Opinions of Tuesday, 18 October 2016

Auteur: Younoussa Ben Moussa

La pauvreté telle qu’elle est vécue au Cameroun

Photo d'archives utilisée juste à titre d'illustration Photo d'archives utilisée juste à titre d'illustration

37,5% de Camerounais vivent avec moins de 931 F.Cfa par jour. Comment et de quoi s’occupent-ils au moment où le monde célèbre la journée mondiale de lutte contre la misère ?

Cela fait plus de dix minutes que Halidou a le regard fixé sur cette camionnette au quartier Tsinga à Yaoundé ce lundi 17 octobre. Le quinquagénaire observe deux jeunes gens qui s’affairent à décharger des planches. Il ne parle pas, mais ses lèvres bougent de temps en temps. Ses mains croisées sont moites. Il les essuie de façon régulière sur sa chemise qui aurait été initialement verte. Son chapeau défrisé cache mal ses cheveux en bataille. Ses yeux enfoncés dans la tête sont rouges.

A ses vagues connaissances, il esquisse un sourire jaune, engage des discussions incohérentes qui se terminent comme un refrain par une demande d’aide. Curieusement, il ne demande pas beaucoup. 100 Fcfa. Il ne crache pas sur 50 Fcfa non plus. Sa plus grande ambition reste en ce moment de devenir « motor boy » d’une camionnette. « J’ai fait ce travail, je vous assure, quelqu’un peux avoir jusqu’à deux mille fcfa par jour », se projette-t-il en convoquant ses anciens souvenirs de chargeur.

La vie de cet homme peut paraître surréaliste. Sa chambre, c’est dans une boutique dans un quartier de Yaoundé. Et ça dure depuis 2009. « Je dormais chez un ami et depuis qu’il s’est marié, je me suis mis à la porte », explique-t-il. C’est le début de la galère. La camionnette qui lui permettait d’avoir quelques radis pour s’acheter le « beignet haricot » a été vendu par son propriétaire. « J’avais demandé à un commerçant de me laisser dormir dans sa boutique gratuitement et en contrepartie, je veille sur ses biens. Il a pris la copie de ma Cni ». Il regagne sa « chambre » à 23 h à la fermeture, et doit libérer les lieux à 5h 30. Il mange dit-il par hasard, selon la générosité des passants.

Pauvreté généralisée

Si lui n’a aucune charge depuis qu’il abandonné sa famille à l’Est, il y a dix ans, d’autres personnes ont des charges sociales importantes. Ces chefs de familles sans revenus sont présents dans toutes les villes et villages camerounais. La situation est plus prégnante en zone rurale. « Un père de famille est venu un matin me demander avec une extraordinaire solennité 100 Fcfa, alors que j’étais étudiant. En vérité je pensais qu’il se moquait de moi ou alors il s’était trompé de chiffre. Je lui ai donné la pièce et il fallait voir sa joie », raconte cet ancien élève de l’école normale de Maroua. Un enseignant qui connait bien les zones rurales camerounaises tire cette conclusion. « Pour donner 1000 Fcfa à un père de famille, il faut le préparer psychologiquement de peur qu’il s’affole ».

Cette pauvreté semble maintenant se généraliser. Les meilleurs sites pour s’en rendre compte sont entre autre les lieux de culte et les hôpitaux. « Chaque fois que j’ouvre la mosquée, il y a soit un homme soit une femme qui arrive pour nous dire simplement qu’il veut manger avec ses enfants souvent en bas âge. De mémoire de muezzin, je pense que la situation s’empire de plus en plus. Soit les gens n’ont plus de pudeur, soit ils sont dépassés. Et je crois que c’est la dernière hypothèse qui peut se vérifier », analyse ce muezzin d’une mosquée à Yaoundé.

Une dame, la trentaine rencontrée à la Cité verte à Yaoundé explique. « Mon mari incapable de payer notre loyer de 10 000 Fcfa a préféré fuir. Je ne sais pas où il est. Je crois qu’il n’a pas souhaité nous voir dans la rue avec les enfants. En fuyant, il est convaincu que le bailleur ne pourra pas nous chasser. Sauf que depuis qu’il est parti, je suis obligée de quémander pour manger », dit-elle en sanglots. En l’observant, elle traduit un mal être. Des habits défraichis, un visage pale, le regard vague, des enfants mal nourris. Les chiffres de l’institut national de la statistique indiquent qu’ « une personne est considérée comme pauvre si elle vit dans un ménage pauvre. Un ménage est dit pauvre si sa consommation annuelle par équivalent-adulte est inférieure au seuil de pauvreté. Le seuil a été évalué à 232 547 F.Cfa en 2001, 269 443 F.Cfa en 2007 et 339 715 F.Cfa en 2014, correspondant respectivement à 637 F.Cfa , 738 F.Cfa et 931 F.Cfa par équivalent-adulte et par jour. Cette évolution du seuil de pauvreté est causée par l’inflation enregistrée au cours de ces périodes respectives et aux changements dans les habitudes de consommation.

En fait, l’indice de pauvreté, qui indique le niveau de pauvreté global dans le pays, lui, ne cesse de baisser depuis 1996. Il est passé de 53% cette année-là, à 40,2% en 2001, pour finalement atteindre 39,9% en 2007 et 37,5% en 2014. Pour réduire le nombre de personnes pauvres, il faut, de l’avis de l’Ins, «une incidence de la pauvreté inférieure à 32%».