Dans les campements Kwo et Mayos, à l’Est du Cameroun, les pygmées vivent dans des maisons construites en planches et en matériaux provisoires. Les cases faites en feuilles mortes sont en voie de disparition.
La petite Antoinette ne parvient plus à retenir son fourire. Son interlocutrice vient de lui dire une « bêtise, une grosse bêtise ». « Vivre dans les huttes faites en feuilles mortes ? ». Elle répète la phrase, dans un français parfait et l’accompagne des éclats de rires. « Moi je vis là-bas, dit-elle fièrement, en nous montrant une maison construite en planches. Je ne vis pas dans une hutte ». Elle secoue la tête, l’air étonnée et recommence à rire. Elle est rejointe par sa camarade qui lui pose une question en langue Baka, surement pour savoir pourquoi elle rit autant, au milieu de la route. Sa camarade, main sur la bouche a aussi de la peine à retenir son rire. Elles rient toutes les deux, aux éclats.
En fait, nous avions voulu savoir si elles vivaient encore dans des huttes, ces cases célèbres des pygmées, faites à base de feuilles mortes issues de la forêt. Et la réaction des deux fillettes, hautes comme trois pommes, va à l’encontre des croyances des personnes vivant dans les zones urbaines ou les touristes. « Nous ne vivons plus dans ce genre de maisons, s’agace un jeune garçon, tout juste vêtu d’un pantalon délavé, assis auprès de sa mère dans une cuisine construite en planches, à un pas des fillettes. Nous vivons comme les autres ». Dans les campements Kwo et Mayos, à l’Est du Cameroun, les pygmées vivent loin des huttes d’avant. Ils sont dans « des maisons modernes », comme le répètent à tour de rôle, plusieurs d’entre eux.
« Ma petite et belle maison en planches »
Gaston Soniga est d’ailleurs très amusé par notre question. Du haut de ses 21 ans, il nous apprend qu’il est « habitué ». « Même mes amis bantous qui apprennent pour la première fois que je suis pygmée pensent que je vis dans une case pleine d’herbes, rigole-t-il. Lorsque je les amène ici, ils sont surpris ». Ce père de trois enfants vit dans une « petite et belle maison » qu’il a construit avec son « propre argent ». Ton coléreux, il tient surtout à faire une précision avant toute chose : « ce n’est pas une hutte. Les pygmées vivent dans les maisons comme tout le monde, comme vous (il nous montre du doigt) qui vivez à Douala ou Yaoundé ». Ça y est, il redevient doux et raconte avec insistance comment à force de travail, il a obtenu sa belle maison.
« Mes parents m’ont légué un hectare et demi de terre. J’y cultive du plantain et du manioc. Mais, comme j’utilise de la hache et de la houe, je n’obtiens pas beaucoup de résultat à la fin, dit-il, l’air malheureux. Je fais de la chasse à la course avec mon chien pour m’en sortir et avoir un peu plus d’argent car dès que j’attrape un gibier, je le vends ». Comment a–t-il donc fait pour construire sa maison ? Enfin, il consent à nous répondre pour « de vrai ». « J’ai récupéré des déchets de planches auprès des sociétés qui découpent le bois en forêt, avoue-t-il. C’est avec ces déchets que j’ai pu construire ma maison ». A force d’économies, Gaston a pu avoir de l’argent pour se payer des tôles. Mais, certaines toitures des maisons construites en planches, sont encore en pailles.
Elles côtoient les maisons construites en matériaux définitifs aux murs défraichis. Voilà 17 ans qu’elles ont été construites. « C’est l’Ong Plan Cameroun qui nous a offert ces maisons, en 1998, explique Dieudonné Noutcheugue, chef du campement Mayoss. Nous ne pouvons pas avoir assez d’argent pour construire des maisons pareilles ». Les signes d’usure sont visibles jusqu’à l’intérieur de ces habitations aux murs noircis par la fumée. Les sols sont jonchés de petits trous on dirait des nids de poule sur une route ordinaire. Les fenêtres sont inexistantes parfois. Assis à même le sol, les propriétaires causent, blaguent et rient aux éclats, un peu comme au temps des huttes faites de feuilles morte, où les histoires se racontaient autour d’un feu de bois, au clair de lune.
