Notre région de l'Ouest est peuplée de deux grands groupes loin d'être homogènes: les Pamum d'une part et les Bamiléké d'autre part. (Les uns ne sont pas les autres). Les Pamum sont composés de plusieurs substrats de peuples qui se sont superposés les uns sur les autres.
Le plus ancien est appelé Tumu et vient quelque part de Songkolong en pays Mambila dans l'Adamaoua. Il a probablement migré dans la vallée du Noun vers le IXe siècle. Personne ne sait s'il y avait des gens plus anciens : leurs récits ou leurs langues ne le disent pas. Les recherches archéologiques, en l'état actuel, ne permettent pas de savoir.
À peu près un siècle après les Tumu, d'autres ont commencé à arriver. Ils ont apparemment transité par le couloir du centre nigérian et c'est sans doute la venue des Mboum, de l'Est, qui les a chassés de là où ils étaient. On les appelle Ndeub ou Ndobo. Ils étaient de courte taille et n'étaient pas bons guerriers. Ils se sont mélangés aux Tumu pour former un groupe assez cohérent.
La troisième communauté arrive vers le XIIIe siècle quand les deux premières sont bien installées. Elle va les bousculer. Cette souche nouvellement arrivante est appelée Tikar. Elle est beaucoup plus soudée. La vérité des Tikar est que ce sont des transfuges du premier royaume Mboum défait par la dynastie sefawa du Kanem. On ne sait pas très bien ce qui a pu se passer.
Il y a les légendes et les traditions du « ti kala -je » (va-t-en) ou « tim kala (sors d'ici). Ce sont des réprouvés. Ils ont dû faire, en période de grande hostilité, quelque chose de terrible qui a irrité l'Aka, leur roi. Il les a chassés. Les récits d'Afrique sont pleins de ces histoires de désaccord qui finissent par de grands exodes. Même la Bible, quand elle raconte les contacts, en parle. Chasser des gens était fréquent.
Les chroniques pamum disent que les exilés se sont structurés autour d'un leader nommé Nshare Yen, à un lieu appelé Matam. C'est donc que Nshare venait probablement de Bankim, la route la plus probable. (C'est celle que gardent les traditions). Ces mouvements de peuples doivent se comprendre en contexte d'autrefois. Ce n'était pas que la guerre.
Il y avait aussi les stations ; les alliances avec des gens rencontrés çà ou là ; des pactes d'amitié ; des gestes religieux et de hauts-lieux sacrés pour des gens par ailleurs extrêmement croyants. De Matam, Nshare Yen sentant que la coalition Ndobo-Tumu ne se rendrait pas aussi facilement, se prépara à livrer la guerre. Elle se déroula en un lieu qu'il a appelé Mfum-ben (le cimetière des vaincus), une fois qu'il fut victorieux et dont il fit sa capitale.
Les vaincus furent pour la plupart assujettis. Mais beaucoup choisirent de déguerpir et s'éparpillèrent dans toutes les directions. Il y en a qui traversèrent la Mapé vers le Ndé. Ce sont surtout des Ndobo. Le mot serait alors le radical qu'on trouve dans les noms de certains peuples du bassin du Mbam voisin : Ndeuk, Ndik qui paraît provenir de cette histoire là.
Ils ont formé des ethnies riveraines dont l'histoire des contacts avec les Pamum fut loin de se terminer avec cette première rencontre sanglante. Il y en eut d'autres et de solides traditions d'hostilité qu'il n'est pas mon propos de raconter. C'est avec Nshare, en tout cas, que le royaume pamum s'est créé au XIIIe siècle. Il s'accrut par petits sauts de puce, jusqu'au XVIIe siècle, avec le terrible Mbwé-Mbwé qu'il a pris la taille qu'on lui connaît maintenant.
De l'autre côté, il y a eu d'autres gens qu'on désigne du terme générique de Bamiléké. Le mot est récent. Il date des explorations allemandes et c'est justement les Allemands qui l'ont donné. Ç'a dû être un barbarisme tiré de la mauvaise prononciation de la phrase utilisée par un interprète pour désigner les habitants des vallées. Avant les Allemands, rien n'existe de ce que nous appelons aujourd'hui Bamiléké.
Mais pourtant, le plateau est peuplé. Par ces mêmes gens. (Ils ne se savaient aucunement « Bamiléké »). Les peuples de l'autre ouest non- Pamum ont des origines encore plus croisées. C'est rarement - presque jamais - des entités homogènes. Les familles qui se retrouvent à voisiner n'ont la plupart du temps aucun lien de parenté. Ce sont des espaces soumis à des multiples féodalités.
Les chefferies qui se créent dans cet endroit obéissent à deux typologies d'occupation du sol : par la négociation avec les occupants précédents (le lipwe) ou par la fourberie et la ruse (le ghim). Dans les deux cas, ce doit être de rudes négociants. Ils doivent détenir des termes de négociation. On retrouve l'économie de l'époque qui, elle-même, renseigne sur la géographie : la viande était une valeur de choix.
Était susceptible de détenir le pouvoir, celui qui pouvait se la procurer. Les premiers rois bamiléké le sont devenus en monopolisant les circuits de chasse, de traitement et de redistribution de la viande. Cela demandait le contrôle des zones où chasser et où tel pouvait rentrer en conflit avec tel autre. Cela indique que l'Ouest d'antan n'était pas très peuplé et s'avérait plutôt giboyeux : donc, un cadre forestier.
