Lancée au milieu des années 2000, l’opération Epervier a jeté en prison pour de longues années un ancien PM, plusieurs anciens ministres et de nombreux ex-directeurs généraux. C’est la toute dernière victime de l’opération Epervier lancée au début des années 2000 par le président camerounais Paul Biya.
Iya Mohammed, ex-directeur de la Société de développement du coton (Sodecoton) a été condamné jeudi 10 septembre à 15 ans de prison ferme par le Tribunal criminel spécial (Tcs) pour une série de détournements d’un montant d’environ 11 milliards de FCFA commis alors qu’il était directeur général de Sodecoton entre 2005-2010.
Ses co-accusés Christophe Mbaiougam en fuite et Mahamat Karagama, directeur des ventes, sont condamnés à la prison à vie. Quant à Lucien Fotso, directeur comptable, et Henri Clavers, directeur général adjoint, ils ont été reconnus non coupables.
Au sortir de son audience, le principal accusé a dit : «je savais qu’en venant ici, quoi que je dise, je devais être reconnu coupable. A chaque audience, les montants qu’on m’accuse d’avoir détournés ont changé. Je m’en remets à votre justice et à la justice divine ».
Son avocat Me Eugène Balemaken, a fait savoir, pour sa part, que le combat allait continuer, « nous avons perdu la bataille et non la guerre. Nous considérons cette décision comme provisoire. Dans les prochains jours, nous allons saisir la Cour suprême.»
Cette autre condamnation remet au goût du jour l’opération dite ‘Epervier’ initiée en 2006 par le gouvernement du Cameroun pour non seulement traquer les fossoyeurs des fonds publics mais aussi et surtout sous la pression des bailleurs de fonds internationaux qui estiment que les détournements de fonds publics gangrène l’économie nationale.
A ce jour, l’opération ‘Epervier’ a fait des victimes dans la classe politique et la haute administration; ses clients qui vont au-delà de la centaine. Ils se comptent parmi les ministres et anciens ministres, les anciens diplomates, les ex-directeurs généraux des sociétés publiques, les fonctionnaires et même les hommes de droit. Les médias nationaux en étaient venus à parler de gouvernement en prison. Tant le nombre de ministres en détention était élevé. Alors que leurs procès se déroulent dans certains tribunaux du pays sous haute surveillance policière et militaire, les accusés connaîtront des sorts divers, même si tous ont plaidé non coupables.
Lourdes condamnations et prisons 5 étoiles
Des condamnations à des peines relativement lourdes, de longues détentions provisoires, l’exil, la mort en détention, des libérations sans aucune explication sont autant de fortunes que vont connaître ces «prisonniers de luxe» que le gouvernement accuse d’avoir soustrait plus de 200 milliards de FCFA au trésor public.
L’une des premières victimes de l’opération ‘Epervier’ en février 2006 est Alphonse Siyam Siwé, alors ministre de l’Énergie et ancien directeur du Port autonome de Douala. Il est écroué à la prison centrale de Douala où il purge une peine de 30 ans de prison prononcée en 2007 pour la soustraction de près de 12 milliards de FCFA.
Polycarpe Abah Abah, ancien ministre de l’Économie et des Finances et ancien directeur des impôts et quatre personnes sont détenues pour avoir, d’une part, détourné 2 milliards de FCFA et, d’autre part, soustrait près de 6,8 autres milliards de F CFA entre 2000 et 2004 en coaction avec Joseph Edou, ex-directeur général du Crédit foncier et Manga Pascal, ex-chargé d’études à la direction des impôts. Un juge a affirmé que « Abah Abah, à l’époque où il était directeur des Impôts, a retenu frauduleusement un bien destiné à un établissement public, notamment la somme de 2,6 milliards F CFA appartenant au Crédit foncier du Cameroun (Cfc) et non transférée au 31 décembre 2004 ».
Le ministère public ayant interjeté appel, la Cour d’appel et la Chambre de contrôle ont revu à la baisse la somme soustraite pour la ramener finalement à 4,9 milliards FCFA. Dans le même temps, quatre chefs d’inculpation sur les cinq de départ ont été annulés. Le seul chef d’inculpation retenu contre Abah Abah est donc le détournement des fonds appartenant au Cfc.
Il est reproché à Urbain Olanguena Awono ministre de la Santé publique, et sept de ses collaborateurs tous interpellés en 2008, les fautes de gestion de 700 millions de FCFA du Fonds mondial contre le Sida, le paludisme et la tuberculose. Jugeant ces accusations infondées, il avait saisi la Cour d’appel qui les a infirmées puis ordonné la nullité des poursuites.