Les huttes en herbes persistent !
Dans ce campement, les huttes n’ont pourtant pas disparus. Loin de là ! A l’entrée de Mayos, en face des maisons dites « modernes », une hutte attire de prime abord les regards. « C’est la maison de mami », glisse une fillette couverte de terre rouge, qui revient des champs. Mami, c’est bien Angeline Andea, crinière blanche et noire. Nostalgique de son époque, elle s’y sent « à l’aise ». Elle a été habituée, dans la forêt à cette vie, nous dit-elle, sourire aux lèvres. Elle veut nous raconter une histoire mais, demande à son petit fils qui nous a rejoints, comment faire pour que nous l’écoutions correctement. Lui, cause français et rassure sa grand-mère.
Elle entame : « avant, on ne compliquait vraiment pas les choses. Nous vivions simplement, dans nos petites maisons qui ne coûtaient même pas chers à construire et ces maisons ont un pouvoir mystique». Fin de l’histoire, ponctuée encore de sourire. Angeline Andea est toutefois disposée à avoir une belle maison construite « en dur », près de sa hutte qu’elle pourra parfois abandonner pour quelques nuits. Si son « abandon » est partiel, celui des habitants du campement Kwo est définitif depuis de nombreuses années Camer.be. Il y a bien une hutte qui trône à l’entrée du village. A la question de savoir la personne qui y vit, tous ces habitants se regardent dans les yeux. Finalement, le petit Jean Djossi, 10 ans, avoue, l’air penaud ; « personne n’habite là-bas ». Pourquoi ontils construit une hutte pareille au milieu de leur campement s’ils n’y habitent pas? « C’est pour les touristes, finit par avouer le chef du campement. Lorsqu’ils viennent, ils veulent que nous dansions pour eux. Ils nous demandent parfois de faire comme avant ». Une simulation qui énerve Andé, plus de 100 ans et doyenne du campement Mayos.
« Les blancs sont venus de très loin pour nous voir. Des grands messieurs et ministres sont venus. Nous leur avons parlé de notre culture et ils sont partis. Mais, nous sommes pauvres. Nous sommes toujours restés pauvres », répète-t-elle inlassablement, de sa petite voix, ponctuée de quinte de toux. Amaigrie par une maladie (dont elle ne connait réellement pas) qui la ronge depuis de nombreuses années, Andé est malheureuse de voir qu’au soir de sa vie, « ses enfants soient toujours réduits dans la pauvreté, sans palais comme les autres peuples ». Les maisons en planches nous dit-elle, c’est « bien et beau ». « Mais, il nous faut aussi de belles maisons comme ceux que je voyais en ville lorsque j’étais encore jeune », insiste-t-elle.
Dans le campement, sans électricité ni eau potable, l’obscurité apparaît peu à peu. Des maisons, des nuages de fumée s’élèvent. Et André réclame déjà son repas du soir. A la dernière cuisine, celle qui jouxte la forêt, de petits garçons s’activent autour d’un feu en bois. Andé les observe et lâche quelques mots en langue Baka. Ils lèvent à leur tour la tête et la regardent. « Ce sont eux qui feront l’avenir de notre village », dit la vieille femme au visage ridé. Son regard se promène de l’autre côté, du côté du petit stade de l’école publique de Mayos, où des jeunes garçons et filles jouent au football. Leurs cris nous dévoilent pour la première fois le sourire de la vieille dame. « Je vais bientôt mourir », lâche-t-elle. Et d’ajouter : « mais, ces enfants vont nous construire ici au village, de grandes et belles maisons comme en ville ».