La création d'une banque des PME au Cameroun part d'une bonne intention, à savoir faciliter le financement des activités des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME). On constate cependant que huit (08) ans après son ouverture en 2015, cette institution bancaire à capitaux publics affiche une très mauvaise performance et que sa restructuration est envisagée depuis 2018. Certains facteurs permettent de questionner les raisons de l’échec de fait du projet.
1. Les pouvoirs publics ont privilégié la création de la Banque Camerounaise des Petites et Moyennes Entreprises (BC PME) à la mise en place d'un fonds de garantie doté de ressources conséquentes, comme le préconisaient certaines études préalables. C'était également la position des principales associations professionnelles concernées. Les autorités n'ont pas fait montre d'une écoute suffisante, pour finir par donner raison à ces dernières, si l'on considère l'esprit de la facilité de garantie des prêts bancaires au profit des entreprises publiques et privées mise en place depuis 2021 auprès de certaines banques et établissements de microfinance, laquelle cible également les PME.
Il s’agit d’une convention de garantie d’un montant de 200 milliards de FCFA pour les prêts bancaires au profit des entreprises publiques et privées que le Gouvernement a conclu avec l’Association professionnelle des établissements de crédit du Cameroun (APECCAM) et l’Association nationale des établissements de microfinance du Cameroun (ANENCAM). Ce soutien à l’accès au crédit bancaire devrait permettre d’accélérer l’octroi des prêts aux entreprises et particulièrement aux PME, avec pour effet de relancer le crédit à l’économie et l’investissement privé dans les filières identifiées comme prioritaires par la Stratégie nationale de développement 2020-2030, d’après le ministre des Finances. La conclusion d’une telle convention, si elle est louable, est aussi l’aveu implicite de l’impossibilité dans laquelle se trouve la BC PME, de remplir la mission qui lui a été assignée à sa création.
2. Le modèle d'organisation et de gestion de la BC PME a malheureusement beaucoup capitalisé les tares de l'administration, ce qui pourrait expliquer l'absence d'une véritable gestion axée sur les résultats. En effet, à de rares exceptions près, le portefeuille public se caractérise par une gestion inefficace et par le manque d’agilité face aux changements ou aux attentes du marché. Si les résultats de performance d’établissements ou d’entreprises publics comme la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale ou le Port Autonome de Douala méritent d’être cités en exemple parmi d’autres, il n’en reste pas moins que le portefeuille de l’Etat est en sous-performance chronique.
Le ministre des Finances semble souscrire à ce constat dans sa circulaire du 6 juillet 2022 régissant les contrats de performance entre l’État et les établissements et entreprises publics, dans laquelle il indiquait que « dans le cadre de la poursuite de la mise en œuvre de la réforme des entreprises et établissements publics conduite par le gouvernement depuis 2017, en vue de la maîtrise du pilotage et de la gouvernance de ces entités publiques, il a été donné de constater la faible performance des établissements et entreprises publics dans l’accomplissement de leurs missions statutaires et dans la génération de profits ; le poids important de ces structures sur les finances publiques, à travers des opérations d’apport de trésorerie, de subventions ou de recapitalisation par l’État ; les risques budgétaires pour l’État, dont la responsabilité pourrait être appelée du fait du passif global et de l’encours importants des engagements financiers de ces structures ».
Tout porte à croire que la BC PME a obéi au type de dysfonctionnement observé dans la gestion d’un certain nombre d’entreprises publiques, déficitaires et totalement dépendantes de la subvention de l’Etat pour leur fonctionnement, alors qu’elles avaient à leur création vocation à générer des profits pour soutenir la trésorerie de l’Etat actionnaire. Dans ce type d’entreprises et d’établissements publics, les effectifs sont pléthoriques et en inadéquation avec les moyens de l’organisme, et la gestion des ressources financières est tournée vers la consommation au détriment de la production. Ces structures, budgétivores et inefficaces, vivent en réalité aux crochets de la collectivité nationale, tant leur rentabilité est obérée par leur inefficience. Il en résulte ainsi l’impression tenace selon laquelle le logiciel du secteur public reste peu compatible aux règles de gestion efficace pourtant promues dans le discours.
3. Le business model de la BC PME était médiocre dès le départ et l'est resté, faisant planer sur l'entreprise, la menace d’une disparition prématurée. Les illustrations suivantes en rendent compte :
3.1. La banque ne dispose que de deux (02) guichets, l'un à Yaoundé et l'autre à Douala, alors que sa cible est présente sur tout le territoire national, ce qui traduit une mauvaise segmentation du marché. Au demeurant, il est surprenant que la BC PME, émanation du Ministère des Finances, n’ait pas capitalisé la segmentation comme outil d’amélioration de sa performance, alors que cette dernière a été au cœur des réformes de l’administration fiscale au Cameroun depuis une vingtaine d’années, avec des résultats plus que probants. Les recettes fiscales du pays sont ainsi passées de 1 059 milliards FCFA en 2010 à 2 656 milliards de FCFA à fin 2022, soit une moyenne mensuelle de collecte qui est passée 88 milliards FCFA en 2010 à 221 milliards en 2022.
