Opinions of Monday, 5 September 2016

Auteur: fr.allafrica.com

Il y a 50 an Ahidjo officialisait son régime de terreur

Depuis qu'il était arrivé au pouvoir, Ahmadou Ahidjo n'avait cessé de caresser le rêve d'être le maître absolu du Cameroun. Pour cela, il ne pouvait tolérer l'existence de formations politiques autres que la sienne, ni d'autres hommes politiques que lui.

Il devait être le seul à se réclamer de ce statut, et son parti devait demeurer unique. Le 1er septembre 1966, il y est parvenu, avec la création de l'Union Nationale Camerounaise, UNC, par absorption musclée des autres partis politiques qui existaient au Cameroun, et après d'innombrables arrestations de contestataires de son régime suivi de leur déportation dans les sinistres bagnes de Tcholliré, Mantoum et Yoko.

L'ordonnance 62-OF-18 du 18 mars 1962 portant répression de la subversion : premier pas vers un régime de terreur.

Les jeunes générations de Camerounais ne savent plus très bien comment cela s'était produit. En fait, Ahmadou Ahidjo avait commencé par se doter de ce qu'il appelait lui-même des « armes légales », pour mâter la « subversion », car dans son esprit, quiconque n'adhérait pas à sa politique était un « subversif », c'est-à-dire un mauvais Camerounais. Ces fameuses « armes légales » ont pris la forme d'une ordonnance, à savoir une décision de l'exécutif ayant force de loi. Autrement dit, une loi qu'édicte le gouvernement par-dessus la tête de l'Assemblée Nationale. Ahidjo par cette voie, désirait éviter toute modification de la moindre ligne de son texte, si jamais il l'aurait soumis au débat des députés. Voici le libellé de l'ordonnance :

« Article 1 : Quiconque aura, par quelque moyen que ce soit, incité à résister à l'application des lois, décrets, règlements ou ordre de l'autorité publique, sera puni d'un emprisonnement de trois mois et d'une amende de 100.000 à 1 million de francs ou l'une de ces deux peines seulement.

Article 2 : Quiconque aura, par quelque moyen que ce soit, porté atteinte au respect dû aux autorités publiques, ou incité à la haine contre le gouvernement de la République Fédérale ou des Etats fédérés ou participé à une entreprise de subversion dirigée contre les autorités et les lois de ladite République ou des Etats fédérés, ou encouragé cette subversion, sera puni d'un emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende de 200.000 à 2 millions de francs ou l'une de ces deux peines seulement, sans préjudice, s'il y a lieu, des peines plus fortes prévues par les lois et décrets en vigueur.

Article 3 : Quiconque aura, soit émis ou propagé des bruits, nouvelles ou rumeurs mensongers, soit assortis de commentaires tendancieux des nouvelles exactes, lorsque ces bruits, nouvelles, rumeurs ou commentaires sont susceptibles de nuire aux autorités publiques, sera puni des peines prévues à l'article 2.

Article 4 : En cas de récidive, la peine de prison est toujours prononcée. Si l'auteur de l'infraction est fonctionnaire, agent ou employé d'un service public ou militaire, le tribunal pourra le déclarer à jamais incapable d'exercer aucune fonction publique ».

Publiée au mois de février 1962, elle fera ses premières victimes peu de temps après.

Le 16 juin 1962, Okala Charles, Mayi Patip Théodore, Eyidi Bebey Marcel, et Mbida André-Marie, avaient publié une lettre ouverte dans laquelle ils se prononçaient sur le projet du président Ahidjo d'instaurer un parti « unifié » au Cameroun, sous le prétexte d'unité nationale. Puis, sept jours plus tard, à savoir le 23 juin 1962, ils avaient également publié un Manifeste. On peut lire, dans celui-ci, ce qui suit :

« ... L'unité nationale telle qu'elle est définie par certains, est un mythe, et ce mythe frise l'utopie. Si réellement nous sommes animés par les uns et les autres du désir d'unité, on n'emploierait un autre langage que celui auquel nous habitue Radio Yaoundé et les officiels. Nous croyions quant à nous, que l'unité supposait d'abord un minimum de courtoisie envers tous ceux que l'on veut unir, mais nous nous apercevons à notre plus grand regret que cette unité ne se fera que quand les tenants du pouvoir auraient réduit les autres Camerounais au rang de simples esclaves. C'est pour cela que nous nous sommes décidés à opérer ce regroupement dont on parle tant, mais auquel on se dérobe quand nous voulons essayer de discuter les modalités de cette unité.