Le ministère public avait toutefois saisi, à son tour, la Cour suprême pour qu’elle s’oppose à cette décision de la Cour d’appel ; il a obtenu gain de cause. Finalement, ils doivent répondre du détournement de 91 millions de FCFA : 11 millions de FCFA représentant le financement du livre « Le Sida en terre d’Afrique : l’audace des ruptures » et 80 millions de FCFA destinés à l’achat des moustiquaires imprégnés. Condamné à 15 ans de prison en 2013, l’ex-Ministre de la santé a vu sa peine ramenée à 10 ans en aout dernier.
En 2012, Inoni Ephraïm ancien Premier Ministre est arrêté et placé sous mandat de dépôt pour détournement en coaction et complicité d’une somme de plus de 127 milliards de FCFA destinée à l’achat de l’aéronef présidentiel du nom de ‘Albatros’. Dans la même affaire, on retrouve Marafa Hamidou Yaya, ex ministre d’Etat en charge de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, l’ancien secrétaire général à la présidence de la république Jean Marie Atangana Mebara, l’ancien directeur général de la Cameroun Airlines (Camairco) Yves Michel Fotso et l’ancien ambassadeur du Cameroun à Washington aux Etats-Unis, Jerôme Mendounga. En 2013, il sera condamné avec Jean Marie Atangana Mebara à 20 ans de prison ferme alors que Jérôme Mendounga mourra en prison
Quant à Mme Haman Adama, ancienne ministre de l’Education de Base, elle est interpellée en 2010 et placée en détention à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé pour « détournement de fonds et passation non-conforme de marchés publics dans son ministère pendant les exercices 2005 et 2006.». Après avoir restitué à l’Etat 212,5 millions de FCFA, Mme Haman a été libérée en 2012.
Interpellé en 2009, Paulin Abono Moampamb, ancien secrétaire d’Etat aux Travaux publics, et maire de la localité de Yokadouma son coaccusé receveur municipal, Jean Marie Tabi ont été condamnés en 2011 à 30 ans de prison ferme. Pendant que les autres co-accusés Martin Atémengué, comptable-matières et Mme Meng née Miakolo Mouelé Jeanne, prestataire de services auprès de cette commune, sont condamnés à quinze ans de prison ferme.
En outre, le tribunal a prononcé la confiscation de tous les biens des condamnés, qui sont contraints de verser solidairement la somme de 485 millions de FCFA, au titre de dommages et intérêts, au Ministère de l’Administration territoriale et de payer solidairement 24 millions de FCFA au Trésor public. Il leur était reproché le détournement entre 2002 et 2007 d’une somme de 1,2 milliard de FCFA appartenant à la commune de Yokadouma.
Au ministère des Travaux publics, un ancien chef de département et ancien député Dieudonné Ambassa Zang est accusé depuis 2009 de détournement de 7 milliards de FCFA. Il s’est enfuit en Europe mais a été condamné en juin dernier la prison à vie par défaut par le Tcs.
En mai 2012, Jean Marie Atangana Mebara ancien secrétaire général à la présidence de la république est inculpé de plusieurs chefs d’accusation. Il s’agit notamment de complicité dans la tentative de récupération et de détournement de fonds en mai 2003, de la somme d’environ 15 milliards de FCFA affectée à l’acquisition d’un avion présidentiel auprès de la société Boeing, la complicité dans le détournement de 1,5 milliard de FCFA prévu pour le paiement d'une partie des dettes de Camair à la société de leasing d'avions ANSETT, le détournement de 121 millions de FCFA en complicité avec l'ancien ambassadeur du Cameroun aux Etats-Unis d'Amérique, Jérôme Mendouga.
Il lui est également reproché le détournement de 3,5 milliards de FCFA en complicité avec l'ancien Premier Ministre Ephraim Inoni et Yves Michel Fotso l’ancien Dg de Camair. Limogée du gouvernement en juillet 2009, Catherine Abena ancienne secrétaire d’Etat aux Enseignements secondaires est arrêtée et emprisonnée en 2010 pour un détournement présumé de 250 millions de FCFA. Exaspérée, elle entreprend une grève de la faim de sept mois qui débouche sur son hospitalisation. Elle sera finalement libérée en 2011 avant de décéder en 2014 des suites de la maladie attrapée en prison.
Des directeurs généraux et des hommes de loi dans le viseur.
Arrêté en 2006, Emmanuel Gérard Ondo Ndong, le directeur général du Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunale du Cameroun (Feicom) et vingt-deux personnes sont parmi les premières victimes du rapace. Elles avaient été reconnues coupables de détournement de la somme de 26 milliards de FCFA puis écopé des peines allant de dix à vingt ans.
