L’effet d’annonce est réussi : dans quelque temps, chaque étudiant camerounais de l’Enseignement supérieur recevra un ordinateur, pour mieux s’arrimer aux défis du numérique, enjeu majeur du monde de demain. Grâce à la « magnanimité » et à la « clairvoyance » du chef de l’Etat, Paul Biya.
Pour sûr, le coup politique est passé, et déjà comme d’habitude, les messages de remerciement fusent de ci et de là. Il faudrait même s’attendre à des marches de soutien, pourquoi pas ? Au-delà de la fièvre qui va s’emparer des habituels et infatigables danseurs, il y a une question simple, à se poser : lorsqu’on a 75 milliards de Fcfa (c’est vrai que depuis le temps, les chiffres n’ont aucun sens chez nous), pour améliorer les conditions de travail des étudiants, la meilleure manière de les utiliser, est-ce d’offrir un ordinateur à chaque étudiant ? Assurément non, car il y a dans cette affaire, une symbolique toute camerounaise, qui concerne le principe de « l’offre », la magie du « don », à la camerounaise.
On « offre » un ordinateur à chaque étudiant, comme au cours des campagnes électorales, on distribue du maquereau et du riz aux villageois. Au Cameroun, tous les devoirs de l’Etat régalien sont présentés comme un fruit de la magnanimité et de la gentillesse du « chef » et de son entourage, qui comme tout don, exige en retour, gratitude et reconnaissance. Dividendes, donc. Pour la jeunesse du Cameroun, il s’agit donc de voir à quel point leur « papa » prend soin d’elle, au point de faire d’aussi grands sacrifices.
Le montage financier avoué de cette opération est proprement questionnable : une banque chinoise octroiera le prêt, une entreprise du même pays construira et fournira, puis le Cameroun recevra la quincaillerie, que nos enfants payeront, intérêts et principal. En clair, les chinois recueillent le beurre, l’argent du beurre, et à nous la camelote ! Soyons sérieux : s’il y a un marché assuré d?un demi-million d?ordinateurs, ne peut-on pas les fabriquer, même en partie au Cameroun, afin de donner du travail à quelques-uns de ces jeunes que l’on aime tant ? Tout le monde le sait : la question des frais universitaires représente un blocage parfois rédhibitoire pour bien de jeunes gens désireux d’entreprendre des études supérieures : à quoi leur servira un ordinateur ? Promouvoir les conditions de travail des étudiants, se préoccuper de leur sort, c’est surtout sans doute, voir dans quelles conditions le savoir est acquis dans nos institutions universitaires.
Avoir tant d’argent à injecter dans la formation de nos jeunes universitaires, c’était enfin l’occasion de créer de l’émulation et de la qualité, en instituant à nouveau un élément qui a disparu de notre université depuis des lustres : la bourse, pour tirer vers le haut les meilleurs, en solidifiant le pilier qui assure la fiabilité de tout système universitaire de qualité : le mérite. Nous sommes ici devant la typique bonne idée (donner un nouveau souffle à l’enseignement supérieur) qui se transforme en une mauvaise (donner un ordinateur à tous et à chacun). Et qui se heurte sur une sagesse toute paysanne : donner du poisson, au lieu d’apprendre à pêcher.