Opinions of Sunday, 24 July 2016

Auteur: camer.be

Il était une fois la guerre oubliée du Cameroun

Photo d'archives utilisée à titre d'illustration Photo d'archives utilisée à titre d'illustration

Il y a tout juste un an, François Hollande, lors d'une tournée africaine close au Cameroun, reconnaissait la responsabilité de la France (longtemps niée) dans la répression sanglante des indépendantistes de cette ancienne colonie française dans les années 50-60. Il assurait vouloir ouvrir les archives (Quelles archives ? Mystère) concernant les exactions perpétrées en pays bamiléké par l'armée française. L'annonce fut alors remarquée, la volonté de lever le voile sur cette autre guerre de la honte, saluée. Quid aujourd'hui de cette promesse ?

Aucune suite tangible connue. Une pirouette politique, un simple coup d'épée dans l'eau. Mais on peut compter sur une jeune génération d'écrivains camerounais pour révéler les tenants et les aboutissants de cette guerre soigneusement gardée secrète où, comme en Algérie, le recours aux bombardements, aux villages rasés, aux camps et à la torture fut avalisé.

Si, en 2011, Kamerun !, enquête de plus de 700 pages solidement documentée, révélait ce pan de l'Histoire méconnu, c'est sur le mode de la fiction que Hemley Boum et Max Lobe se sont emparés de cette réalité pour révéler la farouche résistance d'un peuple et son aspiration inconditionnelle à être libre.
Un labyrinthe

Anthropologue de formation, Hemley Boum signe avec les Maquisards son troisième roman, couronné en 2015 par le Grand Prix d'Afrique noire, remarquable à bien des égards. Dans cette saga familiale au souffle romanesque marquezien (oui, on pense à Cent ans de solitude tout au long de ce récit), la jeune écrivaine s'affirme comme une formidable conteuse, nous emmenant avec une limpidité désarmante dans ce labyrinthe complexe où se croisent les générations, au cœur de la forêt bassa, lieu de maquis.

Hemley Boum brosse les destinées des petites gens, acteurs invisibles de la résistance, au même titre que celles des figures historiques - dont Ruben Um Nyobè, dit «Mpodol», leader de l'Union des populations du Cameroun (UPC). Les Maquisards embrasse réalités sociales, politiques, traditionnelles et spirituelles de l'époque, échappant ainsi à la caricature anticolonialiste pour mieux exalter le panache et le courage de tout un peuple face à l'oppresseur. Fortes, braves, tout feu, tout flamme, les femmes, potomitan de la lutte, charpentent ce roman et donnent lieu à l'esquisse de riches personnages.

C'est aussi une femme qui se fait le porte-voix de cette guerre dans Confidences, le dernier roman de Max Lobe. Originaire de Douala, comme Hemley Boum, installé en Suisse, le jeune écrivain, de retour au pays le temps d'un voyage, donne la parole à Mâ Maliga. Porteur du devoir de mémoire, ce dialogue intimiste entre une grand-mère qui a vécu l'avènement douloureux de l'indépendance camerounaise et un jeune exilé à la recherche de l'histoire non dite fait défiler les événements : la lutte acharnée, la dévotion de tout un peuple au héros charismatique Mpodol, les petites histoires de vie imbriquées dans la grande Histoire.

Par petites touches, et à grands coups de matango (vin de palme), Mâ Maliga dévoile la «vraie vérité» de cette période et fait resurgir le temps perdu des peurs, du courage, des collabos, des têtes coupées ou de la terrible vie dans les camps. Portée par un verbe vif et cocasse, sa gouaille emprunte à une langue métissée, imagée, réinventée, et sait transformer les souvenirs, malheureux ou drôles, en un livre d'histoire épique.

Les Maquisards, de Hemley Boum, éd. La Cheminante, 392 p., 22 €.
Confidences, de Max Lobe, éd. Zoé, 288 p., 20,50 €.