sectorielles ont été prises entretemps. Loin donc d’une solution de fond – de nature politique donc - à la crise telle qu’exigée par les tenants de la revendication anglophone.

La rupture de dialogue qui s’installe donne lieu à la naissance d’une nouvelle tendance. Fortement marqué par les revendications sécessionnistes - et fédéralistes pour les plus modérées -, les groupuscules qui dirigent désormais la perception de la crise dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest semblent prendre le pouvoir de court. Un contre-pied à la stratégie gouvernementale habituée à gérer depuis 1990 la contestation d’un Southern Cameroons National Council (Scnc) réputé malléable par la classe dirigeante. Face à la rue qui s’embrase dans les régions anglophones, le pouvoir opte pour la répression armée tout en essayant une opération de charme en direction d’une diaspora réputée proche des groupes extrémistes.

Surtout, le gouvernement essaie de donner des gages de bonne foi à la communauté internationale qui prône le dialogue et le consensus. Une opération de charme qui ne semble produire les résultats escomptés. En effet, les différentes missions diligentées « par le président de la République » rencontrent l’opposition de la diaspora anglophone souvent soutenue par d’autres migrants camerounais. Surtout, elle laisse apparaitre les réserves d’une communauté internationale pourtant visée par la stratégie gouvernementale. Pis, l’activisme gouvernemental paraît avoir ravivé la dynamique anglophone faisant des émules dans les autres régions du pays.

Politologue et chercheur à l’International Crisis Group, Hans De Marie Heungoup indique que le gouvernement, désarçonné hésite entre compromis et répression. L’auteur de l’ouvrage «le Bir, la Gp et le pouvoir au Cameroun» paru aux Editions Universitaires européennes souligne que «malgré les mesures prises en août (arrestation de sept journalistes et d’une douzaine de militants anglophones, renforcement de la présence militaire), son appareil répressif semble inefficace face à la désobéissance civile d’une partie de la population et à la violence des groupuscules sécessionnistes.» Une posture qui semble dictée par la prédominance de la centralisation incarnée par le président de la République. Un mode de gouvernance qui génère néanmoins des bénéfices à la classe dirigeante.

Le président de la République veut-il d’un véritable dialogue? De nombreux observateurs répondent par la négative. Plus explicite, le politologue Hans De Marie Heungoup analyse que «cela obligerait le président de la République au pouvoir depuis 35 ans à descendre de son piédestal et à prendre des engagements concrets.» Une option qui parait suicidaire dans certains cercles proches du pouvoir.

Perspectives électorales

Rendu à moins d’un an des élections municipales, législatives, sénatoriales et présidentielles prévues, les postures se cristallisent au sein de la classe dirigeante. Chez les théoriciens du palais, la crainte de voir un dialogue avec les anglophones se muer en forum national où serait faite une sorte de bilan du régime en place est grande. Surtout, souligne notre analyste, «ils craignent aussi que les éventuelles concessions faites aux anglophones ne stimulent les revendications identitaires dans les régions francophones.»

Dans les faits, et malgré la reprise des prétoires des cours et tribunaux par les avocats, le mouvement de désobéissance civile se poursuit dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest. Dans le même temps, les mesures visant à faire taire le chœur anglophone semble de plus en plus impliquer les ressortissants des autres régions du pays dans ce qui apparait au fond comme une revendication d’un nouveau modèle de gouvernance politique et institutionnelle laissant plus de pouvoirs au régions, au détriment de la concentration dans la capitale politique et autour d’un pôle unique présidentiel.

Une revendication nationale évidente quoique latente selon de nombreux observateurs de la scène sociopolitique camerounaise. En effet, y compris dans les cercles proches du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), ce parti au pouvoir que dirige et contrôle d’une main de fer Paul Biya, des voix s’élèvent pour suggérer pour certains et réclamer pour d’autres la mise en place effective de la décentralisation prévue depuis 1996 par la loi fondamentale réformée. Une option peu envisagée par les pontes administratives du régime qui «redoutent la mise en œuvre effective de la décentralisation qui pourrait donner lieu à de véritables expériences démocratiques locales.»

Prisonnier des appareils ou véritable maître à bord du bateau Cameroun, selon les perceptions et les assertions des observateurs d’horizons divers, Paul Biya semble pourtant avoir perdu sa quiétude légendaire face à une crise qui déploie ses tentacules au fil de son évolution. Malgré sa volonté de garder la main ferme sur sa posture, le déploiement des forces armées dans des localités anglophones donne la pleine mesure de la panique qui s’est emparée de l’intelligentsia gouvernante.

Conséquence, la crise qui semblait concentrée dans les régions anglophones émeut dans les régions voisines. A défaut de trouver refuge majoritairement chez le voisin nigérian, de nombreuses populations souvent effrayées par l’annonce des canons migrent à travers le pays suscitant à la fois appréhension sur le plan sécuritaire et manifestations de solidarité chez certains.

«De quoi présager d’une météo inquiétante si des solutions pérennes et efficaces ne sont pas prises», consent sous cape un cadre du Rdpc. C’est que, vue du palais, la crise dans les régions anglophones continue d’être perçue à sa dimension historique et linguistique par les autres composantes du pays. Une représentation qui ne semble plus résister à l’analyse. Pour le politologue Hans De Marie Heungoup, les citoyens de la zone francophone ont depuis quelques temps intégré les dimensions sociales, politiques et économiques dans leur perception.

«Pour la plupart des francophones, le problème anglophone n’est qu’un reflet des problèmes nationaux : le centralisme, la mauvaise gouvernance et la fracture générationnelle. Ils estiment que plusieurs régions francophones comme l’Est et les trois régions septentrionales sont plus déshéritées que les régions anglophones, et que les problèmes de développement évoqués par les anglophones résultent davantage de la mauvaise gouvernance nationale que d’une volonté de les marginaliser.»

Une conviction qui fait son chemin dans l’opinion qui y voit une volonté pour le gouvernement d’accentuer la répression sur la partie anglophone tout en installant une pression psychologique sur la partie francophone.