Opinions of Thursday, 18 June 2015

Auteur: Florian Ngimbis

Je suis Camerounais, je suis un viveur

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Alors que je discutais avec un ami hier, il m’a lancé une phrase que j’entends un peu trop ces derniers temps : «Ngimbis! Vous autres Camerounais vous passez votre vie au bar».

Sousentendu, vous buvez trop. Je tiens à réparer une injustice via ce billet. Je tiens à laver cet affront quotidien fait à toute une Nation. Non! Les Camerounais ne sont pas des alcooliques. Non ! Nous ne sommes pas des poivrots.

Alcooliques ? Je veux rire. Au Cameroun, on est alcoolique quand en plus de boire plusieurs bières par jour, on ne s’acquitte pas de ses devoirs familiaux. Un Camerounais qui fréquente assidûment les bars n’est pas un alcoolo, c’est un «viveur».

Dans la phrase «je m’en vais boire une bière au bar», la plupart des gens focalisent leur attention sur le mot « bière », passant ainsi à côté du vrai enjeu : le bar. Pour nous autres Camerounais, le bar est le lieu par excellence où s’exprime la cohésion sociale de notre pays. Près de 400 ethnies, pas de guerre tribale d’envergure.

Les seules raisons pour lesquelles on se bat dans un bar sont les courbes d’une liane ou une facture non payée. Le bar est l’endroit où nous faisons montre de notre laïcité. Les chrétiens y vont consommer ce que les musulmans ont refusé, sans que ça gêne les premiers.

Sérieux! Quel Camerounais digne de cette nationalité s’assoit chez lui et ouvre une bouteille de bière sortie du frigo ? C’est bien connu chez nous, boire seul n’a aucun intérêt, boire chez soi non plus. Ils sont d’ailleurs nombreux mes compatriotes qui abandonnent leurs domiciles les jours de match pour aller s’asseoir devant un écran de télé dans un bar. Il ne s’agit pas de bière, mais de convivialité.

Le bar est un lieu de vie. Un lieu coloré. Je suis désolé pour ceux qui visitent le Cameroun et se cantonnent dans les endroits chics, fréquentés par la bourgeoisie yaoundéenne. Vous savez, ces coins où tout est propre, aseptisé et made in China. Ces coins dans lesquels les gens essaient je ne sais pour quelle raison de reproduire une ambiance parisienne ou new-yorkaise. Snobisme, m’as-tu vu, bling-bling.

Venez dans les bars. Nos maquis de seconde zone. Venez découvrir le vrai Cameroun. Le Cameroun qui crie, rit, chante, blague (avec plus ou moins de mauvais goût). Il y a le bar du bamiléké. Antre sale et obscur dans lequel le patron officie derrière le comptoir. Dans le bar du bamiléké, le crédit est mort depuis longtemps et même ses os ne sont plus que poussière. Le bar du bamiléké est généralement du 3 en 1. Bar-salle de jeu-restaurant. Il y a toujours la monnaie et on y déniche souvent des bières qu’on croyait retirées du marché. Comme les « toilettes à la turque », les toilettes du bar d’un bamiléké devraient être brevetées tant elles sont spartiates.

Je me souviens avoir vu écrit dans les toilettes d’un de ces bars «on ne chie pas au bar». Souci d’hygiène ou tentative de justifier le minuscule trou qui donnait son nom au lieu ?

Il y a le bar de la «Yaoundè», veuve beti dont la buvette est accolée au domicile familial. Ici on boit à crédit tout le mois. Conséquence, tous les goûts ne sont pas toujours disponibles. Mais une chose est sûre, on peut y manquer de tout sauf de Castel.

La Yaoundè vous vend la bière, se sert elle-même dans votre facture et s’assoit à votre table pour faire le dernier kongossa. Si vous êtes jeune, beau et surtout plein aux as, il est même possible qu’elle appelle une de ses nièces vous aider à multiplier la facture tandis que dans sa cuisine elle prépare un bouillon de viande qui viendra aider tant de bière à descendre. C’est pas beau ça ?

Le bar camerounais est cet endroit où il n’y a jamais de monnaie (sauf dans celui du bamiléké). Où on vous sert en traînant les pieds, où la vraie différence entre les bières réside dans le fait qu’elles soient glacées ou non ; où le pourboire n’est pas obligatoire et où, en bonus on peut caresser les fesses de la serveuse (à vos risques et périls hein?) au passage.

J’ai fréquenté beaucoup de bars dans le monde et je peux vous dire que dans le bar camerounais, il n’y a pas cette distance des bars européens par exemple. Cette fausse convivialité des soleils qui ne chauffent pas. Chez nous, on se regarde en face, on se dévisage sans passer pour insolent.

On drague la liane à autrui via des oeillades enflammées. Nos bars sont les seuls lieux dans lesquels ont peut s’inviter dans une conversation via la seule phrase «je vous ai entendu dire… », preuve qu’on écoutait. Dans nos bars, le kongossa est gratuit. On y fabrique les divers qui seront en une des journaux le lendemain, ça s’appelle «les divers du bar».

On y spécule sur les paris sportifs, la conjoncture économique, la forme d’Eto’o, les fesses de la voisine, celles de la serveuse, celles des passantes, celles qu’on ne touchera qu’en rêve… Dans les bars camerounais, on libère les otages.

Bah oui ! qui peut rester indifférent face aux cris de toutes ces bouteilles de castels enfermées dans les réfrigérateurs et qui une fois libérées pleurent toutes les larmes de leurs corps en guise de remerciement. J’aime ce Cameroun moi ! Éloigné de toutes formes d’ambitions grandes ou petites. J’aime ce peuple qui aime la vie.

La prochaine fois que vous viendrez au Cameroun, cherchez moi. Je ne vous emmènerai pas boire une bière, je vous emmènerai au bar. Peace !