Opinions of Tuesday, 18 April 2017

Auteur: Yann Gwet

La crise anglophone doit devenir la crise camerounaise

Le président camerounais, Paul Biya Le président camerounais, Paul Biya

« Pour trouver sa résolution, la crise anglophone doit devenir la crise camerounaise.»

Pour notre chroniqueur, l’enjeu crucial qui se joue depuis six mois est la construction de l’unité de la nation, que fragiliserait une fédéralisation.

Six mois que les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun, dites anglophones, sont paralysées, et que le bras de fer dure entre le gouvernement et diverses organisations représentant les avocats, les enseignants, les élèves, et plus largement la société civile de ces régions. Peut-être est-il temps de tirer un premier bilan de ce qu’il est convenu d’appeler la crise anglophone ?

Issa Tchiroma Bakary, propagandiste en chef du régime camerounais, annonçait récemment que 61 personnes étaient emprisonnées dans la tristement célèbre prison de Kondengui à Yaoundé. Les chefs d’accusation sont grossièrement politiques. Certains seraient détenus au siège de la police judiciaire, d’autres à celui de la gendarmerie nationale.

Un « machin » chargé de promouvoir le bilinguisme

Les régions d’où est partie la contestation sont toujours privées de connexion Internet depuis le 17 janvier, et la campagne #BringBackOurInternet a davantage réussi à faire connaître le drapeau camerounais à travers le monde qu’à « déradicaliser » le gouvernement du pays.

De nombreux exilés digitaux ont trouvé refuge dans les zones francophones. Peut-être croisent-ils, dans les rues de Yaoundé, les exilés académiques qui affluent dans les établissements scolaires de cette ville pour sauver ce qu’ils peuvent d’une année noire. Le 23 janvier, dans sa grande magnanimité, Paul Biya a créé un « machin » chargé de promouvoir le bilinguisme et le multiculturalisme dans le pays, et dont l’effet sera celui d’un cautère sur une jambe de bois.



Je compte au nombre des Camerounais francophones qui sont sympathiques de la cause défendue par nos compatriotes des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Mais avec le temps, ma sympathie se double de perplexité. Les leaders du mouvement sont-ils à la hauteur de leur combat ? Au début de la contestation, et même si les voix qui s’élevaient alors n’étaient pas toujours cohérentes, le discours qui dominait était inclusif. Les leaders pensaient qu’il y avait un « problème anglophone », ce en quoi je les rejoignais, mais ils semblaient penser aussi que ce problème pouvait se résoudre dans le cadre du Cameroun tel qu’il est aujourd’hui, en quoi nous nous retrouvions aussi.

Six mois d’une répression impitoyable semblent avoir radicalisé les positions. Les partisans de la sécession du pays sont plus audibles, et l’exigence d’un retour au fédéralisme – situation du pays entre 1961 et 1972 – semble être la position des principaux leaders du mouvement. Surtout, le discours inclusif qui semblait inscrire le « problème anglophone » dans le contexte plus large du problème de gouvernance chronique que connaît le Cameroun depuis trente-quatre ans peine désormais à se faire entendre. C’est là une erreur à la fois stratégique et politique.

Cheval de Troie de la sécession

Erreur stratégique parce que, encouragés par la propagande d’Etat, qui joue de leur culture jacobine, les Camerounais francophones – les plus nombreux dans le pays – considèrent le fédéralisme comme un cheval de Troie de la sécession ou, dans le pire des cas, assimilent les deux. Exiger le retour au fédéralisme conduit donc d’emblée à se couper du soutien, pourtant indispensable pour accentuer la pression sur le gouvernement camerounais, de la majorité de la population. Erreur politique parce qu’en effet, même en tenant compte de la spécificité du « problème anglophone », celui-ci est une conséquence de la suprême incompétence du gouvernement camerounais, et pourrait se résoudre sans changer la forme même de l’Etat.

Six mois après, je suis embarrassé de devoir reconnaître que le gouvernement camerounais s’est montré plus malin que ses adversaires. En optant pour la politique du pire, il a encouragé les voix les plus extrêmes et radicalisé les voix les plus modérées, marginalisant de fait une protestation légitime. Mais il n’est pas trop tard pour rectifier le tir. Que faire ?

Revenir aux fondamentaux : la mauvaise gouvernance. Ensuite, sous cette bannière inclusive, rallier tous les mouvements sociaux dans le pays. Les combats des uns sont ceux des autres, et vice versa. Bien exécutée, une telle stratégie replacerait le mouvement au centre du jeu, amplifierait son message, et lui attirerait le soutien de la population. Enfin, il y a le volet purement politique de la lutte. La presse camerounaise se fait l’écho de « problèmes de trésorerie » au sein d’Elecam, l’organisme chargé de gérer la campagne d’inscriptions des citoyens sur les listes électorales et d’organiser les élections. Nul doute qu’il s’agit là d’une manœuvre du régime visant à limiter au maximum le nombre d’inscrits sur ces listes. Dès lors, il est primordial de mobiliser les électeurs en vue du prochain scrutin présidentiel.

A la fin, la solution à la crise anglophone sera politique, démocratique, ou ne sera pas. La politique, c’est l’art d’organiser la rencontre entre ce qui est souhaitable, ce qui est nécessaire, et ce qui est possible. Quelquefois, dans ce domaine, le nécessaire et le possible conduisent au souhaitable. En l’occurrence, pour trouver sa résolution, la crise anglophone doit devenir la crise camerounaise. Cela est nécessaire, possible, et souhaitable, car au final le véritable enjeu est de construire une nation camerounaise.