J’étais juste revenu du Canada. Je me promenais avec mon défunt père dans les rues poussiéreuses de Nkoteng, ville sucrière. Un de ses collègues passait avec son Hilux, puis avait freiné juste après nous avoir dépassés. Il était revenu et avait ouvert sa porte à papa, "Monsieur Tsimi" : nous étions à une trentaine de mètres de la maison, mais le type ne comprenait pas que mon père marche à pied, que moi, son fils canadien, je ne sois pas véhiculé. Il croyait sans doute que la vieille Mercedes de papa était encore tombée en panne. Or, ce jour-là, papa voulait marcher avec moi, me montrer quelque chose, je ne sais plus quoi.
Je pensais à cette histoire pour deux raisons. D’abord, parce que mon ami Irénée, journaliste canadien, n’a cessé de s’étonner de mon ambition politique. Nous avons longuement discuté au téléphone. Il n’y a, selon lui, aucune raison de quitter New York pour Yaoundé, il pense que j’aide mieux mon pays à distance.
En cela, il m’a rappelé un peu le collègue de mon père qui s’étonnait qu’on marche alors qu’on avait une voiture, qui se disait qu’on marchait parce qu’on n’avait pas de voiture. Pour beaucoup d’Africains aussi, il y a cette conception radicale (enracinée) du bonheur: si une personne vivant en Occident décide de rentrer, c’est que le pays lui manquait trop, c’est qu’elle n’était pas heureuse dans ce qu’elle faisait. Il y a cette idée qu’on ne bouge pas de là où l’on est tant qu’on y est bien, que le bonheur est situé si on s'en éloigne il disparait, qu'on ne court pas si on le tient, que ceux qui sont heureux au pays ne vont pas au Canada et que ceux qui sont heureux au Canada ne retournent pas au pays.
Je suis le professeur Tsimi et j’aspire à servir le Cameroun comme Président de la République à partir de 2025. Je ne suis pas un « politicien », je n’ai aucune intention de faire carrière dans la politique ni de servir comme maire de mon village ou député de la Nation, pour une raison toute simple : d’autres personnes sont mieux préparées que moi à ces fonctions. Mon métier, professeur, est pour moi le meilleur au monde. Il consiste en trois choses : la recherche (les livres, les prix, les conférences, les voyages), l’enseignement (c’est un travail manuel, enseigner, avec de la craie/des marqueurs pour être précis, du contact physique, marcher dans la salle, contrôler, des copies à corriger, des étudiants dans le bureau, et tout et tout). Dans ces deux aspects, il y a des indicateurs de performances (revues des livres publiés, métriques des citations, prix ou nominations, invitations par des collègues ; nombres d’étudiants supervisés ou recommandés avec succès, qualité des éditeurs ; rapports d’observation d’enseignements, commentaires d’étudiants, lettres de recommandation écrites, etc.).
À ces deux premiers aspects du métier d’universitaire s’ajoute un troisième aspect dont les contours sont flous ou fluctuants, c’est le Service (encore appelé Citizenship) : il peut s’agir de fonctions dans les sociétés savantes, de fonctions de jurés ou d’évaluateurs dans les revues ou les compétitions académiques, d’activisme pour diverses causes sociales ; il peut s’agir aussi de fonctions comme chef de département, doyen, membre de comité, secrétaire de l’assemblée générale des professeurs comme je l’ai été ce semestre, ou même observateur des enseignements de mes collègues moins gradés. Le service peut aussi consister en des assistances à la communauté. Par exemple, en tant qu’employé de la ville de New York, je peux aller à Harlem, à Little Senegal et orienter les jeunes migrants à se préparer comme futurs candidats à l’admission de mon université, ce serait du service de sensibiliser des lycéens aux études universitaires. Pour schématiser, ce semestre, j'enseigne trois heures par semaine, cinq heures de bureau (j'y passe plus de temps mais ma porte est ouverte cinq heures chaque semaine), je poursuis mes recherches et je travaille à aider ma communauté. C’est moi qui décide de ce que je veux faire comme enseignant, comme chercheur et aussi dans le service. Mais moi, ma communauté, c’est le Cameroun ; je ne veux pas aller à Little Senegal alors qu’au Cameroun, l’on manque de tout et qu’on est candidat non parce qu’on a une vision de société et qu’on a fait la preuve de sa capacité à élaborer une vision, mais parce qu’on est le fils à papa.
En tant que candidat à l’élection présidentielle, je ne cesse pas une seule seconde d’être professeur, et si, avec l’aide du destin, je deviens président de la république, il ne s’agira que d’une mission, un hiatus, un service, puisque comme professeur il n’y a pas d’âge obligatoire de la retraite. Le bureau que j’occupe actuellement dans mon université était occupé avant par un collègue qui est mort à 85 ans, pendant que j’étais en Allemagne, comme Molière en pleine représentation. Ainsi, aider ma communauté à s’élever fait partie de mes missions, que le milieu soit trusté par des requins, des fils de, des aventuriers n’enlève rien à ma vocation professionnelle d’enseigner, de rechercher et de transformer. Je ne suis pas « politicien » mais enseignant, chercheur, écrivain.
L’autre raison pour laquelle je pensais à mon père est donc que les gens ne comprennent pas qu’on puisse aspirer à servir sans équation économique derrière, sans calcul politique personnel, que le métier qui prépare le mieux à ces fonctions n’est pas militaire ou cousin de militaire, administrateur ou fils de président, mais bien visionnaire. Si je voulais faire autre chose que d’enseigner, j’irais travailler aux Nations Unies. Je suis résident américain, et mon sentiment est qu’il n’y a rien qui me soit inaccessible, ni ici ni ailleurs. Un leader ne commande pas, il inspire. Échouer dans ma quête pourrait faciliter l’accession d’un autre, chacun lutte avec ses armes, ma première est mon cerveau, ma seconde ma situation géographique. Et quand désormais on me demande ce que je propose concrètement pour mon pays, je dis que je propose d’être président de la république, c’est concret, c’est transformateur, c’est agir, c’est du service.