Opinions of Tuesday, 12 December 2017

Auteur: Owono Zambo

La peine du penseur critique

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Par pensée critique, il faut entendre l’idée d’un devoir de vérité face à l’évidence d’un existant dont il serait malsain de nier la factualité en essayant de modaliser son discours au moment d’en rendre compte.

La pensée critique est, pour ainsi dire, un devoir de vérité lucide portée par un penseur critique. Lui-même est un être de courage et un intellectuel authentique qui refuse la loi du silence, de l’autocensure et s’impose l’éthique de ne parler que lorsque l’injustice, quelle qu’elle soit, semble s’ériger en règle. Comment la pensée critique dessine le sublime drame chevaleresque du penseur critique ?

La pensée critique se vit comme un devoir de réfléchir à haute voix. Elle est une passion, au sens latin de souffrance. Mais c'est une passion délicieuse, car sans la passion du penseur critique pour les sans-voix, point de pensée critique.

Mais alors, la posture intellectuelle du penseur critique est un sacerdoce dont la prime garantie est l'inimitié, les coups bas, l'intrigue, l'ingratitude et la persécution gratuite.

Est-ce assez pour décourager le penseur critique ? Non ! Le penseur critique sait que la voie qui est la sienne est un 'suicide'. C'est un chemin à parcourir en solitaire. C'est une exigence difficile à trahir que de rester cohérent et tenace aux idéaux qu'on porte et qui seuls gouvernent le recours à la parole écrite/orale. Le penseur critique est un misérable qui n'attend aucun soutien de personne. Oui, il est si misérable que la folie même des idées qui l'animent le pousse à être vu des autres comme un zélé, comme un prétentieux.

Au fait, le penseur critique est-il à l'écoute des plus forts, des plus intelligents ? Peut-être que oui, mais le penseur critique est plus à l'écoute de sa voix intérieure qui lui recommande une morale de vie propre à lui indiquer le sens de son existence et, par là même, de sa possible légitimité comme être utile aux hommes. Le penseur critique est donc un acharné de ses propres considérations qu'il érige en raison de pensée et d'action. En effet, sans ce cap psycho-conceptuel, point d'intellectuel, point de pensée critique, point de porteur de pensée critique.

Il se profile, dès lors, à l'horizon lointain ou immédiat du penseur critique la notion de responsabilité. Il est inenvisageable, pour le penseur critique, de vivre dans le monde sans questionner le monde de manière à toujours viser en celui-ci un goût d'humanité nécessaire à un vivre-ensemble digne et honorable. Tant que cela n'est pas assuré, la responsabilité et la vigilance du penseur critique sont interpellées à ce niveau. Point de tranquillité intérieure si l'injustice prospère et s'érige comme habitus dans la gouvernance publique.

Le penseur critique est un homme froid et, pour être utile dans les aboutissements de ses analyses, doit se garder de militer politiquement dans des partis ou d'intégrer les gouvernements de la République. Ces précautions lui permettent de rester objectif et de jouer pleinement son rôle de veilleur.
Le penseur critique n'est pas, pour ainsi dire, un homme en conflit avec d'autres hommes, pris comme individus. Un penseur critique examine la conformité des principes dans les pratiques institutionnelles devant régir le modus operandi de l'Etat.

Voilà qui justifie les prises de position du penseur critique. D'un régime à un autre, sa tâche n'a ni pause, ni fin. Évidemment, cela ne peut surprendre que les moins avisés qui se demandent toujours pourquoi tant de peine à se donner alors que celui qui se proclame penseur critique se trouverait bien du repos à aimer sa femme, à câliner ses enfants et à s'amuser avec ses copains autour d'un verre de matango non glacé.

Il faut le dire avec véhémence, le penseur critique a pour destinateur le devoir d'indignation. Et son destinataire est le peuple dont le changement du système sociopolitique apportera bien d'améliorations à son quotidien. Cela a cours tous les jours sous d'autres cieux. Il n'y a pas lieu que, sous les tropiques, il n'en soit pas avéré.

Au demeurant, le penseur critique est toujours au-devant d’une situation assez déchirante, douloureuse. La peine du penseur critique est de ne pas connaître de loisir dans un monde pourtant pleins de loisirs ; de ne pas connaître la paix infâme de l’autosatisfaction dont se gargarisent les intellectuels pantouflards ; de ne pas vivre lui-même le succès de ce pour quoi et pour qui il lutte. C'est pénible mais c'est agréablement inévitable : le sort du penseur critique est une passion.

Man Bene