Opinions of Friday, 16 December 2016

Auteur: Clarisse Juompan-Yakam

Guerre du Cameroun: défier l’oubli

Carte du Cameroun Carte du Cameroun

C’e?tait une de?pendance allemande, conquise par le fusil, soumise par le travail force? de?s 1884.

Place? sous mandat de la Socie?te? des nations en 1916 et confie? a? la France, le Cameroun devient, a? la fin des anne?es 1940, une zone de non-droit, ou? Paris livre, dans le plus grand secret, une guerre totale contre les inde?pendantistes de l’Union des populations du Cameroun (UPC), e?crivant ainsi l’une des pages les plus sombres de l’histoire de sa pre?sence en Afrique. Dans La Guerre du Cameroun, paru mi-octobre aux e?ditions La De?couverte, deux journalistes franc?ais et un historien camerounais de?montent les me?canismes qui ont conduit a? cette guerre, puis a? la confiscation des inde?pendances.

Une colonisation violente

Leur ambition ? Tordre de?finitivement le cou au mythe de la de?colonisation pacifique en Afrique subsaharienne. « Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, expliquent-ils, comme toutes les puissances coloniales europe?ennes, la France est face a? une e?quation a priori insoluble : comment conserver son emprise sur le monde quand tout milite pour la fin des empires coloniaux qui ont contribue?, pendant des de?cennies, a? sa prospe?rite? ? » De plus, de?faite en Indochine et de?fie?e en Alge?rie au de?but des anne?es 1960, elle juge indispensable l’e?crasement, de manie?re pre?ventive, de toute nouvelle insurrection anticoloniale.

« Identification des individus, instauration de laissez-passer, e?rection de camps de regroupement, de?portations populaires […], leve?e de milice de combats, infiltration des groupes rebelles, bombardements ae?riens, assassinats cible?s, disparitions force?es, exe?cutions publiques, exhibition de te?tes coupe?es, syste?matisation de la torture […] : toutes ces techniques ont e?te? utilise?es a? plus ou moins grande e?chelle au Cameroun au cours des anne?es 1950 et 1960 », e?nume?rent les auteurs. Apre?s une inde?pendance en trompe l’œil, les autorite?s camerounaises prennent la rele?ve jusqu’en 1971, appliquant les me?mes me?thodes.

Un défi organisé

Pour les auteurs, le « succe?s » de cette guerre tient surtout au grand silence impose? par Paris et Yaounde? sur cette longue guerre franc?aise qui a fait quelque 100 000 morts. De?ja? publie?e une premie?re fois en 2011 chez le me?me e?diteur, cette nouvelle version de l’ouvrage de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa se veut plus synthe?tique et plus comple?te, nourrie de te?moignages ine?dits recueillis des deux co?te?s.

Comme une re?ponse et des arguments supple?mentaires apporte?s a? la France, qui persiste a? nier cette guerre d’inde?pendance. Pour l’historien franco-congolais Elikia M’Bokolo, la France est l’un des cas les plus symptomatiques du double langage et de la difficulte? qu’e?prouve l’Europe a? assumer son passe?. Un passe? ou? l’esclavage, la traite, la colonisation, la de?colonisation et le ne?ocolonialisme repre?sentent des pages sombres sur lesquelles nous devons tous re?fle?chir davantage.