3.2. Le marché de la mise en place du système d'information de la BC PME aurait été confié à un groupe bancaire étranger propriétaire d'une banque établie au Cameroun, c’est-à-dire à l'un de ses concurrents, ce qui traduit à la fois une faiblesse stratégique et une absence d'ambition de conquête.
3.3. Sa trésorerie a été très vite négative, malgré la capitalisation de départ (10 milliards FCFA). Par conséquent la banque n'est pas en capacité de financer des projets et possiblement, son fonctionnement. On peut en déduire que le capital ne semble pas avoir été utilisé principalement pour créer de la valeur.
4. Les charges de la banque publique sont supérieures aux produits d'année en année, ce qui fait peser un risque permanent sur la viabilité de l'entreprise, et alors que les autres banques engrangent des bénéfices significatifs, juste rétribution d’une gestion rationnelle. Aujourd’hui en situation de quasi faillite, elle affichait en 2022 un résultat négatif de - 2,010 milliards FCFA contre - 2,218 milliards FCFA en 2021. Minée par une gouvernance inefficace, la BC PME peine à faire face à la concurrence. Elle accumule des pertes au fil des ans, et affiche l’un des taux de recouvrement les plus bas du secteur bancaire, d’après la Commission Technique de Réhabilitation des entreprises publiques et parapubliques, rattachée au Ministère des Finances.
5. Il faut également reconnaître que les leçons du passé n'ont pas été retenues. En effet, l'Etat s'est désengagé du secteur bancaire à la fin des années 80 en raison de la mauvaise gestion de la plupart des banques concernées, notamment le non-respect des règles prudentielles permettant de s'assurer de la solvabilité et de la liquidité de l’établissement de crédit. L'objectif de ces dernières étant de protéger les intérêts des déposants et d'assurer la stabilité du système bancaire. La crise du secteur bancaire dans les années 80 a ancré dans le corps social l’idée selon laquelle la ‘‘culture’’ de l’administration ne prédispose pas l’Etat à gérer efficacement une banque. Ce n’est pas dire que le secteur public n’est pas en mesure de générer des managers de grande valeur, loin de là.
De l’avis des professionnels du domaine, les derniers grands banquiers issus du secteur public semblent être Edouard AKAME MFOUMOU qui a dirigé la Banque Internationale pour le Crédit et l'Industrie au Cameroun (BICIC) d’octobre 1984 à avril 1989, avant de faire ‘‘carrière’’ au gouvernement et Etienne NTSAMA, qui a dirigé tour à tour la BIAO (Banque Internationale pour l'Afrique Occidentale) Cameroun, le Crédit Foncier du Cameroun et la BICIC, dans les années 70, 80 et 90, avec des interruptions pour servir au gouvernement (1983-1985) ou en diplomatie (1987-1989). Ces figures respectées cachent mal, cependant, le fait que les hauts fonctionnaires ayant eu la charge de la gestion d’une banque publique ont généralement un bilan mitigé pour dire le moins, en raison de leur difficulté à s’affranchir des tares propres à la logique du secteur public. Le dictionnaire Larousse définit l’échec comme étant « le résultat négatif d'une tentative, un manque de réussite ».
Ce sont, objectivement, des qualificatifs que l’on peut appliquer à la BC PME, qui, malgré son capital de départ de 10 milliards de FCFA et les allocations budgétaires successives, n’arrive toujours pas à atteindre un résultat de performance satisfaisant. La BC PME est ainsi perçue comme étant une mauvaise réponse à un problème pourtant réel. La banque portait en elle le germe de l'échec et il est à craindre que la recapitalisation envisagée n'ait pas d'impact significatif, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Cette question de la recapitalisation n’est pas nouvelle. Dans le cadre du programme économique avec le Fonds Monétaire International (FMI) pour la période 2017-2020, l’État avait pris l’engagement de restructurer cet établissement bancaire, dont le FMI indique, dans un rapport de 2020, que le modèle économique est très évasif, avec de surcroît une accumulation importante de pertes.
La recapitalisation de la BC PME, annoncée depuis le projet de loi de finances 2020, est l’une des solutions envisagées complémentairement à l’élaboration d’un nouveau modèle économique de l’entreprise, radicalement différent de l’actuel. Cela accrédite l’idée selon laquelle dès le départ, le ver était dans le fruit, en raison des facteurs d’échec sus-évoqués. L’échec était donc à la fois prévisible et évitable. Au-delà de la persistance des choix erronés, le constat est qu’avec la conception et la mise en place de la BC PME, les pouvoirs publics ont réformé sans méthode, se contentant d’une dimension incantatoire de l’action publique, oubliant que ‘‘dire ce n’est pas faire’’, perdant de vue qu’« on ne change pas la société par décret », pour reprendre la formule de Michel CROZIER. Le résultat des courses est ce que Roger Gabriel NLEP faisait rentrer dans la catégorie des « réformes imbéciles », c’est-à-dire une réforme mal conçue, coûteuse et inefficace, vouée à l’échec dès sa mise en œuvre.
A cet égard, il est fondamental, dans l’analyse des politiques publiques, d’éviter de travestir la réalité, car comme le relevait Fabien EBOUSSI BOULAGA, « une société qui se ment n’apprend rien, elle est condamnée à vivre dans le chaos permanent. Se mentir à soi-même c’est refuser de se plier aux leçons de la vie, de l’histoire, de la rencontre avec les autres ».