« La Guerre du Cameroun. L’invention de la Françafrique » retrace la période 1948-1971 durant laquelle l’Hexagone était aux prises avec l’Upc.
Le trio d’auteurs Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa (deux Français et un Camerounais) est de retour en librairie avec un ouvrage passant au scanner une période méconnue mais ô combien charnière de l’histoire camerounaise. En 2011, ils étaient déjà derrière l’opus « Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique » qui livrait aussi le récit de l’action française dans le territoire confié par les instances internationales après les deux conflits mondiaux.
L’accueil de la production littéraire avait été plutôt enthousiaste et a permis de braquer les projecteurs sur un conflit longtemps remisé dans l’arrière pièce de l’histoire. En 2015, lors de sa visite d’Etat à Yaoundé, François Hollande a évoqué, une première pour un locataire de l’Elysée, les violences au Cameroun. Même si une reconnaissance formelle du rôle de la « patrie des droits de l’homme » n’avait pas été faite par le président français, il avait néanmoins promis l’ouverture des archives. Une promesse tombée dans les limbes de l’oubli, regrette la trilogie de plumes.
Répression sanglante
C’est dans ce contexte qu’est publiée « La guerre du Cameroun », à la fois condensée et prolongement de « Kamerun. » Les auteurs ont retrouvé la trace de Max Bardet, un pilote ayant participé aux massacres. Son témoignage est capital dans la mesure où il permet d’ajouter la caution de vérité d’un acteur encore vivant sur la mise en lumière de cette époque troublée. Bardet évoque des milliers de victimes, dans la région bamiléké notamment, tombées sous le feu d’une France enragée contre les nationalistes.
La création de l’Union des populations du Cameroun (Upc) en 1948 est le point de départ de la longue répression. Répression contre des jeunes africains désirant s’affranchir d’une tutelle qui a outrepassé ses prérogatives. Le livre insiste sur le fait que Paris à gérer, à tort, le Cameroun comme une colonie. Au fil des 245 pages, le lecteur comprend mieux pourquoi cette séquence historique a été enfouie. La France, ridiculisée en Indochine et contestée en Algérie, ne voulait pas d’un nouveau sanctuaire insurrectionnel.
Tout sera fait afin de museler les rares journalistes et personnalités ayant tenté de relater les escapades meurtrières de la soldatesque coloniale. Mongo Beti, à qui est dédiée « La guerre du Cameroun », a été à l’avant-garde de la dénonciation. L’universitaire de renom Achille Mbembe donne par ailleurs sa caution morale avec une préface sur la nécessité de rompre avec un passé dont la régénérescence est criminelle. En 1958, Um Nyobe est tué dans le maquis. L’Upc, avec des moyens limités, va mener la résistance. L’Armée de libération nationale du Kamerun et le Comité national d’organisation, des groupes paramilitaires upécistes, vont s’opposer à l’armée naissante, celle-ci encadrée avec minutie, constatent les auteurs, par les hauts gradés français.
Le fameux lieutenant-colonel Lamberton, à qui l’on doit la description de l’ethnie Bamiléké comme « caillou » dans la chaussure française, tient une place prépondérante dans le dispositif répressif. Des noms célèbres, Debré, Foccart, Delauney et Mesmer sont cités au rang de ceux qui ont expérimenté la Françafrique au Cameroun, ce système nébuleux pérennisant des réseaux tissés par le pays du général de Gaulle dans le pré-carré français en Afrique.
Ahidjo et Biya au banc des accusés
Selon les auteurs, l’anéantissement de l’Upc n’aurait pas pu être possible sans des relais locaux, fidèles à la France. Ahmadou Ahidjo, le premier président camerounais, est l’une des figures centrales du livre. Présenté sous les traits d’un homme sans relief, dont le seul mérite a été la fidélité au colon, il aurait exercé le pouvoir de manière brutale, en s’appuyant sur la police politique, une « gestapo camerounaise » dirigée par Jean Fochivé et l’Union nationale camerounaise. L’influence de Samuel Kamé auprès d’Ahidjo, l’une des éminences grises du parti « unifié » est décrite comme un apport fasciste à une gouvernance dont les qualités sont rarement retranscrites dans le livre.
On apprend qu’Ahidjo a rencontré Louis-Paul Aujoulat, acteur majeur de la politique dans les années précédant l’indépendance, lors de ses études en France. Une révélation qui hérissera sûrement le poil des biographes du premier président. L’ouvrage revient aussi sur la réunification de 1961. Avec la bénédiction de l’Hexagone, le chantre du libéralisme planifié aurait floué les anglophones en leur promettant une République fédérale sans substance. « La guerre de la France » au Cameroun s’achève en 1971 avec l’exécution sur la place publique d’Ernest Ouandié à Bafoussam.
Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa assurent que ses stigmates continuent d’être visibles dans la société camerounaise d’aujourd’hui. Depuis 1982, la France est accusée de couver le successeur d’Ahidjo, Paul Biya, un ténor dans le village françafricain. Au terme de la lecture du livre, le lecteur peu au fait de l’histoire du Cameroun en apprendra sûrement beaucoup. Les plus exigeants jugeront que les auteurs ont présenté des faits connus. Ces derniers auraient toutefois gagné à donner la parole, davantage, aux acteurs du « camp d’en face » dans un souci d’impartialité qui fait parfois défaut dans leur analyse. Les questions de fonds, qui pouvaient être originales, à l’instar des guerres intestines dans l’Upc et les possibles dérapages des nationalistes après 1960, ne sont presque pas abordées.