Samedi dernier au quartier Nkomo. Un pick-up débarque et s’arrête à un endroit de grande fréquentation. Plutôt fins stratèges, les occupants en sortent et ne tardent pas à dévoiler le contenu de leur bâche : du poulet sur pied. Évidemment le petit manège a vite fait d’attirer l’attention des riverains et l’information se répand en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Le pick-up, rapidement assailli, est délesté de son contenu au bout d’une demi-heure.
Des scènes de braderie comme celle-ci s’observent à travers les quartiers de la ville de Yaoundé, où des cas de grippe aviaire ont été déclarés par le gouvernement il y a une dizaine de jours. Elles traduisent non pas vraiment une défiance vis-à-vis de l’autorité publique qui a interdit la vente de poulet dans la capitale depuis la confirmation d’une épidémie au complexe avicole de Mvog-Besti ; ni même une inconscience face aux risques qu’il y a à consommer du poulet en cette période.
Les scènes que l’on vit depuis quelques jours sont une espèce de résistance à ce que la grippe aviaire peut constituer comme menace pour une filière en plein essor. Une filière dont le dynamisme exemplaire et la résilience ont fait leurs preuves. Ces qualités l’ont en tout cas aidée à se relever d’une précédente épizootie aux effets catastrophiques. Forts de cette expérience récente, l’ensemble des acteurs de la filière semblent s’être passé le mot pour donner une riposte cinglante à la nouvelle catastrophe qui se dessine, si rien n’est fait. Résultat : alors que l’on craignait une psychose à la suite de l’annonce de l’épidémie, le poulet et les œufs n’ont jamais été aussi demandés sur les marchés locaux. Des circuits de vente informels se sont développés pour contourner l’interdiction gouvernementale et les contrôles conséquents. Au point où le préfet du Mfoundi a dû descendre dans les rôtisseries pour saisir du poulet cuit et le faire incinérer.
Ce qui est clair, c’est que les aviculteurs, leurs relais et même les consommateurs ont visiblement décidé de survivre. Car comme on le sait, les mesures sanitaires en vigueur imposent, par principe de précaution, de détruire les cheptels dès qu’une épizootie est déclarée. C’est ce qui est arrivé il y a une dizaine de jours à Mvog-Betsi. Cette action forte au plan sanitaire signifie carrément le retour à la case-départ au plan économique. C’est cette perspective que rejette l’ensemble de la filière à travers les scènes décrites plus haut.
Évidemment, ces attitudes ne sont pas à encourager, car elles sont susceptibles de brouiller le message délivré par le gouvernement et favoriser une propagation de la maladie. Mais elles indiquent au moins une chose : la communication autour de la crise naissante demande à être renforcée. Car ces actions désespérées traduisent une incertitude réelle qui pousse les éleveurs à écouler rapidement leur produit ou les vendeurs à brader leur marchandise pour ne pas tout perdre au cas où le mal gagne en ampleur. La filière avicole, actuellement en pleine phase de croissance n’avait pas besoin d’une douche froide pareille. En cinq ans, au sortir de la dernière montée de fièvre, la production nationale de poulets de chair et le cheptel de pondeuse en voie d’être doublés.
Dans ce contexte, les acteurs de la filière, accouveurs, éleveurs, fournisseurs d’aliments, vétérinaires, sont en droit d’attendre d’autres mesures concrètes, au-delà des précautions sanitaires. Il y a proprement péril sur l’aviculture camerounaise et il est bon que l’incertitude au sujet de l’accompagnement des pouvoirs publics dans cette période délicate soit rapidement levée. Avant de détruire tout son cheptel par principe de prévention, l’éleveur qui sait comment il va se relever, est forcément plus prompt à observer les mesures sanitaires