Le sous-effectif dans les tribunaux, l’instrumentalisation de la justice par des lobbies d’affaires, politiques et religieux exposent le Cameroun à un raté dans l’atteinte de l’objectif 16 des 17 Objectifs de développement durable d’ici 2030 fixés les Nations Unies.
Le Cameroun peut-il être fier de sa justice ? Difficile de répondre à cette question par l’affirmative au regard de la réputation et de l’image qu’elle projette au citoyen. Si dans une ville comme Douala, des habitants préfèrent lyncher un présumé délinquant surpris en flagrant délit de vol plutôt que de le traîner devant les tribunaux, c’est que la justice camerounaise est malade.
Cette rupture de confiance entre le citoyen et la justice laisse planer une menace sérieuse sur l’atteinte de l’objectif 16 (paix, justice et stabilité des institutions) des 17 objectifs de développement durable à l’horizon 2030 fixés par l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 2015.
La justice camerounaise est malade des effectifs dans les tribunaux. D’après le rapport sur la situation de référence des indicateurs de la chaîne pénale rendu public en novembre 2014 par l’Institut national de la statistique, le Cameroun compte 5 magistrats pour 100 000 habitants.
Bien loin des standards internationaux qui prescrivent 10 magistrats pour 100 000 habitants. Conséquence, les magistrats, submergés par des affaires, sont obligés de multiplier les renvois. Bonjour les lenteurs judiciaires, les procès qui se prolongent, les détentions préventives aussi.
Entre corruption et politisation
La justice au Cameroun souffre également d’une maladie qui semble consubstantielle à la société camerounaise en général : la corruption. D’après l’indice de perception de la corruption publié en 2013 par Transparency international, la justice est l’un des secteurs des plus corrompus au Cameroun avec une note de 4,2/5.
A l’issue du Conseil supérieur de la magistrature du 7 juin dernier, Pascal Magnanguemabe, magistrat en service au Tribunal de grande instance de Yaoundé, a été révoqué du corps de la magistrature « pour extorsion de procurations à des dames héritières d’une succession, appropriation d’une partie des fonds de vente d’une partie de caféière de ladite succession », lit-on dans le décret présidentiel du 6 juillet dernier.
En plus de la corruption, le système judiciaire au Cameroun est victime du manque d’impartialité et d’indépendance. L’Opération Epervier, campagne de lutte contre les détournements de deniers publics, est menée par la justice, notamment le Tribunal criminel spécial (Tcs, créé en décembre 2011).
Mais il s’agit d’une opération conduite par le Chef de l’Etat en personne : « Je voudrais parler ici de la question relative aux procédures judiciaires visant certaines personnalités de premier plan, qu’il s’agisse de hauts commis de l’État ou de personnalités du monde des affaires, dans le cadre de la lutte menée par le Chef de l’État (et non par la justice, ndlr) contre la corruption et les atteintes à la fortune publique », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Issa Tchiroma, au cours d’un point de presse le 10 mars 2016.
Alors que la Constitution du Cameroun fait de Paul Biya le garant de l’indépendance de la justice, ce dernier a fait de cette opération dite mains propres son affaire personnelle. C’est pour cette raison que des organisations de la société civile considèrent qu’il s’agit d’une opération d’épuration politique qui s’attaque aux proches collaborateurs (secrétaires généraux à la présidence, ministre, directeurs généraux de sociétés publiques, etc.) de Paul Biya soupçonnés d’ambitions politiques ou alors jugés encombrants par ce dernier. Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques, ONG française acquise à la cause des détenus politiques en Afrique centrale, considère certains d’entre eux comme des prisonniers politiques.
Affaire Ambassa Zang
Certaines victimes de cette Opération Epervier se sont vues accorder le statut de réfugié politique en Europe. C’est le cas de Dieudonné Ambassa Zang. Exilé politique en France depuis 2010, l’ancien ministre des Travaux publics et ancien député du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) a été condamné à vie par le Tcs le 18 juin 2015 par contumace pour détournement de deniers publics.
Mais le Comité des droits de l’homme de l’Union interparlementaire a soutenu qu’il a été condamné pour des faits qui ne sont en rien des détournements de fonds publics.
L’octroi du statut de réfugié politique à Dieudonné Ambassa Zang par les autorités françaises est révélateur de la perception que certains pays occidentaux se font de la justice camerounaise. Une justice prisonnière des accointances entre certaines autorités gouvernementales et des lobbies d’affaires. C’est le cas dans l’affaire Patrick Sapack et David Eboutou.
Il s’agit de 2 consultants de la chaîne de télévision Vision 4 qui sont maintenus à la prison centrale de Kondengui depuis le 17 juin 2016 par le patron du groupe de presse l’Anecdote (auquel Vision 4 appartient), Jean Pierre Amougou Belinga. Ce dernier, homme d’affaires, use de son amitié avec le ministre de la Justice, Laurent Esso pour empêcher leur libération.
Même l’Eglise catholique n’échappe pas à la caporalisation de la justice. A Ebolowa (sud), une fillette de 3 ans a été violée fin mai 2016 par un prêtre en marge d’une cérémonie de fin d’année dans son établissement scolaire maternel. La famille de la victime a porté plainte mais la justice rechigne à déclencher l’action publique contre le présumé auteur du viol.
D’après l’ONG camerounaise Mandela Center qui a révélé cette affaire, le diocèse d’Ebolowa a tenté d’étouffer le scandale dès son éclatement. La fillette est dans un état de santé préoccupant. Son bourreau n’a jamais été inquiété par la justice.
Climat des affaires
Une justice couverte d’autant de plaies est une menace sérieuse au climat des affaires au Cameroun. Lors de la cérémonie d’installation des nouveaux membres de la Cour suprême fin août dernier à Yaoundé, le président de ladite Cour, Daniel Mekobe Sone, a rappelé que « les rapports Doing Business (sur le climat des affaires, ndlr) ne manquent pas d’interpeller notre justice, que les opérateurs économiques se plaignent de l’insécurité judiciaire ».
Cette crainte du monde des affaires du fait de la mauvaise qualité de la justice est un frein à l’atteinte d’autres objectifs de développement durable tels que l’objectif 1 (zéro pauvreté), 2 (zéro faim), 3 (bonne santé et bien-être) et 4 (éducation de qualité).
L’insécurité judiciaire est aussi une menace pour les autres aspects de l’objectif de développement durable 16 à savoir la paix et la stabilité des institutions car les rébellions recrutent davantage parmi les prisonniers dont les victimes de l’injustice judiciaire. Fin septembre dernier, des pensionnaires de la prison de Beni, à l’est de la République démocratique du Congo, se sont évadés pour rallier les rebelles ougandais des Forces démocratiques alliées qui opèrent dans cette zone.
Le pouvoir camerounais ne manifeste aucune volonté politique de favoriser une bonne administration de la justice. Entre le 9 et le 11 octobre 2012, il s’est tenu à Yaoundé les états généraux de la protection de la fortune publique. Parmi les 72 recommandations qui en sont issues figure l’indépendance de la justice matérialisée par l’élection des magistrats par leurs pairs comme en Belgique. Des vœux pieux qui sombrent dans les tiroirs de l’oubli.