C’est Radio France internationale (Rfi) qui l’a annoncé, dans ses multiples émissions de la semaine dernière. La «radio mondiale» avait fait parler plusieurs personnalités de l’opposition politique au Tchad.
Parmi celles-ci, Saleh Kebzabo, le président de l’Union nationale pour la démocratie et la République et non moins chef de file de l’opposition du pays.
Saleh Kebzabo a pris sur lui d’affirmer que, lors de l’élection très serrée du président de la Banque africaine de développement (Bad), le 28 mai dernier à Abidjan, en Côte d’Ivoire, le Cameroun avait voté pour le candidat du Nigeria, Akinwumi A. Adesina l’avait remporté.
Yaoundé aurait ainsi, curieusement, jeté son dévolu sur le Nigérian au détriment du candidat tchadien, Kordjé Bedoumra, pourtant présenté comme le candidat de la Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale (Cemac).
Cette révélation a été reprise comme en boucle à N’Djamena. Des voix se sont alors élevées, demandant au président Idriss Déby Itno «de revoir quelques orientations de sa diplomatie qui donne tout sans rien obtenir en retour».
Pourtant, au terme de cette élection et après la défaite constatée du candidat de la Cemac, Emmanuel Djoumessi, le ministre camerounais de l’Economie, qui conduisait la délégation camerounaise à Abidjan, a reçu le lendemain dans sa suite (N°807) de l’hôtel Ivoire quelques confères de la presse camerounaise.
Visiblement abattu par cet échec, il confiera aux journalistes qu’il avait battu campagne jusqu’à la dernière minute en faveur de Kordjé Bedoumra. Mais que les “non régionaux” étaient restés soudés derrière le candidat de la première puissance économique du continent, le Nigeria.
Il affirmait par ailleurs que le chef de l’Etat tchadien en personne l’avait appelé au téléphone pour lui témoigner toute sa gratitude pour son total soutien au Tchad. Vous avez dit énigme !
Le ministre camerounais de la Communication, Issa Tchiroma dont on connaît pourtant la volupté du verbe, lors de sa conférence de presse du 13 juin, n’a pas évoqué le sujet, laissant subrepticement dire «qu’aucun journaliste ne lui avait posé de question sur cette élection».
Si les accusations des politiques du Tchad s’avéreraient fondées dans une élection pourtant à bulletin secret, ce serait alors un acte d’une importance gravissime.
La diplomatie camerounaise relève du domaine exclusif du chef de l’Etat. C’est un dogme presque biblique. Cela ne devrait pour autant pas signifier que Paul Biya a le droit de gérer les relations internationales du pays sans en rendre compte ; comme s’il s’agissait de «sa chose privée».
Chacun des actes qu’il pose est censé engager le Cameroun dans son entièreté. S’il ne prend pas de bonnes initiatives, c’est le sort de tout un pays qui en pâtirait. Le chef de l’Etat a le mandat que le peuple lui a confié, certes, mais cela ne l’exempte pas des comptes qu’il a le devoir de rendre à ce peuple, même en utilisant le canal constitutionnel du Parlement national.
De tous les pays du continent, le Tchad est le premier avec lequel le Cameroun dispose de solides liens historiques, culturels, sociologiques et économiques.
Chez ce voisin, du plus petit au plus élevé de la hiérarchie politique ou militaire, il se dit que si le Cameroun est attaqué, c’est le Tchad qui est menacé.
Et ce ne sont pas de simples mots : le 17 janvier dernier, l’armée tchadienne a été accueillie à Kousseri en «libératrice», au moment de traverser la ville camerounaise pour se déployer au Nigeria afin de déstabiliser Boko Haram de ses positions à partir desquelles les assaillants de la secte pénétraient au Cameroun pour y semer des exactions d’une barbarie inqualifiable. L’engagement de ce pays aux côtés des troupes camerounaises a permis la relative accalmie que nous connaissons aujourd’hui.
Charles de Gaulle avait coutume de dire : «Un grand pays n’a pas d’ami, il a des intérêts.» Soit. Le Nigeria est le premier partenaire économique du Cameroun, c’est certain. Mais sans sécurité, que vaudraient les apports économiques ? Pas grand chose.
Pour cela, mais aussi pour d’autres raisons encore, le Tchad méritait un retour d’ascenseur du Cameroun dans cette élection. Tous les Tchadiens attendaient de gagner la présidence de la Bad pour asseoir le rayonnement international de leur pays.
Il devait compter sur le Cameroun d’abord, à qui il a tout donné pour sa sécurité. Aucune raison diplomatique n’autorisait le Cameroun à une attitude différente.
Si la voix du Cameroun est allée à un autre postulant, celui qui oriente et ordonne les actions de la diplomatie de notre pays, à savoir le chef de l’Etat, a l’obligation de donner des explications à son peuple de qui il tient sa légitimité et détient son mandat.
À défaut, il conforterait dans leur posture ceux de ses compatriotes qui estiment que le Cameroun «ce n’est pas une démocratie, c’est la chose personnelle de Paul Biya qui en fait ce qu’il veut».