Tantôt on nous traite de « politicards attardés et ambitieux » et tantôt on nous traite de « politiciens dépassés », quand on ne nous traite pas de « menteurs et de démagogues ».

Qu'on nous permette de préciser que non seulement nous ne méritons pas ces épithètes, mais encore que nous ne sommes que des Camerounais comme les autres, et qui plus est, nous ne voulons que vivre notre âge, notre milieu et notre époque. Nous ne sommes donc ni « ambitieux », ni des « attardés », encore moins des « dépassés », des « menteurs » et des « démagogues ». Nous ne voulons non plus être des « précoces qui attellent la charnue avant les bœufs ». Mais, nous voulons qu'ensemble, avec l'Union Camerounaise et toutes les autres formations politiques, nous puissions d'abord résoudre les problèmes concrets qui se posent à notre pays commun, comme à tous les autres pays sous-développés (... )

Nous sommes des hommes conséquents et logiques. Notre souhait le plus ardent, est que nous discutions calmement, sans pression d'aucune sorte, sans menaces en tout cas sans chantage ; qu'on réponde avec le même calme et sans passion aux arguments appuyés sur des faits que nous avons présentés. A ce dossier solide que nous avons soumis à la médiation des dirigeants de l'Union Camerounaise, on nous oppose l'éternelle rengaine de l'unité que l'on veut réaliser sous le seul critère du parti unique. Nous réaffirmons tout de suite que nous sommes tous pour l'unité nationale. Pour nous, l'unité nationale est non seulement une nécessité, mais aussi une réalité fatale qui ne demande pas absolument l'unanimité ou mieux l'uniformisation. Car l'unanimité et la communion des âmes ne suffisent pas pour que le peuple devienne nation (... )

Il est indécent de faire prévaloir un climat de force en mettant en relief les démissions de ceux qui cèdent, comme tout le monde le sait, aux injonctions et pressions de certains agents d'autorité, lesquels ne font plus de l'administration, mais sont devenus des agents propagandistes et inquisiteurs de l'Union Camerounaise. Tout le monde sait les mesures de coercition dont on use pour extorquer les adhésions à l'Union Camerounaise. Sous prétexte de faire du recensement à l'occasion de toute tournée administrative, on aligne les populations auxquelles on vend obligatoirement les cartes de l'Union Camerounaise en ayant soin de retirer, de force, les cartes des autres partis politiques pour aboyer ensuite à la radio que l'Union Camerounaise enregistre des adhésions « massives », alors que les autres partis n'enregistrent que des démissions « spectaculaires ». Si le climat politique du pays était normal, on serait en droit de dénoncer tous ceux qui se sont rendus coupables de pareilles mesures antidémocratiques, et l'on pourrait faire connaître les noms de ceux qu'on a obligés à démissionner d'autres partis. On vient de sommer certains fonctionnaires à adhérer à l'Union Camerounaise avant le prochain congrès d'Ebolowa, faute de quoi on les « casserait ». Tout ceci paraît inimaginable, c'est cependant une pure réalité.

Un tel climat, comme on le voit, n'est pas de nature à favoriser l'unité nationale. Il faut ajouter à ceci les mesures de l'Etat d'urgence qui empêchent l'exercice normal des libertés d'opinion, liberté de déplacer et tant d'autres libertés encore qui sont ou supprimée, ou limitées, sous le prétexte de l'état d'urgence, au profit de l'Union Camerounaise, parti gouvernemental à qui on donne ainsi la possibilité efficacement pendant que tous les autres partis sont bâillonnés, ballottés et pratiquement mis dans l'impossibilité d'exercer certaines de leurs activités. Il suffit qu'un journal exprime une opinion qui ne rencontre pas l'agrément des dirigeants de l'Union Camerounaise pour que ce journal soit saisi. Alors que dans tout régime démocratique, la presse et l'information ont pour devoir de juger objectivement les actes du gouvernement et d'avertir l'opinion publique de ce qu'on lui prépare. Tout ceci forme un faisceau de faits qui assombrissent un climat que nous aurions souhaité plus serein, bâtir dans la confiance l'unité nationale. (... )

L'unité ne saurait se réaliser d'une façon valable et sincère dans le climat de haine, de chantage, de pression et d'oppression dans lequel nous vivons actuellement. Une telle unité ne serait qu'une nouvelle « tour de Babel » où nous risquons de revivre la tragédie biblique de ne pouvoir jamais plus nous comprendre... »

Six jours seulement après la publication de ce document, à savoir le 29 juin 1962, le président Ahidjo ordonnait l'arrestation de ses quatre députés signataires.

Le Cameroun Occidental.

