77 ans après sa mise sur pied, le parlement camerounais montre encore des signes de balbutiements, au moment où le pays a besoin d’institutions fortes pour consolider sa démocratie et relancer son développement économique. En ce début d’année 2023, les deux chambres ont mis toute une session à élire le bureau.
L’Assemblée nationale camerounaise, entrée en session pour l’année législative le 03 mars 2023, a procédé à l’élection du bureau le 27 mars, soit 24 jours plus tard, à 6 jours de la fin de la session, qui doit durer 30 jours. D’après le règlement intérieur de cette chambre, à l’article 14 alinéa 1, « au début d’une législature, ainsi qu’à l’ouverture de la première session ordinaire de l’année législative de l’assemblée nationale, le plus âgé des députés présents et les deux plus jeunes forment le bureau d’âge qui reste en fonction jusqu’à l’élection du bureau définitif. Alinéa (2) a) : aucun débat, aucun vote, à l’exception des débats sur la vérification des cas d’incompatibilité, en début ou en cours de législature, et de l’élection du président de l’assemblée nationale, ne peut avoir lieu sous la présidence du doyen d’âge. » Et l’article 15 alinéa 4 de préciser qu’ « au début de la législature ou de la première session ordinaire de l’année législative de l’assemblée nationale, il est procédé avant toute délibération et sous réserve des dispositions de l’article 14 ci-dessus, à l’élection du bureau définitif. »
En d’autres termes, les députés de l’Assemblée nationale, pour l’année législative 2023, auront gaspillé toute la première session pour des tractations en vue de la composition d’un bureau. Pour servir en fin de compte un plat réchauffé avec la reconduction comme président de la chambre pour la 31eme année consécutive de Cavaye Yeguié Djibril, député Rdpc de la circonscription de Mayo Sava dans la région de l’Extrême Nord et dont l’âge officiel est de 83 ans. Un plat également dont la composition est dénoncée par le député Jean Michel Nitcheu en ces termes : « L’élection du bureau de l’Assemblée nationale ce lundi 27 mars 2023 vient de confirmer le recul jusqu’aux catacombes, de l’idée de la démocratie parlementaire dans notre pays. En décidant délibérément de violer son propre Règlement intérieur et en ignorant les motions présentées par le Pcrn et l’Ums, le Rdpc a reconduit un élu du Sdf au poste de questeur de l’Assemblée nationale. C’est un véritable scandale qui restera dans les annales de l’histoire parlementaire du Cameroun. Un acte de dictature jamais observé depuis la fin du parti unique. Cette institution vient d’achever de convaincre, même les plus sceptiques, qu’elle n’est qu’un minable instrument à la solde du pouvoir exécutif. Au point de piétiner son propre règlement intérieur qui dispose en son article 17.7 que “l’élection des membres du bureau doit refléter la configuration politique de l’Assemblée nationale, sauf refus de certains partis politiques de participer au bureau“. »
Le Sénat
Au Sénat, la chambre haute du parlement, on a procédé le même jour à l’élection du bureau. Après le même temps d’attente depuis l’ouverture de la session le 3 mars, avec la reconduction aussi du même président depuis la mise en place de la chambre en 2013, Niat Njifenji Marcel, sénateur Rdpc nommé du département du Ndé dans la région de l’Ouest, et dont l’âge officielle est de 88 ans. La particularité ici, c’est que le mandat des sénateurs qui élisaient un bureau est échu, et les élections pour le renouvellement de la chambre ont eu lieu le 12 mars 2023, les résultats proclamés le 23 mars consacrant la majorité unique du Rdpc qui a remporté les 70 sièges. D’après la loi portant code électoral en son article 215 alinéa 3, le président de la république devra nommer 30 autres sénateurs dont 3 par région dans un délai maximal de 10 jours à compter de la date de proclamation des résultats, soit le 2 avril 2023 au plus tard. Le premier et le deuxième alinéa de cet article 215 indique que « (1) Le mandat des sénateurs commence le jour de l’ouverture de la session ordinaire qui suit le scrutin, date à laquelle expire le mandat des sénateurs antérieurement en fonction. (2) Le Sénat se réunit de plein droit en session ordinaire le troisième mardi suivant la proclamation des résultats des élections sénatoriales par le Conseil constitutionnel.» En application de ces dispositions légales, les nouveaux sénateurs élus et nommés devront entrer en session de plein droit, la première de leur législature le 11 avril 2023, date à laquelle expire définitivement le mandat des sénateurs actuels. Ainsi, le nouveau bureau élu va durer exactement 14 jours. Il se pose dès lors la question de savoir quelle était l’utilité de mettre sur pied un bureau pour 14 jours, ou plus exactement pour 6 jours puisque la session s’achève en principe le 2 avril ?
Le Parlement camerounais, constitué des représentants du peuple et des représentants des collectivités territoriales décentralisées, tourne en rond et sans direction, alors que le pays est en situation d’urgence, et a plus que jamais besoin d’institutions fortes.
Nuages à l’horizon
En résumé, le Parlement camerounais est dans tous ses états en ce début de l’année 2023, ou plutôt cherche encore ses repères, après 77 ans d’existence. Alors que cet âge devait avoir permis à l’institution de se structurer solidement, d’huiler des mécanismes lui permettant un fonctionnement quasi automatique, elle balbutie encore. La chambre basse est sclérosée au sommet où un député s’est arrogé le titre foncier depuis 31 ans, elle est devenue une passoire des lois suicidaires pour les populations comme la loi des finances 2023 avec les prix des services administratifs revue à la hausse dans un contexte de lutte contre la vie chère, elle est également devenu une chambre dans laquelle on se bat pour entrer juste pour s’affubler le titre de « honorable » et bénéficier des avantages liés sans une préoccupation pour le peuple, elle est devenue aussi un gibier pour lequel les hommes à l’écharpe se déchirent pour avoir chacun son morceau en guise de poste occupé dans le bureaux ou dans les commissions. Et cela peut prendre toute une session de 30 jours sans que cela ne gêne personne, du moment où les frais de session sont payés. La chambre haute quant à elle, qui engloutit autour de 15 milliards chaque année des impôts du contribuable, ne fait pas mieux et n’est pas autre chose qu’une maison de retraite avec le nombre en moins par rapport à la chambre basse. Elle en est même à gaspiller temps et énergie pour mettre sur pied un bureau pour une durée de vie de 14 jours. Le Parlement camerounais, constitué des représentants du peuple et des représentants des collectivités territoriales décentralisées, tourne en rond et sans direction, alors que le pays est en situation d’urgence, et a plus que jamais besoin d’institutions fortes.
Roland TSAPI