La viande était une chose : les ingrédients pour la consommer, une autre ; l'huile et le sel en particulier. On sait aujourd'hui que l'essentiel de la consommation d'huile du pays bamiléké provenait du territoire diboum : un groupe très apparenté aux Basaà qu'on trouve aujourd'hui dans le Nkam et la Sanaga Maritime.
Les Basaà ont eu - et gardé pendant longtemps - le monopole de cette denrée. Tous les peuples du bassin du Mbam, du Ndé, du pays beti convergeait vers eux pour s'en procurer, pour vendre et acheter. Les récits sont encore vivaces chez-moi, de mes aînés, allant en pays basa à commercer, avec sur la tête, de pleins paniers de noix de palme ou de palmistes.
Le sel - on le consommait gemme et il venait en barres ou en pépites - provenait du Nord. Il suivait les antiques pistes commerciales qui rattachent au monde islamique. Ce monde qui vendait son sel demandait en échange, entre autres termes d'échange, de la main d'œuvre servile. Le pays bamiléké s'est donc trouvé très impliqué dans la traite négrière ; déjà à partir de la filière orientale.
Un commerce de cette nature est structurant des États qu'il va impacter ; ne serait-ce que pour des besoins de sécurité. Le chef ne donnait pas seulement à manger ; il assurait la protection. Il contrôlait le territoire et le défendait à l'occasion. Quand il le fallait, il nouait de judicieuses alliances avec d'autres chefferies que, quand il fallait, il savait susciter.
Voilà la mécanique des rapports féodaux entre diverses chefferies. Elle donne de fortes indications sur les notions d'antériorité. Les toutes premières chefferies Bamiléké furent celles de Bana, Bakassa, Badoumkassa et Baleng. Elles ont joué un rôle dans beaucoup d'autres qui, après elles, se sont créées. Elles ont pour la plupart perdu la grandeur et le prestige ancien dont elles étaient auréolées au profit d'autres plus prospères. On peut citer la chefferie Banjoun et la chefferie Bafou qui sont, dans l'Ouest aujourd'hui, les plus importantes, mais guère les plus vieilles.
Le principal marqueur d'identification des groupes bamiléké, (principal mais pas le seul), est linguistique. Mais personne ne peut vraiment savoir comment telle ou telle autre langue s'est imposée à chaque groupe donné qui, probablement, ne la parlait pas à l'origine. (Du moins, pas en totalité). Même les Pamum ont perdu leur parler tikari du départ pour celui des gens qu'ils avaient vaincus.
Donc, ces divers parlers : anghaka, nghomala, mendumba, yemba, ngyembong, etc. sont, au mieux, des consensus imposés par des situations. Les gens se sont trouvés forcés de les adopter et l'ont fait avec l'intelligence de comprendre qu'avant d'être un mur, une langue est d'abord un pont. Et qu'on gagne toujours de savoir la parler.
Les situations ont permis à des chefferies bamiléké de prospérer ou de décliner. Si les Baleng n'ont pu monter en force et ont dû susciter la chefferie Banjoun, c'était d'abord pour se protéger des velléités pamum. Le roi baleng qui installa le lipwe banjoun cherchait en réalité un bouclier et voulait s'éviter d'être acculé d'un deuxième côté ; lui qui subissait les assauts des conquérants pamum.
Ç'aurait pu lui être profitable et l'adversité des Pamum aurait pu s'abattre sur les pare-feux banjoun s'il n'y eut pas un facteur nouveau entre le XVIe et le XVIIIe siècle : la surrection des Nyem-Nyem ; c'est-à-dire des Baare- Chamba (les Bali, si vous préférez). Personne ne peut comprendre les Bamiléké sans intégrer la menace que cet important groupe a représentée. On attribue généralement aux Foulbé, ce qui en réalité, est l'action des Baare Chamba.
Pour vous en donner une idée, les Baare Chamba ont été les principaux pourvoyeurs des esclaves capturés vers l'intérieur et acheminés vers la côte. Les Douala n'en étaient que les revendeurs. Et pour l'essentiel, ces déportés provenaient du pays bamiléké. Les Pamum les ayant contenus, ils se sont dirigés vers le Nord- ouest avec l'intention de le ravager. On ne sait pourquoi ils ont évité de passer par le Ndé et ont préféré le couloir montagneux de Dschang bien plus escarpé.
Le roi Kana II de Bafou prit la tête d'une coalition de royaumes bamiléké pour leur résister. La bataille de Bafou fut mémorable. Kana réussit à encercler le roi nyem-nyem qui se nommait Gawolbe. La guerre fut gagnée lorsqu'il le jetèrent à bas de son cheval. Le Chamba était un extraordinaires cavalier qui ne faisait qu'un avec sa monture. Kana brandit la queue de son cheval (l'asana luo) en signe de triomphe. Ce fétiche pare désormais tous les rituels bamiléké de victoire, en souvenir de ce combat épique.
Un autre jour, je vous raconterai la suite de l'histoire des Bamiléké.
Ou bien, non. Allez la demander à l'autre-là (il s'appelle Maurice Djiongo), qui m'a dit ce matin que seuls les Bamiléké peuvent écrire l'histoire des Bamiléké.
Moi quoi ? Je bois tranquillement à ma fiole de bois bandé !
Qui va se négliger ?