L’adoption d’un plan de relance a fait penser un moment que la compagnie aérienne nationale se mettrait une fois pour toute sur la piste de décollage. Il n’en est rien hélas. A la 6ème année de son fonctionnement, la 11ème province accueille son 3ème PCA, pour 5 directeurs généraux.
Dans la gouvernance de la Cameroon Airlines Corporation (CAMAIR-CO), les hommes sont manifestement plus forts que les institutions. Les hommes forts, ce sont ces réseaux mafieux tapis à l’ombre du président de la République Paul Biya, et qui font la pluie et le beau temps. Ils font et défont l’équipe managériale de la compagnie aérienne nationale pourtant considérée à une époque lointaine comme la 11ème province du Cameroun, tant la défunte Cameroon Airlines (CAMAIR), sous les cendres de laquelle naquit cet oiseau sans ailes baptisé CAMAIR-CO, symbolisait la souveraineté nationale ! Selon des informations largement relayées ces dernières années par la presse nationale, ces hommes forts qui ramènent la compagnie vers le bas chaque fois qu’elle tente de prendre son envol, sont les réseaux du secrétariat général de la présidence de la République.
Aucun esprit iconoclaste n’a échappé jusqu’ici à leur foudre. Le résultat de cette vulnérabilité institutionnelle, au profit des hommes aux muscles, est qu’en six ans d’existence légale, CAMAIR-CO a vu se succéder à sa tête cinq directeurs généraux. Il s’agit du Néerlandais Alex Van Elk, de son compatriote Matthij Boertien, des Camerounais Frédéric Mbotto Edimo, Jean-Paul Nana Sandjo et, depuis le 22 août 2016, Ernest Dikoum. Par ailleurs, trois présidents du conseil d’administration se sont passé le tablier entre le 28 mars 2011, date de la mise en service de la compagnie nationale, et le 24 avril 2017.
Le dernier Pca, dont la tronche a été obtenue comme sur un plateau d’or servi au prince, est Mefiro Oumarou. Il cumulait sa très convoitée fonction avec celle de ministre délégué auprès du ministre des Transports. Il a été nommé PCA de CAMAIR-CO au même moment qu’Ernest Dikoum en remplacement de l’exministre Edouard Akame Mfoumou, qui occupait ce poste depuis 2013.
Lundi dernier, moins d’un an après son « couronnement », Mefiro Oumarou a été prié de céder son fauteuil à un autre fils de son Noun natal, en la personne de Louis George Njipendi Kouotou, alors que celui-ci est déjà surchargé par ses fonctions cumulatives de membre du conseil d’administration de la Cameroon Development Compagny (CDC) et de la Société nationale de transport d’électricité (Sonatrel). Plusieurs observateurs affirment que le technocrate Mefiro Oumarou paie le prix de la difficile collaboration qu’il a eue, depuis 2007, avec les ministres des Transports successifs : d’abord Robert Nkili, et ensuite Edgar Alain Mebe Ngo’o.
Son prédécesseur Akame Mfoumou avait les bras visiblement plus longs, puisqu’il avait obtenu la tête de Mbotto Edimo, alors DG de CAMAIR-CO, avant d’être viré à son tour, pour défaut de résultat. Mbotto Edimo avait été remplacé en juin 2014 par Jean-Paul Nana Sandjo, lequel, moins de deux ans après, s’est incliné face aux puissants réseaux de la présidence au profit du manager Ernest Dikoum, ancien responsable du Dubaïote Emirates au Sénégal et au Zimbabwe.
Recrutements
C’est dire l’instabilité managériale que traverse le transporteur public depuis sa création en 2006 et le début de son exploitation en 2011. Des dossiers auxquels Le Jour avait eu accès, il y a quatre ans, révélaient comment la compagnie avait mal négocié son envol en recrutant pour présider à ses destinées, des hommes qui étaient plus diplômés qu’expérimentés.
Qu’il s’agisse d’Alex Van Elk, son tout premier DG, ou de son successeur Matthjis Boertien, ces « oiseaux rares » dont se pavanait Essimi Menye, alors ministre des Finances, ne s’étaient pas montrés à la hauteur de la tâche. Alex Van Elk avait « atterri » à CAMAIR-CO après avoir été débarqué d’Arik Air, une compagnie privée nigériane, neuf mois seulement après sa prise de service à la tête de ce transporteur privé, au même moment que celle dont il fit directeur des ressources humaines de CAMAIR-CO, Stella Kiwanuka.
Autant Alex que ses successeurs ont recruté plus de personnels que n’en avait besoin cette compagnie à la flotte insignifiante. La conséquence de cette politique de recrutements obsolète et coûteuse (près de 200 millions pour le recrutement du Néerlandais et de ses hauts cadres) est que non seulement la compagnie n’a jamais véritablement décollé, mais elle a cumulé, en cinq ans, une dette de près de 35 milliards de FCFA au détriment du contribuable camerounais.
Entre-temps, l’Américain Boeing Consulting a proposé un plan de restructuration d’une valeur de 91,5 millions d’euros. Ce plan intègre l’acquisition, à l’horizon 2019, de neuf aéronefs, toutes choses qui porteront la flotte nationale à 14 avions. Son implémentation a commencé par l’achat par le gouvernement, pour un montant d’environ 41,4 millions de dollars, des deux Boeing 737-700 jusque exploités en leasing (leur location auprès d’Aviation Capital Group en cinq ans, a coûté environ 19 milliards de FCFA).
« Comme toute entreprise en restructuration, il y a une phase de décollage et elle progressive. On ne peut pas parler de restructuration si la trésorerie était positive », a reconnu Ernest Dikoum, interpellé sur la trésorerie de CAMAIR-CO.