Comme ils ont raison, ces analystes prévisionnistes qui, se tenant en marge de
l’euphorie ambiante consécutive à la dislocation du Bloc de l’Est, avaient prédit une
entrée en zone critique de notre monde, désormais en quête de repères, après la
perte de la bipolarité. Situation ardemment souhaitée par ceux qui trouvaient là
l’occasion de chapeauter tout seuls la marche du monde. Mais manifestement, ils
n’auront prévu ni la résistance des acteurs dont la monopolarité signait la
disparition des empires, encore moins, l’irrépressible désir de liberté des peuples
jadis sous pavillon, et qui ne jurent que par la multipolarité. Résultat des courses, le
monde vit un colossal embrouillamini, avec une monopolarité plus que poussive,
une bipolarité batailleuse, et une multipolarité certes disparate, mais tout aussi
prédatrice que les primats d’hier. Et c’est ici que réside le danger pour les Etats de
notre continent réfractaires aux grands regroupements idéologiques et
économiques, pourtant les seuls en mesure de leur éviter d’être la proie d’insidieux
démarchages dits de proximité, en réalité des hégémonismes de faible facture et de
qualité médiocre. Car, si par le jeu des influences, l’Afrique se retrouve aujourd’hui
au centre de l’échiquier géostratégique mondial, l’intérêt ainsi suscité en fait un
enjeu vital pour la survie même de nombreuses puissances étrangères. Une position
que l’on pourrait croire génératrice de privilèges. Sauf qu’aux termes du
dictionnaire, l’enjeu serait une mise, un prix, un gain. Dans tous les cas, un objet de
convoitise pour des entrepreneurs, ou des compétiteurs, dans le cas d’espèce. Voici
qui pourrait justifier le niveau de plus en plus élevé du chassé-croisé diplomatique
international observé sur le continent. Mais si le continent noir a tant à offrir, il lui
reste à maîtriser les circuits de valorisation de ses ressources, de même que la
définition des termes des échanges avec ses partenaires. Dans cette quête de
souveraineté, c’est la volonté qui manque le moins. Et comme il fallait s’y attendre,
l’ambition africaine est torpillée de toutes parts, très souvent par ces mêmes amis
qui ne nous veulent que du bien. A preuve, les concours et autres appuis apportés
tant dans la lutte contre un terrorisme bizarrement résilient et proliférant, que dans
l’aide au développement. Des démarches qui au final, ne visent qu’à faciliter la
pénétration et pérenniser la présence de bienfaiteurs plutôt envahissants et surtout,
et c’est bien regrettable, incapacitants. Dès lors, l’actuelle apolarité du monde serait
une opportunité pour notre continent, d’enfin corriger les disparités très longtemps
préjudiciables à son affirmation sur la scène internationale. Certes, le chemin pour
parvenir à l’égalité avec les autres mondes sera long et périlleux, mais ne dit-on pas
que l’union fait la force ! A nos peuples, à notre jeunesse de faire de l’Afrique non
pas un enjeu, de quelle que importance que ce soit, mais un acteur
multidimensionnel de premier plan dans la géostratégie planétaire.
Extrait de Editorial n°107 du 1/10/2022