Depuis quelque temps, le taux de réalisation du budget d’investissement public au Cameroun bat des records de faiblesse. La sortie du nouveau, non moins ancien ministre de l’Economie, du Plan et de l’Aménagement du territoire (Minepat) la semaine dernière était sans équivoque. Louis Paul Motaze a déploré la vitesse d’exécution du budget d’investissement public.
Ce, à moins de deux mois de la clôture de l’année budgétaire. Il s’agit notamment, ces chantiers qui n’arrivent pas à leur terme ou qui pourraient être livrés hors-délai. L’ancien secrétaire général des services du Premier ministre a même pensé qu’il faudrait attribuer les marchés aux plus compétents. Cela s’appellerait : frapper du poing sur la table. Dans un contexte de politique « des grandes réalisations » passée au slogan de «l’émergence à l’horizon 2035 », l’exécution du Bip au Cameroun semble plutôt ramer à contre courant.
Dans l’une de ses éditions de la semaine dernière, le quotidien Mutations relayait une information selon laquelle le préfet du département du Ndian, région du Sud-Ouest accuse le ministre des Marchés
publics, Aba Sadou chez le Premier ministre pour non facilitation de l’exécution du budget d’investissement public (Bip) dans la zone de Bakassi. Zone qui nécessite beaucoup de travaux d’aménagement, dans l’optique d’une réelle appropriation, après une occupation nigériane, qui a duré plusieurs décennies.
L’administration, qui souhaite se rapprocher des administrés, est quasiment sans domicile fixe. Certains chantiers sont à l’abandon. Il y a deux ans, voire moins, le gouverneur de cette région, Bernard Okalia Bilaï « tirait les oreilles » aux maîtres d’ouvrages et maîtres d’œuvres pour le très faible taux de réalisation de leurs chantiers sur toute l’étendue de la région. Les taux oscillant entre 15 et 25% à la veille de la clôture d’un exercice budgétaire. Il est de Bakassi, de la région du Sud-Ouest comme du reste du pays. Le Littoral affichait 34,26% au mois d’octobre dernier.
Au mois de juillet (à mi parcours, il n’était qu’a 15%. Blaise Ella Aimé, délégué régional du Minepat confiait que, sur les 502 projets retenus pour la région, 172 projets sont déjà réalisés et 357 projets déjà attribués. La région du Centre, siège des institutions, prêche par le mauvais exemple. Selon le sous-comité technique régional de suivi, à la date du 30 juin 2015, le taux d’exécution du Bip était de 10,27%, pour les 20 milliards Fcfa, qui lui ont été affectés.
Régions
La moyenne dans les communes étant de 4,80% seulement, selon les chiffres officiels. Le député Luc Koa indiquait à cette occasion que 83,28% des marchés avaient déjà été passés. La non-maturation des projets, l’absence des moyens pour l’élaboration des dossiers d’appels d’offre et les nombreuses erreurs sur les autorisations de dépenses ont, selon lui, créé des lenteurs évoquées ici comme les freins à l’exécution du Bip.
Quelle raison donnera alors le gouverneur de la région de l’Ouest, Awa Fonka Augustine, pour expliquer le taux d’exécution du Bip à moins de 5%, quatre mois après le début de l’exercice budgétaire ? Un confrère relayait encore cette rengaine venue de l’Ouest : « le manque de personnels compétents dans les communes, le non-professionnalisme des entrepreneurs qui sont pour la plupart des hommes d’affaires, l’absence de synergie dans les contrôles, les offres anormalement basses qui conduisent à l’abandon des chantiers, etc. » Un refrain entendu depuis plusieurs années.
Ce, malgré la réforme de décembre 2011 avec la création du ministère des Marchés publics. Faut-il aussi le rappeler, le Minepat a pris le soin de publier le journal des projets dès la première semaine de janvier 2015.
Critiques Les ressources financières affectées au Bip sont généralement consacrées à la réalisation de grands projets que les politiciens appellent « structurants ». Il s’agit entre autres des routes, barrages hydro-électriques, ponts, etc. Lesdites ressources sont également affectées au financement des projets sociaux à l’instar des salles de classe, des forages et puits ou des centres de santé, afin d’améliorer les conditions de vie des populations. L’économiste Dieudonné Essomba semble bien comprendre le phénomène. « Ce n’est pas un problème opérationnel, parce que les gens travaillent mal. Les différents projets ne sont pas techniquement réalisables. On s’est engagé dans un programme impossible », croit-il savoir.
L’ancien cadre au Minepat, aujourd’hui à la retraite, fidèle à ses positions, somme toute scientifiques, révèle que les caisses de l’Etat sont vides. Il estime qu’un pays ne peut pas avoir un déficit et engager des investissements lourds. Il semble déjà dédouaner le nouveau Minepat, Louis Paul Motaze lorsqu’un proclame qu’il « ne peut lui-même rien faire ». En ce qui concerne précisément le Bip, « la sous-consommation des crédits d’investissement n’a rien à voir avec la gouvernance opérationnelle, mais exprime des dysfonctionnements macroéconomiques plus profonds. »
Il pense qu’il y a quatre observations permettant d’invalider les explications officielles. Il s’agit pour lui de l’absence d’une épargne budgétaire ; de l’absence de coupables ; de la contradiction sur les capacités opérationnelles et de la modicité du budget du Cameroun. L’enveloppe allouée à l’investissement au Cameroun pour l’année 2015 est de 1.150 milliards Fcfa. Le Bip représente donc 30,7% du budget national. Le Bip avait été exécuté à 89,60% au 30 septembre 2014, selon le Minepat. Même s’il était exécuté à 49% seulement dans les régions.
Que le taux d’exécution du Bip ne puisse pas atteindre les hauteurs acceptables, ce ne sera pas la faute de Louis Paul Motaze, qui n’est pas comptable pour cette année car, nommé à ce poste le 2 octobre dernier seulement. D’ailleurs, le Fonds monétaire international (Fmi) annonçait une année 2015 difficile pour le Cameroun, du fait de la baisse des prix du pétrole sur le marché international et des tensions sécuritaires aux frontières de l’Est et de l’Extrême-Nord.