Opinions of Monday, 5 March 2018

Auteur: Abdelaziz Mounde

Journaliste molesté, torturé chez Mebe Ngo’o, trop de petits barons au Cameroun

Il y a trop de féodalité made in Cameroun, avec des princes et seigneur faiseurs de lois Il y a trop de féodalité made in Cameroun, avec des princes et seigneur faiseurs de lois

Le jeune reporter Caristan Isteri du Quotidien Le Jour serait doublement victime de la sauvagerie des sbires de Mebe Ngo'o alors qu'il était envoyé en couverture du réaménagement gouvernemental par son journal, mais aussi du triomphe de l'absolutisme de ces " intouchables ", que nous protégeons, fabriqués par le décret présidentiel et la culture des coteries.

Il y'a une féodalité made in Cameroon, où des princes, seigneurs, barons, comtes, vicomtes, marquis et leurs femmes et maitresses marquises, naissent et sont créés par la force du décret. La fumée blanche, alias remaniement, du parapheur présidentiel : le fait du roi absolu ! Celle qui lue au journal radio de la Crtv, après le générique des louanges de Eno Belinga et Georges Seba au président, adoube les créatures du Louis 14 de Mvomeka'a, terre d'accueil, dans les clairières des grandes forêts du Sud-Cameroun, de son père Yezoum venu de la Haute Sanaga.

Edgar Alain Mebe Ngo'o en fait partie. Ou pour ceux qui se réjouissent de sa disgrâce, en faisait partie. Il est l'une des composantes de ces trinités à franges qui font miroiter à chaque proche du chef de l'Etat, un destin présidentiel : fils adoptif qui tient son ascension du Père d'Etoudi et qui en incarne l'Esprit. Tout lui était permis : cortèges flamboyants et tonitruants, passe-droits, fortune spontanée, droit de bastonner et d'embastiller quiconque s'attaque à lui, privatisation de l'Etat, réseaux étendus...

Tout récemment, la presse française, après une enquête au long cours, aussi minutieuse que documentée, a fait état d'une vaste affaire de corruption, avec en toile de fond des rétro-commissions de vente d'armes, dans laquelle était impliquée le désormais ex-ministre. Motus et bouche cousue de nombreux journalistes camerounais. Pas de Une au Cameroun. Pas de relais. Pas de contre-enquête. Pas même l'usage du conditionnel. Les réseaux Mebe Ngo'o, aux tentacules d'hydre, se sont mis en branle à coups d'intimidation, de petits cadeaux, de promesses et d'arrangements entre amis.

Conséquence, les faits ont été rejetés dans les marais des réseaux sociaux, les postillons du kongossa et les vents de la rumeur. Tous ceux qui osaient évoquer les cas Mboutou ou Mbangué, hommes-clés du clan Mebe Ngo'o, dont le premier interpellé par la police française en possession de près de trois millions d'euros étaient au mieux des " rédacteurs en chef de Facebook ", au pire, novlangue locale, " des aigris, jaloux, postés au carrefour j'ai raté ma vie ".

Des situations comme celle-là, il y'en a à foison. Elles sont aussi nombreuses que les biens et l'immense fortune de l'ex-ministre qui se rêve en futur président comme d'autres aux mêmes pratiques maintenus dans ce gouvernement consacrant les sourds aux ressorts profonds de la crise anglophone du type Atanga Nji.

Alors, quand on en vient à séquestrer, tabasser et garder un journaliste dans la cage aux chiens chez un dignitaire du régime, selon le communiqué du Quotidien Le Jour, c'est un symbole de tous ces passe-droits, du règne de ces seigneurs du décret et de tous ceux qui ont privatisé l'Etat, la République et notre pays, couverts par leur allégeance folklorique, la risible dévotion et l'ardeur de zélote au président. Il y'a ainsi pour les journalistes, deux leçons à tirer de ce fait grave : d'une part, la prise de conscience que plus aucun de ces barons ne doit plus être couvert par nos omissions volontaires, nos collusions avec leurs réseaux et nos arrangements suicidaires entre " amis " et d'autre part, que toute la corporation doit se liguer comme un seul homme pour que cette séquestration soit sévèrement punie. A ce malheur, pourrait donc rejaillir la flamme d'un combat juste, malheureusement mis au placard, pour un véritable Etat de droit au Cameroun.