Pour sa part, Gilles-Roger Belinga, directeur général de la Société immobilière du Cameroun (Sic) et huit de ses co-accusées sont poursuivis pour avoir soustrait quelque 4,7 milliards de FCFA. Le directeur de la Sic sera condamné le 27 septembre 2007 à 35 ans de prison ferme et à payer à l’Etat 3 milliards de FCFA.
Lui est ses avocats interjettent appel et sa peine sera réduite de 35 à 20 ans de prison. Dans le même temps, le tribunal revoit à la baisse le montant que l’on lui reproche d’avoir détourné, le faisant passer de 3 milliards FCFA à 233 millions de FCFA, selon son avocat Me Emmanuel Mbiam. Il ajoutait que 110 millions de FCFA concernaient des avantages indus qu’il avait payés aux personnels de la Sic, 110 autres millions de FCFA pour l’achat des véhicules de la Sic et 13 millions de FCFA au titre de frais de mission non justifiés, qu’il souhaitait d’ailleurs restituer.
Zacchaeus Mungwe Forjindam ancien directeur du Chantier naval et industriel du Cameroun (Cnic) et deux de ses collaborateurs ont été arrêtés et condamnée à 12 ans de prison et à la saisie de leurs biens pour avoir détourné 969 millions de FCFA.
Autre affaire emblématique de l’opération, la Société camerounaise des dépôts pétroliers (Scdp) dont le directeur général Jean-Baptiste Nguini Effa et six autres personnes sont accusés et détenus à la prison centrale de Douala depuis 2009 pour la soustraction de 900 millions de FCFA en 2012 ; l’ex-DG sera condamné à 30 ans de prison ferme.
Roger Ntongo Onguéné ex directeur général des Aéroports du Cameroun (Adc) se verra condamné à 20 ans de prison ferme en 2013. Courant 2006, lui et certains de ses collaborateurs sont poursuivis pour détournement de deniers publics, complicité de détournement, prélèvement des sommes sans justificatifs des caisses de l’ADC, retraits bancaires frauduleux de plus de deux milliards de FCFA courant 2003-2005.
Yves Michel Fotso ancien Dg de la Camair et fils du célèbre homme d’affaire Victor Fotso est arrêté en 2010 à Douala puis conduit à Yaoundé où il est placé en détention préventive. Il est co-accusé avec Jean Marie Atagana Mebara, Marafa Hamidou Yaya et Inoni Ephraim dans l’affaire de l’achat de l’avion présidentiel ‘Albatros’. Comme les autres co-accusés, il sera condamné en 2012 à 25 ans de prison, par le Tribunal de Grande Instance (Tgi) du Mfoundi à Yaoundé. Fait totalement inédit, il va d’ailleurs se marier en détention.
Me Yen Eyoum Lydienne épouse Loyse, avocate au Barreau du Cameroun, Célestin Baleng Maah, huissier de justice, Engoulou Henri, ancien secrétaire général du ministère de l’Économie et des Finances au moment des faits, et Ngwem Honoré, directeur des Affaires juridiques dans le même ministère au moment des faits, avaient été inculpés du détournement de la somme d’environ 2,2 milliards de FCFA.
Ecrouée en 2008, Me Eyoum, qui a toujours clamé son innocence, est reconnue coupable en 2014 par le Tcs qui lui reproche d’avoir versé sur son compte personnel la moitié du montant querellée et issue d’une saisie-attribution auprès de Société générale des Banques du Cameroun (Sgbc) pour le compte du ministère des Finances. Elle sera condamnée de ce fait à 25 ans d’emprisonnement ferme et son complice Honoré Ngwem à la prison à vie alors que Polycarpe Abah Abah et Baleng Maah Célestin seront été acquittés pour faits non établis.
Après son pourvoi en cassation, Me Eyoun va voir sa peine confirmée en septembre 2015 par le Tcs. Son avocat Me Yondo Black a fini par introduire auprès du chef de l’Etat une demande d’amnistie et attend que justice soit faite.
A qui le tour prochainement ? En attendant les nouvelles arrestations dans cette vaste opération, certains condamnés ont introduit des demandes de grâce auprès du président de la république Paul Biya tandis que d’autres ont saisi le groupe de travail des Nations Unies contre la détention arbitraire. Dans l’un comme l’autre cas, l’enjeu pour les détenus, c’est de recouvrer la liberté très vite et d’éviter la longue attente derrière les barreaux ou même la mort.