La question de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le judiciaire et le législatif est au cœur des polémiques autour de la révision du code pénal au Cameroun. Le débat porte sur « les empiètements du judiciaire sur certaines immunités ». En effet, l’exécutif avait tenté de s’octroyer une immunité (article 127) dans la nouvelle loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code Pénal soumise avec succès au vote du législatif lors de la session de juin 2016. De quoi s’agit-il et que faire ?
Rappel des faits
Le Cameroun était jusqu’ici régi par la loi n°67-LF-1 du 12 juin 1967 portant code pénal. Cette loi d’après-indépendance ne correspondait plus aux réalités de la société camerounaise du 21ème siècle. Par exemple, on parlait encore de République fédérale dans un pays qui s’était unifié depuis le 20 mai 1972. Aussi, il appartenait souvent à l’accusé d’apporter les preuves de son innocence et non à l’accusation d’apporter les preuves de la culpabilité en violation des instruments internationaux (conventions des Nations Unies, actes uniformes de l’OHADA). Ainsi, dans l’actualité judiciaire au Cameroun (opération épervier), il est demandé à environ 14 anciens ministres et autres premier ministre, secrétaires généraux de la présidence, directeurs généraux des sociétés d’Etat, etc., de prouver leur innocence dans plusieurs dossiers de détournement de deniers publics.
Pire, le 31 mars 2014, Louis Bapès Bapès, alors ministre en fonction, avait été mis sous mandat de dépôt à la prison centrale de Yaoundé avant de rejoindre son bureau le lendemain au ministère des enseignements secondaires (éducation nationale) suite au ressaisissement du juge. Il ne quittera le gouvernement que le 2 octobre 2015. En février 2006, c’était déjà le cas d’Alphonse Siyam Siwé alors ministre de l’Énergie. En mai 2016, des sous-préfets et autres responsables en fonction ont été incarcérés sans être déchargés de leurs responsabilités exécutives. C’est le cas du sous-préfet de Bangangté interpellé le 5 mai 2016 pour usage de faux et détournement de fonds publics dans l’affaire de 4 milliards d’indemnisation des autochtones sur le site du port en eau profonde de Kribi.
Où est le problème ?
Pour les membres de l’exécutif, il leur paraissait abusif que le judiciaire les emprisonne sans qu’ils ne soient déchargés de leurs fonctions (pouvoir de commandement). Et pour les membres du pouvoir judiciaire, la justice ne pouvait être efficace sans faire preuve de réactivité (poursuivre et condamner en temps réel). D’ailleurs, au sens de code pénal (ancien et nouveau), l’article 1 stipule que « la loi pénale s'impose à tous [nul n’est au-dessus de la loi]».
Or, l’exécutif estime au regard de ses hautes responsabilités qu’il ne saurait être traité comme « tous » (préférence de juridiction). On observe qu’un Tribunal Criminel Spécial (TCS) avait été créé par la loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 pour s’occuper de grands dossiers (affaires de plus de 50 millions). Et dans le projet de loi suscitant la discorde, l’exécutif en voulait plus en proposant : «est puni d’un amendement de un (01) à cinq (5) ans le magistrat ou l’Officier de police judiciaire qui, en violation des lois sur les immunités, poursuit, arrête, ou juge un membre du gouvernement ou du parlement».
Mais, suite à «l’arbitrage» du législatif le 29 juin 2016, la nouvelle formulation s’est voulue vague : «est puni d’un emprisonnement de un à cinq ans, le magistrat ou l’officier de police judiciaire qui poursuit, arrête ou juge quiconque, en violation des lois sur les immunités».
La question reste de savoir qui se retrouve dans «quiconque». Qu’est-ce que l’immunité et qui en a droit ? Selon le président de la commission des lois constitutionnelles du Sénat, les membres du gouvernement ne sont plus concernés par cette disposition puisqu’ils ne font pas partie de ceux protégés par lesdites lois sur l’immunité comme le Président de la République (article 53 de la Constitution), le Senat selon son règlement intérieur ou l’Assemblée nationale selon l’ordonnance de 1972.
Pour sa part, le Ministre de la Justice défendait l’immunité des ministres dans la mesure où ils recevaient une délégation des pouvoirs du Président de la République mais, précisait que cette immunité ne couvrait pas les infractions commises en marge de la fonction ministérielle. De toute façon, on comprend que le Président de la République reste le seul maître du jeu de distribution de l’immunité dans la mesure où il est le seul à savoir quelle infraction d’un ministre entre ou non dans le cadre de sa délégation des pouvoirs (exercice de ses fonctions). Mieux, on observe que l’exécutif a réussi à faire passer une disposition qui lui permet de faire peur (peines d’emprisonnement) au juge qui oserait le poursuivre.
Que faire ?
Immunité veut-il dire impunité ? Comment lutter contre l’impunité ? D’abord, il faudrait séparer la fonction de l’individu. En effet, la loi ne condamne pas la fonction. En vue de condamner l’individu, il faudrait le décharger de sa fonction exécutive. Cela passe par la lutte contre l’inertie. En l’état, les lourdeurs administratives et les absences de volonté politique continueront de bloquer le processus judiciaire quelle que soit la qualité des textes. Mieux, tant que le président de la République restera le président du Conseil supérieur de la magistrature, il sera le maître du jeu.
Ensuite, il faudrait renforcer le parlement et assouplir la règle sur la discipline du parti pour permettre au législatif de jouer pleinement son rôle. Fait inédit au Cameroun, un député (Martin Oyono) du parti au pouvoir (RDPC) s’est opposé au projet de loi du gouvernement. Par conséquence, le projet de l’exécutif a été amendé au parlement avant adoption marquant ainsi le retour de l’autorité du législatif. Enfin, il faudrait renforcer la formation des juges et policiers économiques.
Il est désagréable de poursuivre un citoyen sans au préalable avoir constitué un dossier solide contre lui. Une telle formation permettrait de combler les lacunes des textes et d’éviter les désagréments causés par l’effondrement habituel des dossiers d’accusation.