Opinions of Friday, 14 August 2015

Auteur: Eugène C. Shema

La fermeture d’Afrique Media transformée en affaire d’Etat?

La suspension de diffusion de la chaine à capitaux privés, héraut du «panafricanisme», a conduit les responsables du régulateur des médias et le porte-parole du gouvernement à se justifier

Les bureaux de Justin Blaise Tagouh, le promoteur d’Afrique Media, situés au quartier Akwa, à Douala, ont finalement été scellés hier, mercredi 12 août, par le Préfet du département du Wouri, Naséri Paul Bea, et les forces de l’ordre.

Ces bureaux, ainsi que les locaux de la chaine sis au quartier Ndogbong, toujours dans la capitale économique, ont finalement cédé à la force publique, après la résistance opposée par certains téléspectateurs de la chaine lundi.

Afrique Media est sous le coup d’une suspension de diffusion d’un mois, décidée par le régulateur des médias camerounais le 04 juin 2015. Le Conseil national de la Communication (CNC) motivait sa sanction par des faits d’«accusations non justifiées, de nature à porter atteinte à l’image et à l’honneur de personnalités, d’institutions et de pays étrangers».

Dans le même sillage, deux présentateurs de la chaine écopaient d’une suspension de six mois de l’exercice de la profession de journaliste. Ces mesures avaient été accueillis comme un «non-événement» par la direction de la chaine de télévision privée, décidant de passer-outre les décisions du régulateur des médias camerounais.

Afrique Media accusait des forces "exogènes" au Cameroun de faire pression pour "faire taire" la chaîne de télévision, citant notamment le nom de la France.

Pour rappel, Canal+, l’opérateur français spécialisé dans la distribution de la télévision payante par satellite, a supprimé la chaine sur ses bouquets depuis juillet 2014. Les responsables d’Afrique Media avaient dénoncé l’acte à cette époque, estimant qu’il avait été pris sous prétexte qu’elle «menaçait les intérêts de la France».

La chaine de télévision a régulièrement prétendu ces derniers mois que Paris et les Etats-Unis fournissaient de l’armement et des renseignements au groupe terroriste Boko Haram.

Interrogé hier sur la radio publique nationale, le vice-président du CNC, Peter Essoka, a estimé que Afrique Media avait voulu défier le gouvernement et les institutions de la République du Cameroun en refusant d’appliquer les décisions du régulateur des médias.

Peter Essoka a par ailleurs expliqué que Afrique Media doit pouvoir «convaincre» pour susciter l’adhésion à son «panafricanisme» sans avoir à insulter autrui. Tout en indiquant que sa vie était «menacée» à cause des informations le concernant diffusées sur les antennes de cette chaine de télévision – informations sur ses lieux de séjour à Douala – le vice-président du CNC a affirmé qu’il continuera à faire son travail.


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Immixtion dans la gestion des affaires étrangères
Dans une déclaration publiée le 12 août 2015 à Douala, le Syndicat national des journalistes du Cameroun (SNJC), par la voix de son président par intérim, Denis Nkwebo, a qualifié la décision du CNC concernant Afrique Media de «dérive autoritaire et dictatoriale».

Le SNJC pense que le CNC avance «masqué, au service et aux ordres de groupes inconnus, mais incrustés dans un système de règlement de comptes».

«J’interpelle le directeur de publication d’Afrique Media pour lui demander de se plier aux exigences des lois et règlements en vigueur (…) Se mettre en travers des lois, des règlements en vigueur dans notre nation ne peut que le desservir», a pour sa part suggéré le ministre camerounais de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, sur la CRTV-Poste National le 12 août.

«Afrique Media, par ses émissions, a tendance à se substituer aux institutions telles que les tribunaux, ou la justice. Non, ce n’est pas la vocation d’une télévision, ce n’est pas la vocation d’une radio. Le respect scrupuleux des nations étrangères, la non-immixtion dans la gestion des affaires étrangères: cette règle doit rester imperturbable.

Le gouvernement ne peut pas accepter que Afrique media soit cette télévision à partir de laquelle on peut invectiver, interpeller, insulter les dirigeants d’une autre nation. C’est inacceptable et il faut que ça cesse!», a averti celui qui assume par ailleurs le statut de porte-parole du gouvernement.

Les avocats constitués par Afrique Media ont indiqué à nos confrères du quotidien privé Le Jour qu’ils vont, dans l'urgence, saisir le juge de référé pour contester l’acte du CNC et tenter d’obtenir une levée des scellés apposés sur les locaux de la chaine à Douala et à Yaoundé.