Face aux politiciens du Cameroun Occidental, Ahidjo avait fait preuve de plus de douceur, mais était parvenu au même résultat : leur totale reddition. Il avait exacerbé au plus haut point la rivalité John Ngu Foncha, Tandeng Muna. Le premier était naturellement le véritable leader de cette partie du pays. Le second, quant à lui, était nettement moins populaire, mais néanmoins influent. Le président Ahidjo avait donc procédé à la promotion de Tandeng Muna, au détriment de John Ngu Foncha. Le Kamerun National Democratic Party, KNDP, de John Ngu Foncha, était alors entré dans une spirale de démissions spectaculaires et en séries, comme il s'en produisait au Cameroun Oriental, tandis que le Cameroon United Congress, CUC, de Tandeng Muna, quant à lui, conservait intacte ses militants. Pour tout dire, la situation était rapidement devenue intenable pour John Ngu Foncha. Ce dernier, finalement, s'étant retrouvé sans troupes, avait été contraint de céder à Ahidjo et d'adhérer, à contrecœur, à son projet, pour ne pas devoir gagner lui aussi la prison. Il nous confiera plus tard en 1983 à Paris que :

« I had no choice, because he began to buy my people » (je n'avais pas le choix, il s'était mis à acheter mes militants ; le « il » dont parle Foncha étant, bien entendu, Ahmadou Ahidjo).

Tandeng Muna, de son côté, s'était également retrouvé piégé. S'il n'adhérait pas à cette formation politique en gestation, il aurait été, purement et simplement, écarté de la vie politique ; il voyait bien comment Ahmadou Ahidjo s'y était pris avec tous les leaders politiques du Cameroun Oriental : prison, exil, assassinat.

En phase finale de la réalisation de son dessein, le président Ahidjo avait créée, le 27 avril 1962, un Comité Paritaire de Coordination, Union Camerounaise-Kamerun National Democratic Party, UC-KNDP, destiné à entamer la procédure de fusion des deux partis, et de la disparition de tous les autres.

Le 1er septembre 1964, le Comité Paritaire s'était transformé en Comité de Coordination, tout court. Au cours d'une réunion organisée du 21 au 22 mai 1966, il avait été décidé, finalement, la création d'un « vaste rassemblement politique au niveau fédéral ».

Le 11 juin 1966, le président Ahidjo avait réuni les délégués des trois partis du Cameroun Occidental, qu'il s'est bien gardé de jeter en prison, ainsi qu'il l'avait fait des militants des partis politiques du Cameroun Oriental, plus ceux de son propre parti, l'Union Camerounaise, UC. S'étaient ainsi retrouvés, les délégués de l'UC, du KNDP, Kamerun National Democratic Party, du CUC, Cameroon United Congress, et du CPNC, Cameroon People National Congress.

Ordre du jour de la réunion ? La dissolution, pure et simple, des différents partis politiques camerounais, au profit du nouveau qui était en train de voir le jour, l'Union Nationale Camerounaise, UNC, en fait, leur absorption par l'UC.

Un Comité Directeur Provisoire, avait été chargé de diriger le nouveau parti jusqu'à son premier congrès.

Le 23 juillet 1966, ce Comité Directeur Provisoire avait adopté les statuts de l'UNC. Il avait, le même jour, invité tous les partis ayant adhéré à l'UNC à tenir leur congrès de dissolution et d'approbation de ces statuts. Enfin, le Comité Directeur Provisoire, avait décidé, au cours de la même réunion, que le 1er septembre 1966, tout le processus de disparition des autres partis politiques devait être achevé.

Le 1er septembre 1966, l'Union Nationale Camerounaise, UN, avait ainsi vu le jour. La veille, au soir, Ahmadou Ahidjo s'était adressé à la nation, pour se défendre d'instaurer la dictature au Cameroun.

A partir de cette date, le Cameroun était entré dans une terrible dictature. Jusqu'à son départ du pouvoir, il n'y avait plus eu ni presse d'opposition, ni partis d'opposition, ni syndicat autonome, etc. Tout citoyen camerounais était susceptible de gagner la prison à tout moment, pour « subversion ». La police politique était à la fois omniprésente et omnipotente, et pouvait anéantir la vie de n'importe quel individu à n'importe quel moment. Ses agents se retrouvaient partout, dans les avions de la Cameroon Airlines - dont la moitié des stewards en faisaient partie - dans les ambassades à l'étranger, dans les établissements scolaires, dans les églises et les mosquées où les prêches étaient analysés, etc. Bref, le Cameroun était entré dans la nuit de la terreur policière...